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17/12/2003 | LUXEMBOURG | N°16743

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 décembre 2003, 16743


Numéro 16743 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juillet 2003 Audience publique du 17 décembre 2003 Recours formé par les époux … et … …-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16743 du rôle, déposée le 21 juillet 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avoca

t à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né ...

Numéro 16743 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juillet 2003 Audience publique du 17 décembre 2003 Recours formé par les époux … et … …-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16743 du rôle, déposée le 21 juillet 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo), et de son épouse, Madame …, née le …(Kosovo), agissant tant en leur nom propre qu’en nom et pour compte de leur enfant mineur … …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L- …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 avril 2003 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 10 juin 2003 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2003;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 octobre 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH pour compte des époux …-…;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 novembre 2003.

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Le 8 novembre 2002, Monsieur … et son épouse, Madame … , accompagnés de leur enfant mineur … …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux …-… furent entendus séparément en date du 4 février 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux …-… par décision du 15 avril 2003, leur notifiée par courrier recommandé du 22 avril 2003, de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Le recours gracieux formé par courrier de leur mandataire daté au 22 mai 2003 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 10 juin 2003, les époux …-… ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 15 avril 2003 et confirmative du 10 juin 2003 par requête déposée le 21 juillet 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation déposé, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs, originaires du Kosovo et appartenant à la communauté musulmane des Goranais, reprochent au ministre de la Justice une appréciation erronée de leur situation et de ne pas avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées des persécutions par eux subies. Ils font valoir qu’ils appartiendraient à une minorité vulnérable car mal acceptée par la majorité albanaise et régulièrement exposée à des actes de persécution du seul fait de leur origine ethnique et que l’administration civile mise en place au Kosovo ne serait pas en mesure d’empêcher les nombreuses exactions de la part de la communauté albanaise. Ils exposent qu’ils auraient été exposés à des menaces constantes de la part de la population albanaise en raison de leur appartenance ethnique, que Monsieur … aurait plus particulièrement reçu constamment des menaces du fait de l’exploitation de son salon de coiffure et qu’il aurait été contraint d’abord de couper gratuitement les cheveux des Albanais et ensuite d’abandonner son salon pour le 1er novembre 2002. Ils ajoutent encore qu’ils se seraient vus refuser des soins de santé par le personnel albanais de l’hôpital à Dragas. Les demandeurs contestent l’existence d’une possibilité de fuite interne dans leur chef, étant donné que sa reconnaissance serait subordonnée à la condition de l’existence d’un lieu possible de séjour où la personne concernée peut bénéficier d’une protection efficace et que leurs déplacements en Serbie-Monténégro afin de recevoir les soins de santé qui leur auraient été refusés au Kosovo ne sauraient être considérés comme preuve d’une possibilité effective de fuite interne. Les demandeurs concluent sur base de ces éléments que leur départ du Kosovo aurait été dicté par un risque sérieux pour leur vie, de manière que les décisions ministérielles déférées devraient encourir la réformation. Les demandeurs versent en termes de réplique trois pièces complémentaires en vue d’étayer leurs moyens tenant à l’incapacité des forces internationales présentes au Kosovo de leur assurer une protection adéquate et du défaut d’une possibilité de fuite interne.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

Concernant la crainte exprimée par les demandeurs d’actes de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité goranaise, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Goranais, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs risquent de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant la version actualisée du rapport de l’UNHCR datant de janvier 2003 sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Goranais est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« the overall security situation of Kosovo Gorani has remained stable with no direct attacks during the reviewing period »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué de s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des Goranais au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

En outre, dans la mesure où les actes concrets de persécution invoqués par le demandeur émanent de membres de la population albanaise, ils ne sauraient être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. En outre, l’existence d’une persécution de la part de l’Etat ne saurait être admise dès la commission d’un acte de persécution de la part d’une personne quelle soit ou non au service des autorités publiques, mais seulement dans l’hypothèse où les autorités spécifiquement compétentes pour la poursuite et la répression des actes de persécution commis soit encouragent ou tolèrent ces actes, soit sont incapables d’entreprendre des démarches d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion contre la commission de tels actes de la part de telles personnes.

Dans les deux hypothèses, il faut en plus que le demander d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en exergue par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est qu’un réfugié ?, p. 113, n° 73 et suivants).

Or, les éléments du dossier ne permettent de retenir ni que les demandeurs ont concrètement recherché la protection des autorités en place dans leur pays d’origine, ni l’incapacité de ces dernières pour leur assurer un niveau de protection suffisante, ni encore le défaut de toute poursuite des actes de persécution commis à leur encontre. En effet, Monsieur … a admis lui-même lors de son audition en date du 4 février 2003 qu’il n’avait pas déposé de plainte auprès de l’UNMIK.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 décembre 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16743
Date de la décision : 17/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-17;16743 ?

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