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15/12/2003 | LUXEMBOURG | N°16848

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 décembre 2003, 16848


Tribunal administratif N° 16848 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 août 2003 Audience publique du 15 décembre 2003 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts, … contre deux décisions conjointes prises par les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16848 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 août 2003 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg,

au nom de Monsieur …, né le …, et de son épouse Madame …, née le …, agissant tant en leur ...

Tribunal administratif N° 16848 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 août 2003 Audience publique du 15 décembre 2003 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts, … contre deux décisions conjointes prises par les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16848 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 août 2003 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, et de son épouse Madame …, née le …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision conjointe prise par les ministres du Travail et l’Emploi et de la Justice en date du 30 décembre 2002, par laquelle la délivrance d’une autorisation de séjour leur fut refusée, ainsi que d’une décision confirmative rendue sur recours gracieux par les mêmes ministres en date du 5 mai 2003 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 septembre 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom des demandeurs au greffe du tribunal administratif le 23 octobre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Guy THOMAS et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

A la suite d’une demande afférente présentée en date du 13 juillet 2001 par les époux …-…, les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi prirent le 30 décembre 2002 une décision conjointe, portant refus de leur accorder une autorisation de séjour, au motif qu’ils ne disposeraient pas de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis leur permettant de supporter leurs frais de séjour au Luxembourg, « indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à [leur] faire parvenir » et au motif que « votre demande en obtention d’une autorisation de séjour est également à rejeter au regard des directives applicables en matière de régularisation ».

Le mandataire de la famille … introduisit par courrier du 8 avril 2003 un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 30 décembre 2002.

Par décision du 5 mai 2003, les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi informèrent le mandataire de la famille … qu’après avoir procédé au réexamen de leur dossier, et à défaut d’éléments pertinents nouveaux, ils ne sauraient réserver une suite favorable à leur demande.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 août 2003, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … ont fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 30 décembre 2002 et 5 mai 2003.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, introduit en ordre principal, au motif qu’un tel recours ne serait pas prévu en la matière.

Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (cf. trib adm. 28 mai 1997, n° 9667 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Recours en réformation, n° 4 et autres références y citées).

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande principale en réformation des décisions critiquées.

Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Encore que dans leur recours contentieux les demandeurs soutiennent que les décisions litigieuses véhiculeraient à la fois le refus de délivrance d’une autorisation de séjour et d’un permis de travail pour émaner des ministres respectivement compétents à cet égard, force est de constater, au vu des pièces versées au dossier et plus particulièrement du libellé même de la décision litigieuse du 30 décembre 2002, que celle-ci ne comporte aucun élément permettant de retenir qu’elle aurait pour objet le refus de la délivrance d’un permis de travail, ladite décision se référant au contraire expressément à l’examen « de la demande en obtention d’une autorisation de séjour que les demandeurs avaient déposé en date du 13 juillet 2001 auprès du Service commun des ministres du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, de la Solidarité Sociale et de la Jeunesse », de sorte que la seule apposition de la signature du ministre du Travail et de l’Emploi à côté de celle du ministre compétent en la matière directement visée par ladite décision, en l’occurrence le ministre de la Justice, ne saurait suffire pour étendre son objet au-delà de celui y expressément renseigné. Dans ce contexte, il échet encore d’ajouter que le mandataire des demandeurs a confirmé à l’audience à laquelle l’affaire a été plaidée que, malgré les termes de la requête introductive, la demande des consorts … ne serait pas à apprécier dans le contexte d’une demande en obtention d’un permis de travail.

Les demandeurs concluent à l’annulation des décisions critiquées pour motivation insuffisante en ce que lesdites décisions, qui se placeraient dans le cadre des directives que le gouvernement se serait lui-même données dans le cadre de la procédure dite de « régularisation » de certaines catégories d’étrangers séjournant irrégulièrement sur le territoire national mais ayant travaillé depuis le 1er janvier 2000, ainsi que des demandeurs d’asile qui seraient arrivés au Luxembourg avant le 1er juillet 1998, auraient dérogé aux dites directives, sans s’expliquer sur les raisons pour lesquelles l’administration aurait procédé de cette sorte.

Il y a lieu cependant de relever à cet égard que la décision critiquée du 30 décembre 2002, en retenant comme l’un des motifs que « votre demande en obtention d’une autorisation de séjour est également à rejeter au regard des directives applicables en matière de régularisation » s’est nécessairement rapportée au motif de régularisation invoqué par les demandeurs.

Par ailleurs, le délégué du gouvernement a encore précisé la motivation en cours de procédure contentieuse, de sorte que le moyen d’annulation tiré d’un prétendu défaut de motivation des décisions par rapport aux critères de régularisation invoqués est à écarter.

Au fond, les demandeurs se réfèrent à la procédure dite de régularisation pour soutenir qu’ils rempliraient le critère de régularisation énoncé sub. D de la brochure intitulée « régularisation du 15 mars au 13 juillet 2001 de certaines catégories d’étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg », visant les personnes atteintes d’une maladie d’une gravité exceptionnelle ne leur permettant pas de retourner dans leur pays d’origine, en faisant valoir que Madame … serait atteinte d’une anémie, d’une « ferroprivation », de diverses affections rhumatismales, de deux kystes, d’une gastrite chronique ayant déjà abouti à trois reprises à des ulcères gastriques avec complication hémorragique, des douleurs musculaires diffuses, des attaques de vertiges, des troubles de sommeil et d’une dépression, tel que cela ressortirait d’un certificat médical établi par le docteur O. P. en date du 3 février 2003.

Les demandeurs font valoir plus particulièrement que l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère invoqué à la base des décisions litigieuses laisserait un pouvoir d’appréciation extrêmement large au ministre de la Justice pour délivrer des autorisations de séjour et que, ledit article énonçant uniquement des hypothèses dans lesquelles l’autorisation de séjour pourra être refusée, ledit ministre aurait pu se donner en toute légalité des règles applicables dans le cadre de la procédure de régularisation et qu’il aurait dû se tenir aux dites règles, même informelles, sous peine de violer les principes d’égalité devant la loi, de non-discrimination et de confiance légitime.

Dans ce contexte, les demandeurs s’emparent encore des dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que de la Convention relative aux droits de l’enfant, adoptée par les Nations Unies le 20 novembre 1989 et approuvée par une loi du 20 décembre 1993, pour soutenir qu’ils se seraient parfaitement intégrés « dans le tissu social luxembourgeois », étant donné qu’ils se trouveraient sur le territoire luxembourgeois depuis le 22 juin 1999, que l’enfant Adisa serait inscrite au Lycée technique d’Ettelbruck et que son frère Adis aurait suivi des cours d’allemand au Centre de langues à Luxembourg.

Le délégué du gouvernement, se référant d’abord à la situation des demandeurs par rapport aux dispositions de la loi du 28 mars 1972, précitée, fait valoir qu’il ne se dégagerait pas des éléments du dossier que Monsieur … disposerait de moyens personnels suffisants au moment où la décision attaquée fut prise, à défaut d’être titulaire d’un permis de travail.

Quant à la situation des demandeurs par rapport aux critères de régularisation fixés par le gouvernement, il expose qu’il ressortirait du dossier administratif que les requérants auraient coché la case D à l’appui de leur demande en régularisation et qu’au vu des avis du médecin de contrôle médical de la Sécurité sociale des 16 août 2001 et 7 mars 2003, Madame … ne serait pas atteinte d’une affection d’une gravité telle que le retour au pays d’origine serait impossible.

Il est constant en cause que la demande de la famille … a été analysée tant au regard des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, qu’au regard des critères de régularisation tels que fixés dans la brochure afférente.

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Au vœu de l’article 2, précité, une autorisation de séjour peut dès lors être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers.

En l’espèce, force est de constater qu’il ne se dégage ni des éléments du dossier, ni des renseignements qui ont été fournis au tribunal que les demandeurs étaient, à la date de la décision ministérielle critiquée, autorisés à travers un permis de travail à occuper un poste de travail au Grand-Duché, voire à s’adonner à une activité indépendante, et qu’ils pouvaient partant disposer de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour.

A défaut par les demandeurs d’avoir rapporté la preuve de l’existence de moyens personnels, le ministre de la Justice a dès lors valablement pu refuser l’autorisation de séjour sollicitée sur base de ce motif.

Abstraction faite de toute considération quant à la légalité de la brochure destinée à la régularisation des sans-papiers et au-delà de toute considération tenant à l’application directe de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, il ressort des éléments en cause que les demandeurs ont soumis leur demande en obtention d’une autorisation de séjour sur pied de la brochure de régularisation et qu’ils se sont prévalus de la catégorie D de cette brochure, intitulée : « Je réside au Grand-Duché de Luxembourg depuis le 1er janvier 2000 au moins et je suis atteint(e) d’une maladie d’une gravité exceptionnelle ne me permettant pas de retourner endéans un an, dans mon pays d’origine ou dans un autre pays dans lequel je suis autorisé(e) à séjourner ».

En l’espèce, il se dégage d’un certificat médical du docteur O. P. du 3 février 2003 que Madame … fut atteinte d’une anémie, d’une « ferroprivation », de diverses affections rhumatismales, de deux kystes, d’une gastrite chronique ayant abouti à trois reprises à des ulcères gastriques avec complications hémorragiques et qu’elle se plaint de douleurs musculaires diffuses, d’attaques de vertige, de troubles de sommeil et d’une dépression.

Il se dégage cependant des deux avis médicaux du contrôle médical de la Sécurité sociale des 16 août 2001 et 7 mars 2003 que Madame … ne présente pas de pathologie médicale empêchant le rapatriement dans son pays d’origine.

Au vu des pièces du dossier, le tribunal retient que les demandeurs n’ont pas rapporté la preuve que Madame … est atteinte d’une maladie d’une gravité exceptionnelle ne lui permettant pas de retourner dans son pays d’origine, étant donné que la seule appréciation à faire est celle ayant trait au caractère d’une gravité exceptionnelle d’une maladie empêchant le retour au pays d’origine, les troubles mis en avant par les demandeurs, s’ils décrivent certes des problèmes de santé dans le chef de Madame …, ne remplissant pas ce critère.

Dans la mesure où les demandeurs n’ont dès lors pas non plus prouvé qu’ils répondent aux conditions fixées par la catégorie D de la brochure de régularisation, le ministre de la Justice a valablement pu refuser l’autorisation de séjour sollicitée également sur base de ce motif.

Au vu de ce qui précède, le moyen tiré de la prétendue violation des principes d’égalité devant la loi, de non-discrimination et de confiance légitime est également à rejeter, étant donné que les demandeurs ne remplissent pas les conditions de la brochure de régularisation et qu’ils sont restés en défaut de prouver que des personnes se trouvant dans une situation comparable à la leur auraient été traitées objectivement d’une façon différente.

Concernant ensuite le moyen tiré de la mise en péril de la vie familiale des demandeurs, il y a lieu de le rejeter comme dénué de fondement, étant donné que les décisions litigieuses concernent les quatre membres de la famille …, de sorte qu’il ne saurait être question en l’espèce d’une rupture de l’unité familiale par leur effet, c’est à dire qu’il n’y a pas ingérence dans la vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Quant à l’invocation de la violation de la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, le tribunal estime que le simple fait que les enfants des époux …-… séjournent depuis plus de quatre ans sur le territoire luxembourgeois et s’y seraient intégrés, notamment d’un point de vue scolaire, et qu’ils parleraient le luxembourgeois ne saurait mettre en échec les dispositions légales en matière d’autorisation de séjour, d’autant plus que les quatre membres de la famille … ne se trouvent pas séparés entre eux par les effets des décisions attaquées.

Finalement, les demandeurs soutiennent encore que l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai d’un mois à partir de la notification de la décision serait contraire au principe de non-refoulement consacré tant par l’article 14 de la loi du 28 mars 1972, précitée, que par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et les articles 1 et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants.

Cependant, il ne ressort d’aucun élément de preuve tangible du dossier qu’à l’heure actuelle, la vie des demandeurs soit effectivement menacée en cas de retour au Monténégro et que les nouvelles autorités qui y sont au pouvoir soient incapables de leur assurer un niveau de protection suffisant. En effet, force est de constater que la situation politique en Serbie et Monténégro a sensiblement évolué depuis le départ des demandeurs en 1999, qu’un processus de démocratisation est en cours et que les demandeurs n’ont pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’ils ne puissent pas utilement se réclamer de la protection des nouvelles autorités au pouvoir, de sorte que le tribunal n’arrive pas à la conclusion que le ministre de la Justice a commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que les éléments produits en cause sont insuffisants pour établir qu’à l’heure actuelle, en cas de retour au Monténégro – le cas échéant dans une autre ville du Monténégro que celle dans laquelle ils ont vécu avant leur départ – les demandeurs soient exposés à un risque pour leur vie ou leur intégrité physique de la part de certains membres de la population de leur pays d’origine et que les autorités chargées du maintien de l’ordre tolèrent ou encouragent pareils méfaits.

Il suit des considérations qui précèdent que les décisions ministérielles critiquées sont légalement fondées et que les demandeurs sont à débouter de leur recours.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais .

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 15 décembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16848
Date de la décision : 15/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-15;16848 ?

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