La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/12/2003 | LUXEMBOURG | N°17299

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 décembre 2003, 17299


Numéro 17299 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 décembre 2003 Audience publique du 17 décembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre un arrêté du ministre de la Justice en matière de mise à disposition du Gouvernement

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17299 du rôle, déposée le 12 décembre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscr

it au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , de nati...

Numéro 17299 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 décembre 2003 Audience publique du 17 décembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre un arrêté du ministre de la Justice en matière de mise à disposition du Gouvernement

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17299 du rôle, déposée le 12 décembre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , de nationalité gambienne, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre de la Justice du 20 novembre 2003 ordonnant une mesure de placement à son égard;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 décembre 2003;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté critiqué;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 17 décembre 2003.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Par arrêté du 20 novembre 2003, le ministre de la Justice ordonna le placement de Monsieur …, préqualifié, au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu les rapports de police n° 010/03 du 18 mars 2003, n° 11122 du 8 août 2003 et n° 3-496 du 26 juin 2003 ;

Considérant que l’intéressé ne dispose ni d’un titre de voyage, ni d’un document d’identité valables ;

qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’un éloignement immédiat n’est pas possible, étant donné qu’une demande d’obtention d’un titre de voyage doit être adressée aux autorités gambiennes ;

Considérant que l’intéressé constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement dans l’attente de l’établissement d’un titre de voyage par les autorités gambiennes ; ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 décembre 2003, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 20 novembre 2003 par lequel son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière a été ordonné.

L’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main d’œuvre étrangère, instituant un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre l’arrêté ministériel déféré qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Même si le demandeur n’a invoqué le moyen tiré d’une absence d’indication suffisante des motifs dans la décision déférée qu’en deuxième lieu, il y a néanmoins lieu de prendre position par rapport à ce moyen avant l’analyse des moyens portant sur le bien-fondé de la décision ministérielle de mise à la disposition du gouvernement, étant donné que l’analyse de la forme même de l’arrêté ministériel sous analyse doit nécessairement précéder l’analyse de son bien-fondé. Dans ce contexte, il échet de relever que le demandeur estime que le ministre n’aurait énoncé que « de façon lapidaire » qu’il manquerait de moyens d’existence personnels, qu’il se trouverait en situation illégale et qu’il aurait fait l’objet de plusieurs rapports et procès-verbaux qui ne seraient toutefois pas autrement explicités, sans apporter des éléments de fait permettant de justifier la décision, un tel état des choses équivalant à une absence de motivation mettant le juge administratif dans l’impossibilité de contrôler la légalité de l’acte.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen, au motif que la décision litigieuse énoncerait clairement les éléments de fait et de droit qui se trouveraient à sa base, tout en précisant que ladite motivation serait complétée pour autant que de besoin par les développements contenus dans son mémoire en réponse, ainsi que par les éléments se dégageant du dossier administratif versé à l’appui dudit mémoire.

Il appert à l’examen du libellé de la décision déférée que, loin de reprendre de prétendues formules de style qui seraient simplement reprises de la loi, l’arrêté ministériel, par lequel a été ordonnée la mise à la disposition du gouvernement, énonce expressément la base légale sur laquelle le ministre a fondé sa décision, ainsi que les faits à savoir que le demandeur a fait l’objet de plusieurs procès-verbaux de la police, qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels, qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays, qu’il est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable, qu’un éloignement immédiat n’est pas possible et qu’il existe un risque de fuite dans son chef, dans la mesure où il serait susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement.

Il s’ensuit que la décision déférée a été dûment motivée par une énonciation suffisante des éléments de droit et de fait se trouvant à sa base, de sorte que le moyen tiré d’une motivation insuffisante voire d’une absence d’indication des motifs est à rejeter.

Le demandeur conclut encore à une violation de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972, en ce que la décision litigieuse n’aurait pas été précédée d’un arrêté d’expulsion ou de refoulement.

Le délégué du gouvernement soutient qu’il ressortirait de la jurisprudence qu’aucune forme ne serait imposée pour une décision de refoulement et qu’elle serait censée être prise à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement seraient remplies et où une mesure de placement serait décidée dans la suite. La décision de rejet de la demande d’asile du demandeur prise le 23 septembre 2003 étant coulée en force de chose décidée, les conditions de fond et de forme pour un refoulement se trouveraient vérifiées en l’espèce.

Il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972, que lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 et 12 de la même loi est impossible en raison de circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois.

Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise, ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.

Il est constant en cause qu’en l’espèce la mesure de placement n’est pas basée sur une décision d’expulsion. Il convient partant d’examiner si la mesure en question est basée sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence :

« 1) qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3) auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de [la loi précitée du 28 mars 1972] ;

4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ;

5) qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2 paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

Aucune disposition législative ou réglementaire ne déterminant la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi du 28 mars 1972 sont remplies, et où, par la suite, une mesure de placement a été décidée à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de mise à la disposition du gouvernement, à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion (trib. adm. 27 juin 2001, n° 13611, confirmé par Cour adm. 10 juillet 2001, n° 13684C, Pas. adm. 2003, v° Etrangers, n° 232).

Encore faut-il que la mesure afférente soit prise légalement, c'est-à-dire pour un des motifs prévus par l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972 auquel renvoie l’article 15.

En l’espèce, parmi les motifs invoqués au moment de la prise de la décision de placement du 20 novembre 2003, le ministre de la Justice a fait état du fait que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au pays, qu’il aurait été démuni de tout titre de voyage et de document d’identité valables et qu’il n’aurait pas été en possession de moyens d’existence personnels.

Il est patent en cause que Monsieur … ne dispose ni des papiers de légitimation prescrits, ni de moyens d’existence personnels suffisants, de manière à remplir les conditions légales telles que fixées par la loi luxembourgeoise sur base desquelles une mesure de refoulement a valablement pu être prise à son encontre, abstraction même faite de la question de savoir s’il constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics au vu des procès-verbaux dressés à son encontre en matière de la législation sur les stupéfiants et également visés par le ministre dans l’arrêté ministériel déféré.

Il s’ensuit que les conditions justifiant un refoulement sont remplies en l’espèce.

Le demandeur conteste encore que les conditions justifiant son placement seraient vérifiées en l’espèce, étant donné qu’il aurait introduit une demande d’asile au Luxembourg et que la décision ministérielle de rejet de cette demande du 23 septembre 2003 ne lui aurait pas été traduite en langue anglaise, de manière qu’il n’aurait pas pu comprendre son contenu et qu’il aurait déposé auprès du tribunal administratif une demande en relevé de déchéance et un « recours administratif » contre cette même décision de rejet. Dans la mesure où le recours contentieux en matière de statut de réfugié politique aurait un effet suspensif, son séjour au Luxembourg serait toujours régulier et une mesure d’éloignement à son égard ne serait pas légale.

Il est constant en cause qu’à la date de l’introduction du présent recours, le demandeur revêtait non plus la qualité de demandeur d’asile, mais celle de demandeur d’asile débouté, sa demande en obtention du statut de réfugié ayant été rejetée comme étant manifestement infondée par décision du ministre de la Justice du 7 août 2003.

Conformément aux dispositions de l’article 12 (1) de la loi précitée du 3 avril 1996, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif contre les décisions de refus de faire droit à une demande d’asile intervenue sur base de l’article 11 de la même loi, lequel doit être introduit dans un délai d’un mois à partir de la notification de la décision de refus.

Conformément à la même disposition légale, le recours en question a un effet suspensif, de sorte que pendant le cours de la procédure contentieuse un demandeur d’asile débouté mais ayant introduit un recours contre la décision de refus ne saurait être refoulé vers son pays d’origine par extension du principe de non-refoulement découlant directement de la Convention de Genève.

Il découle implicitement, mais nécessairement de cette disposition que seul un recours déposé dans le délai légal d’un mois à partir de la notification de la décision de rejet a pour effet de suspendre l’exécution de ladite décision et c’est dès lors à juste titre que le délégué du Gouvernement précise que l’introduction d’une requête en relevé de déchéance auprès du tribunal administratif n’est pas de nature à elle seule de rouvrir le délai du recours contentieux.

En l’espèce, il se dégage des éléments soumis au tribunal que la décision de rejet de la demande d’asile du demandeur du 23 septembre 2003 lui fut notifiée par courrier recommandé du 26 septembre 2003, de manière que le délai de recours a commencé à courir à partir de cette notification au demandeur. Il est en outre constant que le demandeur n’a introduit endéans ce délai aucun recours gracieux ou contentieux de nature à l’interrompre utilement. Il s’ensuit qu’à la date de l’arrêté ministériel déféré du 20 novembre 2003, cette décision de rejet du 23 septembre 2003 avait acquis l’autorité de chose décidée et que le demandeur ne pouvait, d’après les éléments du dossier, pas se prévaloir de sa qualité de demandeur d’asile ou d’un autre titre pour légitimer son séjour au pays. L’introduction par le demandeur, en date du 12 décembre 2003 parallèlement au recours sous analyse, d’une demande de relevé de déchéance relativement à la décision prévisée de rejet de la demande d’asile du 23 septembre 2003 et un recours contentieux à l’encontre de cette dernière n’est pas de nature à conférer à ce dernier recours un effet suspensif dans la mesure où il n’a pas été déposé dans le délai légal de recours et où un relevé de la déchéance encourue n’a pas encore été accordé par le tribunal.

Il s’ensuit que le moyen du demandeur tiré du caractère illégal de son éloignement laisse d’être fondé.

Aucun autre moyen n’ayant été invoqué à l’appui du présent recours, ce dernier est à rejeter comme n’étant pas fondé.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que ni l’avocat constitué pour un demandeur, ni le délégué du Gouvernement ne sont présents à l’audience de plaidoiries est indifférent. Comme les parties ont pris position par écrit par le fait de déposer respectivement la requête introductive d’instance et le mémoire en réponse, le présent jugement est rendu contradictoirement.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 décembre 2003 par:

M. CAMPILL, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17299
Date de la décision : 17/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-17;17299 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award