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15/12/2003 | LUXEMBOURG | N°16927

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 décembre 2003, 16927


Tribunal administratif Numéro 16927 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 août 2003 Audience publique du 15 décembre 2003 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16927 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 août 2003 par Maître Tania HOFFMANN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Oust-r>
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Tribunal administratif Numéro 16927 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 août 2003 Audience publique du 15 décembre 2003 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16927 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 août 2003 par Maître Tania HOFFMANN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Oust-

Kamenogorsk (Kazakstan/Fédération de Russie), et de son épouse, Madame …, née le … à Oust-Kamenogorsk, agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité russe, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 22 mai 2003 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative de rejet prise par ledit ministre le 4 août 2003 suite à un recours gracieux introduit par les demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 septembre 2003 ;

Vu l’ordonnance du 14 octobre 2003, par laquelle le vice-président du tribunal administratif a prorogé le délai dans lequel les demandeurs sont autorisés à produire un mémoire en réplique jusqu’au 28 octobre 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 28 octobre 2003 en nom et pour compte des demandeurs ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 novembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Valérie DEMEURE, en remplacement de Maître Tania HOFFMANN, et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

Le 26 mars 2001, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leurs enfants mineurs …, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, les époux …-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Respectivement en date des 20 et 26 mars, 24 avril et 5 juillet 2002, ils furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur leurs motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 22 mai 2003, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté Oust-Kamenogorsk pour aller à Moscou. De là, vous auriez pris place dans un minibus qui vous aurait conduits à Luxembourg. Vous dites avoir traversé la Biélorussie et la Pologne.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 26 mars 2001.

Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire de 1982 à 1985, que vous l’avez terminé avec le grade de capitaine.

Vous auriez été membre de l’association des cosaques du Haut Irtych, qui serait une association de bénévoles qui réunirait des représentants du mouvement cosaque. Dans cette association, il y aurait eu un club sportif, le MOUJESTVO, dans lequel vous auriez été professeur d’arts martiaux, vous dites avoir essayé, par l’intermédiaire du sport, d’enseigner les valeurs et les traditions aux jeunes générations, tant russes que kazakhes.

Vous expliquez que, après que vos élèves aient gagné une compétition en 1998 et aient été décorés du « glaive du guerrier », vous auriez eu des problèmes avec le Comité National de Sécurité. Celui-ci voulait connaître les implications politiques que votre association sportive pouvait couvrir. Par la suite, on vous aurait empêché de participer à des compétitions et d’en organiser.

Vous exposez aussi qu’en 1999, un certain KAZIMIRTCHUK, représentant des mouvements russes et cosaques, aurait été arrêté. Cette personne aurait été accusée de fomenter une insurrection dans le Kazakhstan pour obtenir l’autonomie de l’Est du pays, à majorité russe. Comme les mouvements dont KAZIMIRTCHUK faisait partie étaient liés à votre organisation, vous auriez fait l’objet d’interrogatoires de la part du Comité National de Sécurité. A ces occasions, vous auriez été maltraité. Vos élèves russes auraient subi le même sort. Après la condamnation de KAZIMIRTCHUK, le club sportif aurait dû fermer. Vous auriez cependant poursuivi vos activités dans une autre salle de sport. Celle-ci aurait été mise à sac en septembre 2000.

Vous précisez que les parents de vos élèves auraient porté plainte après l’agression de leurs enfants.

Par la suite, à partir de septembre 2000, vous auriez fait l’objet de menaces. Vous auriez reçu des appels téléphoniques à votre domicile, votre fille aurait été suivie sur le trajet de l’école et on aurait essayé d’incendier votre maison.

Vous prétendez qu’il y aurait une étroite collaboration entre la milice et le Comité National de Sécurité. De ce fait, vous seriez connu des deux et les plaintes que vous déposez n’aboutissent pas.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre mari. Vous confirmez également que votre famille aurait subi des menaces.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate que vous vous dites membre d’un groupe national minoritaire, alors qu’il y a entre 30 et 40 % de russes au Kazakhstan et que la langue véhiculaire officielle est le russe, encore appelée « langue de communication interethnique ». On ne saurait pas vraiment parler de « minorité » dans le cas des Russes du Kazakhstan. Il résulte des renseignements en notre possession que, s’il est vrai que le Kazakhstan est une république au pouvoir fortement centralisé, il y a néanmoins des relations cordiales entre les Kazakhs et les minorités ethniques. Suivant un rapport du UNHCR, il n’y a pas de discriminations initiées par l’Etat ou par des acteurs non-étatiques dans ce pays.

En ce qui concerne vos assertions, elles font davantage état d’un sentiment général d’insécurité, plutôt que d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Pour le surplus, vous ne prouvez pas qu’il vous aurait été impossible de vous établir dans une autre ville pour bénéficier ainsi d’une possibilité de fuite interne.

En conséquence, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par courrier de leur mandataire du 20 juin 2003, les consorts …-… firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 22 mai 2003.

Le ministre de la Justice confirma sa décision initiale par décision du 4 août 2003.

Le 25 août 2003, les consorts …-… ont introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 22 mai et 4 août 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs critiquent en premier lieu le fait que les autorités ministérielles ne leur auraient pas laissé accéder à l’intégralité des informations contenues dans le dossier administratif. Dans ce contexte, ils font valoir qu’à leur arrivée, ils auraient été en possession de différents documents « qui ont été traduits pour les besoins de la procédure par les services du Ministère de la justice » et que malgré demande expresse, « certains documents » ne leur auraient pas été communiqués avec une traduction, de sorte que leurs droits de la défense auraient été lésés et que les décisions encouraient la réformation de ce chef.

Les demandeurs reprochent encore au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Dans ce contexte, ils insistent sur ce qu’en tant que membres de la communauté russe du Kazakhstan et de l’appartenance de M. … à l’association des « cosaques du Haut Irtych », promouvant notamment l’utilisation de la langue russe, ils auraient été victimes de persécutions de la part de membres de la population kazakh et des autorités étatiques. Dans ce contexte, ils insistent sur des menaces, agressions et un incendie criminel de leur appartement, faits en raison desquels, spécialement au regard de l’impossibilité d’obtenir secours et assistance de la part de la milice, ils auraient dû quitter le Kazakhstan, leurs conditions de vie y étant devenues intolérables.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

Concernant le reproche de la non-communication de l’intégralité du dossier administratif et, plus particulièrement, celui tiré de ce que le ministère de la Justice ne leur aurait pas fourni de traduction de certains documents, le délégué rétorque qu’un demandeur d’asile, comme tout demandeur, devrait prouver les arguments qu’il avance, ceci au besoin en produisant des pièces et que s’il estime nécessaire d’en communiquer, il lui incomberait de le faire dans un idiome connu par toutes les parties. Selon le délégué, en l’occurrence, les pièces, dont il serait question en cause, auraient fait parti du dossier des demandeurs d’asile et qu’il leur aurait incombé de les faire traduire eux-mêmes s’ils avaient voulu s’en prévaloir. Ayant omis de ce faire, le ministère de la Justice s’en serait chargé et les demandeurs seraient « particulièrement mal venus d’invoquer une quelconque violation des droits de la défense, parce qu’ils n’auraient eu communication de leurs propres pièces que dans leur propre langue nationale ». Enfin, le mandataire des demandeurs aurait dû se faire expliquer le contenu des pièces par ses mandants.

En ce qui concerne le reproche d’une non-communication complète du dossier et, spécialement, du défaut de produire aux demandeurs des traductions des pièces par eux produites lors de l’introduction de leur demande, à défaut de précision quant aux pièces effectivement visées et de leur contenu et, plus particulièrement, à défaut d’explication concrète en quoi les droits des demandeurs ont pu être lésés par le fait que « certains » documents n’auraient pas été traduits, respectivement que des traductions ne leur auraient pas été fournies, documents dont il n’est cependant pas contesté qu’ils sont rédigés dans la langue maternelle des demandeurs, le tribunal arrive à la conclusion qu’il ne se dégage pas des éléments d’appréciation lui soumis que les droits de la défense des demandeurs ont été lésés, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, sur base des éléments du dossier et sans qu’il soit nécessaire de recourir à des vérifications ou mesures d’instructions supplémentaires, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures non contentieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les discriminations et persécutions mises en avant par les demandeurs ne sont pas d’une gravité telle qu’il s’en dégagerait que leur situation soit devenue insupportable sur l’entièreté du territoire national kazakh.

Plus particulièrement, les demandeurs omettent de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Kazakhstan commettent, tolèrent voire encouragent des agressions à l’encontre des membres de la communauté russe ou qu’elles ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kazakhstan, étant entendu qu’ils n’ont pas établi à suffisance de droit un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place. Les risques allégués par les demandeurs concernent en outre essentiellement leur ville d’origine et ils restent en défaut d’établir, qu’ils ne peuvent pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre ville ou partie du Kazakhstan, spécialement dans la région frontière avec la Russie, région connaissant une très forte concentration de Russes, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées). Par ailleurs, les demandeurs n’établissent pas non plus ne pas pouvoir trouver refuge en Russie, pays dont ils ont la nationalité.

Enfin, le fait qu’une enquête ait été menée par les autorités kazakhs relativement à des activités para-militaires de l’association dont M. … a été membre et qui comportait un club d’arts martiaux, M. … qualifiant lui-même cette association de « club militaire patriotique », ne saurait constituer en lui-seul un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, des exactions commises par les autorités kazakhs dans le cadre de leur enquête restant à l’état de simples allégations.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 15 décembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16927
Date de la décision : 15/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-15;16927 ?

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