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17/12/2003 | LUXEMBOURG | N°16586

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 décembre 2003, 16586


Numéro 16586 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2003 Audience publique du 17 décembre 2003 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16586 du rôle, déposée le 19 juin 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc THEISEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de lâ€

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Numéro 16586 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2003 Audience publique du 17 décembre 2003 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16586 du rôle, déposée le 19 juin 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc THEISEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, de nationalité algérienne, demeurant à L- …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 décembre 2002 portant refus de délivrance d’une autorisation de séjour en sa faveur, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 19 mai 2003 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 août 2003;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 septembre 2003 par Maître Marc THEISEN pour compte de Madame …;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Marc THEISEN et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 novembre 2003.

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Par courrier du 1er octobre 2002, Monsieur … introduisit auprès du ministère de la Justice une demande en obtention d’une autorisation de séjour en faveur de sa fille, Madame …, préqualifiée.

Cette demande fut rencontrée par une décision de rejet du ministre de la Justice du 17 décembre 2002 libellée dans les termes suivants :

« Comme suite à votre demande du 1er octobre 2002, par laquel e vous sollicitez une autorisation de séjour en faveur de votre fille, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

L’intéressée étant majeure, la délivrance d’une autorisation de séjour est subordonnée, conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers, à la possession de moyens d’existence personnels suffisants permettant à l’étranger d’assurer son séjour au Grand-Duché indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir.

Comme l’intéressée ne remplit pas cette condition, une autorisation de séjour ne saurait lui être délivrée.

Je vous prie, Monsieur, de croire en l’expression de mes sentiments distingués ».

Le recours gracieux formé par courriers des 12 mars et 9 avril 2003 fut rejeté par une décision confirmative du même ministre du 19 mai 2003.

Par requête déposée le 19 juin 2003, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles des 17 décembre 2002 et 19 mai 2003.

Dans la mesure où ni la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers ; 3° l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de refus d’autorisation de séjour et de permis de travail, le tribunal n’est pas compétent pour statuer sur la demande en réformation soumise à travers le recours sous analyse.

Le délégué du Gouvernement conclut sur base de ce constat à l’irrecevabilité du recours.

Etant donné néanmoins que dans une matière dans laquelle seul un recours en annulation est prévu, le recours introduit sous forme de recours en réformation est néanmoins recevable dans la mesure des moyens de légalité invoqués, à condition d'observer les règles de procédure et les délais sous lesquels le recours en annulation doit être introduit (trib. adm. 10 novembre 2000, n° 12390, confirmé par Cour adm. 11 janvier 2001, n° 12602C, Pas. adm.

2003, v° Recours en annulation, n° 33), le recours est recevable, dans la seule mesure des moyens d’annulation présentés, pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer qu’elle vivrait actuellement seule en Algérie, étant donné que ses parents et trois de ses frères et sœurs vivraient au Luxembourg et deux sœurs en Belgique et que son mari aurait quitté l’Algérie. Elle fait valoir qu’elle aurait vécu de janvier 1995 jusqu’en été 1996 avec toute sa famille au Luxembourg sous le couvert d’une autorisation de séjour du 19 janvier 1995. Elle argue qu’elle aurait accompli une formation de coiffeur lui permettant de trouver un emploi et que son père s’engagerait personnellement à la prendre en charge, de manière qu’elle pourrait disposer de moyens d’existence personnels suffisants au sens de l’article 2 de la loi prévisée du 28 mars 1972.

La demanderesse s’empare de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, ci-après désignée « CEDH », et plus particulièrement du droit au regroupement familial y consacré pour soutenir que, dans la mesure où l’ensemble de sa proche famille et plus particulièrement ses parents résideraient au Luxembourg et où elle n’aurait plus d’attache familiale en Algérie, le respect de cette disposition de droit international impliquerait la reconnaissance d’un droit de séjour dans son chef en vue de rejoindre sa famille sans que sa majorité ne puisse fonder valablement un refus au vu de son aptitude à trouver dès son arrivée un emploi en vue de subvenir à ses besoins.

Le délégué du Gouvernement rétorque que la loi exigerait que l’étranger désirant s’établir au Luxembourg devrait rapporter la preuve de l’existence de moyens personnels et qu’un étranger ne disposant pas d’un permis de travail ne justifierait pas de l’existence de tels moyens, preuve que la demanderesse resterait en défaut de rapporter. Le représentant étatique relève également qu’il résulterait d’une information de l’administration communale de … du 6 octobre 1995 que toute la famille de la demanderesse aurait été rayée d’office, vu qu’elle aurait habité en fait à … en Belgique et que le père de la demanderesse serait même reparti en Algérie, et que la demanderesse aurait ainsi vécu depuis lors en Algérie où elle se serait mariée et où son enfant serait né en 1999, de manière qu’elle ne pourrait pas se prévaloir d’un droit de rejoindre sa famille dont elle vivrait séparée depuis des années, étant donné que l’article 8 CEDH ne conférerait pas le droit de choisir l’implantation géographique de la vie familiale et ne pourrait plus être invoqué suite à une séparation prolongée des membres d’une famille.

La demanderesse réitère en termes de réplique son argumentation fondée sur sa formation de coiffeur et la prise en charge par son père pour conclure à la possibilité de disposer de moyens d’existence personnels suffisants. Elle soutient que ses parents et un frère et une sœur vivraient actuellement au Grand-Duché et qu’une séparation de 8 ans de ses parents et ses frères et sœurs ne pourrait pas être considérée comme une séparation prolongée au vu du maintien de contacts permanents, des séjours réguliers de son enfant auprès de ses grand-parents et de ses démarches répétées afin d’être autorisée à rejoindre ses parents.

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger :– qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Au vœu de l’article 2 précité, une autorisation de séjour peut dès lors être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2003, v° Etrangers, 2. Autorisations de séjour, n° 134 et autres références y citées). Le ministre dispose d'un pouvoir d’appréciation dans chaque espèce pour déterminer si la condition de disposer de moyens personnels suffisants est remplie et si elle justifie l'octroi ou le refus de l'entrée et du séjour au Grand-Duché de Luxembourg, étant entendu que ses décisions sont susceptibles d’être soumises au juge administratif dans le cadre d’un recours en annulation.

En outre, la seule preuve de la perception de sommes, même suffisantes pour permettre à l'intéressé d'assurer ses frais de séjour au pays, est en principe insuffisante; il faut encore que les revenus soient légalement perçus (cf. trib. adm. 15 avril 1998, n° 10376 du rôle, Pas. adm 2003, v° Etrangers, n° 140). Ne remplissent pas cette condition les revenus perçus par un étranger qui occupe un emploi alors qu'il n'est pas en possession d'un permis de travail et qu'il n'est dès lors pas autorisé à occuper un emploi au Grand-Duché de Luxembourg et à toucher des revenus provenant de cet emploi (cf. trib. adm. 30 avril 1998, n° 10508 du rôle, Pas. adm 2003, v° Etrangers, n° 138 et autres références y citées).

En l’espèce, la demanderesse se prévaut seulement de sa formation de coiffeur pour conclure à la possibilité de trouver un emploi après son arrivée au pays, mais reste en défaut d’établir concrètement la faculté d’occuper légalement un poste de travail à travers la production d’un contrat d’emploi et d’un permis de travail afférent. Elle n’a pas non plus soumis une quelconque autre preuve de l’existence d’une autre source légale de moyens de subsistance, étant entendu que la prise en charge fournie par le père de la demanderesse s’analyse, en l’absence de toute circonstance particulière et au vu de l’âge de la demanderesse, comme une source de moyens procurés par un tiers ne rentrant pas dans la notion de moyens personnels.

Il s’ensuit que le ministre a en principe valablement pu se fonder sur l’article 2 de la loi prévisée du 28 mars 1972 pour refuser la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur de la demanderesse.

Il y a cependant lieu d’examiner encore le moyen de la demanderesse fondé sur l’article 8 CEDH qui dispose « 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont fait état la demanderesse rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

Le tribunal est amené à constater que la demanderesse, après avoir vécu au Grand-

Duché de Luxembourg au cours de l’année 1995, a résidé depuis lors en Algérie où elle s’est mariée et a donné naissance à un enfant. D’un autre côté, la demanderesse reste en défaut d’établir concrètement, au-delà des contacts simplement affirmés, la subsistance d’une vie familiale réelle et suffisamment étroite avec ses parents et ses frères et sœurs après son départ pour l’Algérie jusqu’à la date de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour. Force est dès lors de conclure que pendant au moins sept années l’unité familiale actuellement réclamée fut rompue.

A défaut de vie familiale continue effective dûment établie en cause, il s’ensuit que le ministre a valablement pu refuser l’autorisation de séjour sollicitée sans méconnaître la protection accordée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Il se dégage de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours sous analyse laisse d’être fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme dans la mesure des moyens d’annulation soulevés, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 décembre 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16586
Date de la décision : 17/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-17;16586 ?

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