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17/12/2003 | LUXEMBOURG | N°16570

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 décembre 2003, 16570


Tribunal administratif N° 16570 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 juin 2003 Audience publique du 17 décembre 2003

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Recours formé par les époux … et … et consorts, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16570 du rôle et déposée le 16 juin 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de lâ€

™Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro...

Tribunal administratif N° 16570 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 juin 2003 Audience publique du 17 décembre 2003

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Recours formé par les époux … et … et consorts, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16570 du rôle et déposée le 16 juin 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … , agissant pour eux mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- … , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 17 juillet 2002, leur notifiée le 6 septembre 2002, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 19 mai 2003 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 novembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 décembre 2003.

Le 14 février 2002, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, … et …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …-… furent entendus séparément en date du 4 avril 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 17 juillet 2002, notifiée le 6 septembre 2002, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1986/1987 en Croatie ainsi que plusieurs réserves. Vous auriez déserté en 1992 du front de Dubrovnik, pendant la guerre de Croatie, mais vous auriez par la suite purgé votre peine, ce qui fait que vous ne pourriez plus être poursuivi aujourd’hui de ce chef.

Vous auriez été membre du parti DPSS de Djukanovic, ce qui vous aurait posé des problèmes car vous viviez dans une rue où habitaient surtout des partisans de Bulatovic. Vous vous seriez senti mis à l’écart, bien que vous reconnaissiez n’avoir subi aucune attaque ni mauvais traitement de la part de vos voisins. Vous dites craindre encore une guerre au Monténégro car la situation y serait chaotique.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre mari. Vous ajoutez que vous craigniez les attroupements de serbes orthodoxes et leurs provocations car vous auriez vécu dans un quartier mal famé.

Vous, Madame, n’avez été membre d’aucun parti politique.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate que vos assertions traduisent davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, les faits que vous invoquez ne sont pas d’une gravité telle qu’ils puissent fonder une persécution au sens de la prédite Convention.

De plus, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un Président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place sans la participation des partisans de l’ancien régime. L’ancien Président MILOSEVIC a été extradé et traduit devant le Tribunal Pénal International de La Haye, ce qui montre l’esprit de collaboration dont la Yougoslavie fait preuve actuellement. D’autres représentants de l’ancien régime vont également se rendre au procès de La Haye incessamment. A cela s’ajoute que, le 15 mars 2002, un accord serbo-monténégrin a été signé par les Présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’autonomie au Monténégro. La République Fédérale de Yougoslavie cessera d’exister pour être remplacée par un Etat de Serbie et Monténégro.

En conséquence, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettres des 2 et 8 octobre 2002, les consorts …-… introduisirent, par le biais de leurs mandataires, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 17 juillet 2002.

Par décision du 19 mai 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision du 17 juillet 2002.

Le 16 juin 2003, les époux …-… ont fait déposer au greffe du tribunal administratif, tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … et …, un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles de refus des 17 juillet 2002 et 19 mai 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de leur situation de fait, au motif que leur situation spécifique et subjective serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays d’origine.

Ils font exposer plus particulièrement qu’ils seraient de confession musulmane et qu’ils auraient été membres du parti politique « DPSS » de Monsieur DJUKANOVIC, ce qui leur aurait causé des problèmes avec les partisans de Monsieur BULATOVIC. Ils font ajouter qu’un retour dans leur pays d’origine serait encore inconcevable en raison de graves problèmes de coexistence avec les membres de la population de confession orthodoxe et des harcèlements qu’ils subiraient de la part de ces derniers, d’autant plus que les autorités en place ne seraient pas en mesure de leur assurer une sécurité suffisante.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs. Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les consorts …-…, lors de leurs auditions respectives en date du 4 avril 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant les craintes de persécution des demandeurs en raison de leur appartenance au parti politique DPSS, il convient de relever que la simple appartenance à un mouvement ou parti politique d’opposition ne saurait justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève et que les demandeurs n’ont fait état ni d’un rôle actif au sein dudit parti, ni encore d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que leur vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine en raison de ladite appartenance politique.

Pour le surplus, en ce qui concerne la situation des membres de la minorité musulmane au Monténégro, il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.En outre, un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, les simples allégations des demandeurs relatives à de prétendus harcèlements de la part de membres de la communauté orthodoxe respectivement de partisans d’un autre parti politique n’établissent pas un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que leur vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir au Monténégro ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de leur pays d’origine ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans. Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ et de mettre en lumière, qu’il est indéniable que depuis le départ des demandeurs, la situation politique en Serbie-

Monténégro s’est considérablement modifiée et qu’un processus de démocratisation est en cours et que les demandeurs n’ont pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’il ne puissent pas utilement se réclamer de la protection des nouvelles autorités.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 décembre 2003 par:

M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Schroeder


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16570
Date de la décision : 17/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-17;16570 ?

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