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15/12/2003 | LUXEMBOURG | N°16674

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 décembre 2003, 16674


Tribunal administratif N° 16674 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juillet 2003 Audience publique du 15 décembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16674 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 juillet 2003 par Maître Alain GROSS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, entrepreneur, de

meurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Classes moyennes, ...

Tribunal administratif N° 16674 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juillet 2003 Audience publique du 15 décembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16674 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 juillet 2003 par Maître Alain GROSS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, entrepreneur, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 17 juin 2003 par laquelle celui-ci a refusé de lui accorder l’autorisation d’établissement pour la société K. s.à r.l. en vue de l’exercice de l’activité d’« entreprise de constructions et de façades » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 septembre 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2003 au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Pascale PETOUD, en remplacement de Maître Alain GROSS, et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

En date du 14 mars 2001, Monsieur … sollicita au nom de la société K. s.à r.l. auprès du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, ci-après désigné le « ministre », l’autorisation d’exercer l’activité d’« entreprise de constructions et de façades ».

Une première décision négative fut rendue par le ministre en date du 31 août 2001, suite à un avis défavorable du 9 août 2001 de la commission prévue par l’article 2 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel, ainsi qu’à certaines professions libérales, ci-après désignées respectivement la « commission » et la « loi d’établissement ».

Dans le cadre d’une demande de réexamen, le ministre, par courrier du 4 février 2003, informa le mandataire de Monsieur … qu’il refusait à nouveau de faire droit à cette demande au motif que « le résultat m’amène à vous informer que suite à un second avis défavorable du Parquet du Tribunal d’Arrondissement de Luxembourg concernant l’implication de Monsieur … dans la faillite de la société T. SARL, avis dont je partage la teneur, je suis au regret de maintenir ma décision du 31 août 2001. » Suivant courrier du 19 mai 2003, le ministre répondit à divers courriers de réclamation du mandataire de Monsieur … en les termes suivants : « Avant de pouvoir prendre une décision définitive, je prie votre mandante de prendre position concernant l’avis de Monsieur E., 1er substitut, dont copie en annexe. » Suite à un nouveau courrier du mandataire de Monsieur … du 26 mai 2003, le ministre, par courrier du 17 juin 2003 informa ledit mandataire qu’il refusait de faire droit à la demande en autorisation d’établissement au motif que « le résultat m’amène à vous informer que selon l’avis de la commission y prévue [à l’article 2 de la loi d’établissement] Monsieur Marc … ne présente plus la garantie nécessaire d’honorabilité professionnelle en raison de son implication dans la faillite de la société T. SARL en tant que personne interposée, pratique interdite à l’article 5 de la loi d’établissement précitée, tel que cela résulte notamment d’un avis formel du Parquet du Tribunal d’Arrondissement.

Comme je me rallie à la prise de position de cet organe de consultation, je suis au regret de ne pouvoir faire droit à votre requête dans l’état actuel du dossier en me basant sur l’article 3 et l’article 5 de la loi susmentionnée (…). » Par requête déposée le 4 juillet 2003, Monsieur … a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 17 juin 2003.

L’article 2 (6) de la loi d’établissement, telle que modifiée par la loi du 4 novembre 1997 portant modification des articles 2, 12, 22 et 26 de la loi d’établissement, prévoit expressément que le tribunal administratif statue comme juge d’annulation en matière d’autorisations d’établissement. Le recours en annulation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur estime que le ministre a fait une appréciation erronée de sa situation en considérant qu’il ne présenterait plus la garantie nécessaire d’honorabilité professionnelle en raison de son implication dans la faillite de la société T. en tant que personne interposée, étant donné qu’il n’aurait jamais été associé dans cette société, qu’il n’aurait jamais exercé une quelconque fonction au sein de cette société, que sa nomination en tant que gérant technique aurait été faite à son insu lors d’une assemblée générale à laquelle il n’était pas présent, qu’il n’aurait jamais été lié par un contrat de travail à ladite société, qu’il n’aurait d’ailleurs jamais exécuté de prestations de service pour cette société et qu’il n’aurait jamais reçu le moindre salaire, de sorte qu’il serait établi qu’il n’aurait jamais eu l’intention de mettre son autorisation d’établissement à la disposition de la société T. et qu’il serait victime d’une usurpation qui ne saurait en aucune manière lui porter préjudice.

Pour le surplus, le demandeur fait valoir que d’après l’article 5 de la loi d’établissement, qui prévoit que « nul ne peut servir de personne interposée dans le but d’éluder les dispositions de la présente loi », l’interposition ne serait réalisée qu’à la condition que la personne interposée aurait l’intention de contourner les dispositions légales, ce qui ne serait manifestement pas son cas, puisqu’il aurait été victime d’une usurpation et que de toute façon il appartiendrait à l’administration de rapporter la preuve de son implication dans ladite faillite et non pas à lui de démontrer son absence d’implication.

Le délégué du gouvernement rappelle en premier lieu que la demande initiale en autorisation d’établissement du demandeur date du mois de mars 2001, que la commission avait rendu déjà en date du 9 août 2001 un avis unanimement négatif concernant l’honorabilité professionnelle du demandeur, rapport fondé notamment sur un avis du Parquet économique du 4 juillet 2001, et que le ministre avait pris une première décision de refus en date du 31 août 2001. Suite à une demande en réexamen du 4 septembre 2001, le Parquet économique avait maintenu son avis défavorable en date du 19 septembre 2002 et la commission avait rendu un nouvel avis unanimement négatif le 23 janvier 2003, avis auquel le ministre s’est rallié dans sa décision de refus du 4 février 2003. Finalement, la décision attaquée du ministre du 17 juin 2003 aurait de nouveau fait suite à un avis unanimement négatif de la commission du 12 juin 2003.

Quant au fond, le délégué du gouvernement relève que pour obtenir l’autorisation d’établissement, le postulant doit disposer de l’honorabilité professionnelle, conformément aux dispositions de l’article 3, alinéa 1er de la loi d’établissement et que cette honorabilité serait évaluée sur base des antécédents judiciaires du postulant et de tous les éléments fournis par l’enquête administrative. Il se réfère plus particulièrement à l’avis circonstancié du Parquet économique du 4 juillet 2001, formellement confirmé dans sa teneur le 19 septembre 2002, duquel il se dégagerait que Monsieur … devrait être considéré comme personne interposée, compromettant ainsi son honorabilité professionnelle.

Le délégué du gouvernement relève pour le surplus que le fait de se servir d’une personne interposée est non seulement une pratique spécifique proscrite de manière expresse par la loi d’établissement et qui se suffit à elle-même, mais constitue par ailleurs une pratique de nature à compromettre, par voie de conséquence, l’honorabilité professionnelle de ceux qui sont impliqués par cette manœuvre, ceux qui s’y prêtent et ceux qui en sont à l’origine. S’il est exact que la société T., tombée en faillite, n’avait pas obtenu en définitive d’autorisation d’établissement, ceci n’empêcherait pas que Monsieur … devrait être considéré comme personne interposée dans ladite société, étant donné que la demande en autorisation pour compte de la société T. avait été introduite par une fiduciaire au nom de Monsieur …, que le dossier de la société T. contenait à la fois un extrait du casier judiciaire et un certificat de non-

faillite effectué devant notaire au nom de Monsieur …, de même que l’original du certificat de l’examen de maîtrise pour l’activité envisagée, pièces que seul ce dernier avait pu obtenir et fournir au moment de cette demande en autorisation. Partant la décision ministérielle attaquée, fondée sur le défaut d’honorabilité professionnelle, serait justifiée et ne saurait encourir l’annulation.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur insiste encore une fois sur le fait qu’il a été nommé gérant technique à son insu dans la société T. lors de l’assemblée générale du 18 décembre 1996, qu’il n’aurait jamais signé de contrat de travail avec cette société et qu’il ressortirait du rapport du curateur de la faillite T. qu’il n’aurait joué aucun rôle actif dans l’avènement de la faillite, de sorte qu’il ne serait pas possible de conclure sur base des pièces figurant au dossier à un défaut d’honorabilité dans son chef.

Dans le cadre d’un recours en annulation, l’appréciation du caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis est limitée aux cas exceptionnels où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par cette autorité (cf.

Cour adm. 18 juin 2002, n° 14771C du rôle, Pas. adm. 2003, V° Recours en annulation, n° 11 et autres références y citées).

En vertu des dispositions de l’alinéa 1er de l’article 3 de la loi d’établissement « l’autorisation ne peut être accordée à une personne physique que si celle-ci présente les garanties nécessaires d’honorabilité et de qualification professionnelles ». D’après l’alinéa final du même article 3, « l’honorabilité s’apprécie sur base des antécédents judiciaires du postulant et de tous les éléments fournis par l’enquête administrative ».

Ainsi, toutes les circonstances révélées par l’enquête administrative et pouvant avoir une incidence sur la manière de l’exercice de la profession faisant l’objet de la demande d’autorisation doivent être prises en compte par le ministre compétent pour admettre ou refuser l’honorabilité dans le chef du demandeur d’une autorisation. Si le seul fait d’avoir été impliqué dans une faillite n’entraîne pas nécessairement et péremptoirement le défaut d’honorabilité professionnelle dans le chef du demandeur, toujours est-il que des faits permettant de conclure dans le chef du gérant à l’existence d’actes personnels portant atteinte à l’honorabilité professionnelle, constituent des indices suffisants pour refuser l’autorisation sollicitée (cf. trib. adm. 5 mars 1997, n° 9196 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Autorisation d’établissement, n° 94 et autres références y citées).

Les éléments fournis par un curateur de faillite, le procureur général d’Etat et le procureur d’Etat constituent une base suffisante pour apprécier l’honorabilité professionnelle d’une personne, même en l’absence de poursuites pénales (cf. trib. adm. 22 mars 1999, n° 10716 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Autorisation d’établissement, n° 96 et autres références y citées).

Une personne ayant servi de personne interposée pour la direction d’une société, fait incriminé de sanctions pénales, ne jouit plus de l’honorabilité professionnelle requise en vue de remplir des fonctions de gestion ou de direction d’une entreprise (cf. trib. adm. 10 juillet 1997, n° 9573 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Autorisation d’établissement, n° 105 et autre référence y citée).

En l’espèce, s’il est exact que le demandeur n’a jamais posé officiellement d’actes pour compte de la société T. en faillite, qu’il n’était pas présent lors de l’assemblée générale extraordinaire de ladite société du 18 décembre 1996 l’ayant nommé gérant technique et qu’aucun contrat de travail entre ladite société et le demandeur ne figure au dossier administratif, il se dégage cependant des pièces du dossier, et plus particulièrement du courrier du 10 janvier 1997 de Maître C. C. pour compte de la société T., que Monsieur … avait remis audit mandataire de la société T. le certificat délivré par la Chambre des Métiers du Grand-Duché de Luxembourg, duquel il ressort qu’il a passé avec succès l’examen de maîtrise dans le métier d’entrepreneur de construction à la date du 22 juillet 1995, ainsi qu’un extrait de son casier judiciaire, documents qui ont servi dans une demande officielle du 10 janvier 1997 en vue de l’obtention d’une autorisation d’établissement pour compte de la société T..

Pour le surplus, il ressort d’un courrier du 26 juin 2001 de Maître M. F., curateur de la faillite T., à l’adresse du Parquet du Tribunal d’Arrondissement de Luxembourg que Monsieur … l’a assisté dans les opérations de liquidation de la faillite.

Finalement, il ressort encore du rapport du Parquet économique du 4 juillet 2001, dont les termes ont été maintenus dans un courrier du 19 septembre 2002, que le demandeur a affirmé ne pas s’être occupé de la gestion de la société T., qu’il ne se sentirait pas concerné par la survenance de la dite faillite et surtout que « de son propre aveu il a servi « d’homme de paille » ».

Il suit de ce qui précède que c’est à bon droit que le ministre a estimé dans sa décision du 17 juin 2003, au vu de tous les éléments recueillis lors de l’enquête administrative, que Monsieur … ne présente pas la garantie nécessaire d’honorabilité professionnelle en raison de son implication dans la faillite de la société T. en tant que personne interposée, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 15 décembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16674
Date de la décision : 15/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-15;16674 ?

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