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17/12/2003 | LUXEMBOURG | N°16806

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 décembre 2003, 16806


Tribunal administratif N° 16806 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er août 2003 Audience publique du 17 décembre 2003 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts contre deux décisions conjointes prises par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16806 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er août 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, insc

rit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Novi Pazar...

Tribunal administratif N° 16806 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er août 2003 Audience publique du 17 décembre 2003 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts contre deux décisions conjointes prises par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16806 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er août 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Novi Pazar (Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Tutin (Etat de Serbie et Monténégro), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision conjointe prise par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi en date du 30 décembre 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en obtention d’une autorisation de séjour, confirmée, sur recours gracieux, par lesdits ministres en date du 19 mai 2003 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Louis TINTI, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 13 juillet 2001, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, introduisirent une demande en obtention d’une autorisation de séjour auprès du service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, dénommé ci-après le « service commun », en précisant appartenir à la « catégorie C » telle que décrite dans la brochure intitulée « régularisation du 15 mars au 13 juillet 2001 de certaines catégories d’étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg », éditée par le service commun, dénommée ci-après « la brochure », en ce qu’ils résideraient au Grand-Duché de Luxembourg de façon ininterrompue depuis le 1er juillet 1998 au moins.

Par lettre du 30 décembre 2002, le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi informèrent Monsieur … de ce qui suit :

« Suite à l’examen de la demande en obtention d’une autorisation de séjour que vous avez déposée en date du 13 juillet 2001 auprès du Service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, nous sommes au regret de vous informer que nous ne sommes pas en mesure de faire droit à votre demande.

En effet, selon l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, la délivrance d’une autorisation de séjour est subordonnée à la possession de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis permettant à l’étranger de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir.

Comme vous ne remplissez pas cette condition, une autorisation de séjour ne saurait vous être délivrée.

Pour le surplus, votre demande en obtention d’une autorisation de séjour est également à rejeter au regard des directives applicables en matière de régularisation.

En effet, il ressort des pièces accompagnant votre demande introduite sur base de la catégorie C que vous ne remplissez pas les conditions prévues pour cette catégorie qui est libellée comme suit : « Je réside de façon ininterrompue au Grand-Duché de Luxembourg depuis le 1er juillet 1998 au moins ».

Vous êtes invité à quitter le Luxembourg, ensemble avec les membres de votre famille repris sous rubrique, endéans un délai d’un mois. A défaut de départ volontaire, la police sera chargée de vous éloigner du territoire luxembourgeois ».

A la suite de l’introduction d’un recours gracieux par un courrier du mandataire des consorts …-… du 28 mars 2003, les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi ont confirmé la décision initiale du 30 décembre 2002 par lettre du 19 mai 2003.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er août 2003, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, ont fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 30 décembre 2002 et 19 mai 2003.

Le recours est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs estiment en premier lieu que la décision attaquée du 30 décembre 2002 serait nulle pour défaut de qualité dans le chef de ses auteurs, au motif qu’ils ont déposé leur demande auprès du service commun et que l’autorité de décision aurait dû être composée, collégialement par le ministre de la Justice, le ministre du Travail et de l’Emploi, ainsi que le ministre de la Famille. Or, force serait de constater que le ministre de la Famille n’aurait pas approuvé la décision attaquée.

En deuxième lieu, les demandeurs reprochent aux signataires des décisions attaquées d’avoir basé celles-ci sur le fait que Monsieur … aurait commis « pendant son séjour des actes de nature à compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics », alors que le dossier administratif ne contiendrait aucune indication quant à une quelconque condamnation à des peines privatives de liberté prononcées par une juridiction luxembourgeoise.

Dans un troisième ordre d’idées, ils estiment que les décisions attaquées ne seraient pas légalement motivées par la référence à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, au motif qu’on ne saurait reprocher à un étranger, candidat à la régularisation, de ne pas disposer de revenus personnels, parce qu’en sa qualité d’étranger en situation illégale, il lui est défendu de s’adonner à une quelconque activité salariée et parce que « les conditions posées par le Ministère de la Justice pour être « régularisé », respectivement obtenir un titre de séjour sont telles qu’elles permettent dans certains cas à des étrangers non titulaires de revenus, d’obtenir un titre de séjour ». Sur ce, les demandeurs concluent que la motivation, en ce qu’elle repose sur l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, serait illégale, sinon inappropriée.

Ils concluent encore à l’annulation des décisions attaquées, étant donné que leur droit d’être entendus en leurs explications préalablement à la prise des décisions n’aurait pas été respecté.

En outre, ils estiment qu’il y aurait eu en l’espèce rupture du principe de l’égalité des citoyens devant la loi et du principe de la confiance légitime, au motif que « quelques 1250 personnes », qui se seraient trouvées dans une situation administrative identique à la leur, auraient pu bénéficier de la procédure dite de régularisation, telle qu’initiée par le gouvernement, alors qu’une telle faveur ne leur aurait pas été accordée.

Enfin, ils soutiennent que les décisions attaquées devraient être annulées, au motif que la commission instituée par l’article 7bis du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg n’aurait pas été entendue en son avis, étant donné que la procédure de régularisation serait une régularisation par le travail, et que le ministre du Travail serait appelé dans ladite procédure à se prononcer sur ce point.

En conclusion, ils estiment remplir les conditions telles que prévues par la catégorie C de la brochure, en se référant notamment à des attestations testimoniales versées à l’appui de leur demande précitée du 13 juillet 2001, dont il ressortirait qu’ils auraient été présents sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg depuis au moins le 1er juillet 1998.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours. A l’appui de sa conclusion, il soutient que les décisions ministérielles de refus ne seraient pas viciées par l’absence de signature du ministre de la Famille, que l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 aurait été invoqué à juste titre, étant donné qu’au moment où les décisions attaquées furent prises, Monsieur … et son épouse, Madame … n’auraient pas disposé de moyens personnels propres suffisants, que c’est à tort que les demandeurs feraient référence à un travail ininterrompu depuis le 1er janvier 2000, étant donné que dans leur demande précitée du 13 juillet 2001, ils ne se seraient pas référés aux catégories A et B, mais à la seule catégorie C de la brochure exigeant de leur part une présence au Grand-Duché de Luxembourg depuis au moins le 1er juillet 1998, condition qui ne serait manifestement pas remplie en l’espèce, dans la mesure où les demandeurs auraient déclaré eux-mêmes, tel que cela ressortirait d’un procès-verbal de la gendarmerie grand-ducale du 7 septembre 1998, être arrivés au Grand-Duché de Luxembourg en septembre 1998. Il serait partant faux d’affirmer qu’ils rempliraient les conditions telles que prévues par la catégorie C de la brochure.

En ce qui concerne d’abord la qualité de l’auteur des décisions attaquées, force est de constater qu’en l’état actuel de la législation, une décision relative à l’entrée et au séjour d’un étranger au Grand-Duché au sens de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, relève de la seule compétence du ministre de la Justice, ceci conformément aux dispositions de l’article 11 de ladite loi, et sous les restrictions y énoncées tenant notamment au fait que les décisions afférentes sont prises sur proposition du ministre de la Santé lorsqu’elles sont motivées par des raisons de santé publique. Il s’ensuit qu’en dépit du fait que la demande en obtention d’une autorisation de séjour des demandeurs a été introduite auprès d’un service commun regroupant des représentants du ministère du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille et que cette demande a par ailleurs été traitée dans le cadre de la régularisation des sans-papiers ainsi désignée, seul le ministre de la Justice est légalement investi de la compétence pour statuer en la matière.

Ainsi, le défaut de signature et d’intervention du ministre de la Famille, face à la compétence exclusive du ministre de la Justice en la présente matière, n’est pas de nature à affecter la légalité des décisions attaquées, cette conclusion n’étant pas ébranlée par le fait que l’instruction du dossier a été faite, en tout ou partie, par un service commun regroupant des représentants de plusieurs ministères.

Il convient ensuite d’examiner le moyen basé sur l’obligation de saisine de la commission consultative instituée par l’article 7bis du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972.

Or, ce moyen est également à écarter, étant donné que les décisions litigieuses ne se prononcent pas sur un refus d’un permis de travail, alors qu’elles ont exclusivement trait à un refus d’un permis de séjour et que la légalité de pareille décision n’est pas conditionnée par une saisine préalable de ladite commission.

En ce qui concerne le quatrième moyen d’annulation soulevé, dont l’examen est préalable, les demandeurs semblent se baser sur les dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en ce qu’il entend soumettre à une procédure contradictoire certaines catégories de décisions qui sont de nature à affecter les intérêts de la personne concernée.

Or, force est de constater que lesdites prescriptions ne s’appliquent pas au cas où la décision administrative litigieuse intervient dans le cadre d’un processus décisionnel qui intervient à l’initiative de l’administré lui-même (cf. Cour adm. 24 octobre 2000, n° 11948C du rôle, Pas. adm. 2003, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 57, p. 480 et autres références y citées).

Il s’ensuit qu’en l’espèce, les demandeurs ayant pris l’initiative à la base des décisions ministérielles actuellement litigieuses en présentant une demande en obtention d’un permis de séjour le 13 juillet 2001, le moyen d’annulation est partant à abjuger.

Enfin, il ressort des éléments en cause que les demandeurs ont soumis leur demande en obtention d’une autorisation de séjour sur pied de la brochure de régularisation et qu’ils se sont prévalus de la catégorie C de cette brochure, visant « la personne qui réside de façon ininterrompue au Grand-Duché de Luxembourg depuis le 1er juillet 1998 ».

Il ressort des pièces et éléments du dossier, et notamment d’une lettre de l’association de soutien aux travailleurs immigrés (ASTI) du 12 décembre 2002, d’une attestation de témoins signée le 28 février 2003 par Monsieur P.A., d’une attestation de Monsieur S.L., ainsi que d’une attestation de Monsieur M.K., que les enfants … sont arrivés au Luxembourg en date du 16 mai 1998, partant avant la date du 1er juillet 1998, telle que prévue par la catégorie C de la brochure. Il ressort encore de la lettre précitée de l’ASTI du 12 décembre 2002, de l’attestation testimoniale précitée de Monsieur M.K., ainsi que du rapport précité du service de police judiciaire de la gendarmerie grand-ducale du 7 septembre 1998, que les parents de … … ne sont arrivés au Luxembourg, en raison des événements de guerre dans leur pays d’origine, qu’en date du 7 septembre 1998, ensemble avec leur troisième enfant mineur, … ….

Force est partant de constater qu’une partie de la famille …, à savoir les deux fils … …, qui étaient à l’époque mineurs, remplissent les conditions de la brochure, et plus particulièrement celles prévues par la catégorie C de celle-ci, afin d’obtenir un titre de séjour, suivant les règles fixés par le gouvernement lui-même.

Au vu du constat qui précède, et en considération de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et du droit de la famille … à faire assurer la protection de leur vie privée et familiale, il y a lieu d’annuler les décisions ministérielles attaquées des 30 décembre 2002 et 19 mai 2003, sans qu’il y ait lieu d’analyser les autres moyens invoqués à l’appui du présent recours.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule les décisions des ministres du Travail et de l’Emploi et de la Justice des 30 décembre 2002 et 19 mai 2003 et renvoie le dossier en prosécution de cause au ministre de la Justice ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 17 décembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16806
Date de la décision : 17/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-17;16806 ?

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