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17/12/2003 | LUXEMBOURG | N°16309

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 décembre 2003, 16309


Tribunal administratif N° 16309 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 avril 2003 Audience publique du 17 décembre 2003

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Recours formé par Monsieur …, Luxembourg contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16309 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2003 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg,

au nom de M. …, né le … à Saint-Pétersbourg (Fédération de Russie), de nationalité russe, demeurant ...

Tribunal administratif N° 16309 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 avril 2003 Audience publique du 17 décembre 2003

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Recours formé par Monsieur …, Luxembourg contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16309 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2003 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Saint-Pétersbourg (Fédération de Russie), de nationalité russe, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 20 janvier 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du 17 mars 2003 prise par ledit ministre suite à un recours gracieux introduit par le demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 juin 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 16 septembre 2003 au greffe du tribunal administratif en nom et pour compte du demandeur ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 septembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Olivier LANG, en remplacement de Maître Frank WIES, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 11 septembre 2002, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Les 15 novembre, 4 et 20 décembre 2002, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 20 janvier 2003, notifiée par lettre recommandée le 10 février 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté Saint-Petersbourg à la fin du mois d’avril 2002 pour aller d’abord à Kirov, où vous avez séjourné et travaillé pendant cinq mois.

En septembre vous avez quitté Kirov pour Minsk. Là vous avez trouvé un passeur qui vous a emmené dans son camion en partance pour le Portugal. Vous avez cependant choisi de vous arrêter au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 11 septembre 2002.

Vous exposez que vous avez quitté la Russie parce que vous auriez été convoqué au service militaire. Le premier examen médical, que vous avez dû passer à l’âge de dix-sept ans et demi, vous avait déclaré apte. Par la suite, vous n’avez pas été directement convoqué parce que vous aviez entamé des études universitaires. En 2001, vous avez été appelé pour la première fois. Vous dites y avoir échappé pendant un an, mais vous auriez finalement été appelé en février ou en mars 2002. Vous dites avoir suivi une formation de base avant d’être affecté à une unité militaire stationnée près de Gatchina. Ensuite, vous auriez été aligné avec les autres recrues devant un train faisant la liaison Saint-Petersbourg – Vladikavkaz et vous en auriez conclu que vous seriez envoyé en Tchétchénie. Vous ajoutez que le pourcentage de décès dans cette région est très important.

Vous exposez encore que vous auriez participé activement aux réunions de l’association Mères de Soldats de Russie, qui a pour but d’apporter une aide aux personnes désirant échapper au service militaire ; cette aide consisterait en divers trucs et astuces pour contourner les règles légales, telles l’obtention de faux certificats médicaux pour être réformé. Vous reconnaissez cependant que ces activités ne vous ont pas causé de problème.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate d’abord que les problèmes que vous invoquez dans le cadre de votre service militaire restent à l’état de pure supputation ; en effet, rien ne permet d’affirmer que vous auriez vraiment été affecté en Tchétchénie ni, en admettant même que tel soit le cas, que vous seriez ainsi placé dans une position exposée ou que vous devriez participer à des actions que des motifs de conscience valables condamneraient. De toutes façons, ni l’insoumission ni la crainte de peines de ce chef ne sauraient constituer un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Vous pensez que la loi sur le service militaire alternatif ne vous serait pas applicable, mais vous n’avez pas essayé d’en faire la demande. Vous dites de même que vous auriez eu la possibilité d’obtenir un faux certificat médical, mais vous pensez que le résultat aurait été aléatoire.

Il ne résulte pas non plus de votre dossier qu’une éventuelle peine pour insoumission serait disproportionnée par rapport aux faits.

Vous dites avoir fait de nombreux voyages en Angleterre pour affaires, disposer même d’un visa anglais encore valable. Je constate d’abord que vous n’apportez aucune preuve concernant ce visa et que, d’après les renseignements en notre possession, vous ne disposeriez, sous l’identité que vous avez donnée au Luxembourg, d’aucun visa anglais.

Quoiqu’il en soit, si votre dernier séjour en Angleterre date de février 2002, époque où vous vous saviez recherché pour effectuer votre service militaire et si votre situation était aussi précaire en Fédération de Russie que vous voulez bien le dire, vous auriez pu profiter de ce voyage pour vous établir en Angleterre où vous aviez des contacts économiques et professionnels de longue date.

Je constate donc qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 11 mars 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale le 17 mars 2003.

Le 18 avril 2003, Monsieur … a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 20 janvier et 17 mars 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il aurait quitté son pays parce qu’il aurait refusé de poursuivre son service militaire de peur de devoir participer à la guerre en Tchétchénie et parce qu’il craindrait d’être poursuivi et condamné comme déserteur, la condamnation risquant d’être disproportionnée par rapport à la gravité de son infraction.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de prime abord de constater que les déclarations du demandeur ne sont confortées par le moindre élément de preuve tangible relativement à sa désertion et le risque de devoir participer à la guerre de Tchétchénie.

En outre, la désertion n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

Enfin, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur … risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ et d’ajouter que le demandeur n’a pas établi, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Russie et de l’élaboration d’une loi d’amnistie, qu’il risque encore d’être poursuivi voire qu’une condamnation prononcée à son encontre risque encore d’être exécutée effectivement.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 17 décembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16309
Date de la décision : 17/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-17;16309 ?

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