La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/12/2003 | LUXEMBOURG | N°16547

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 décembre 2003, 16547


Tribunal administratif N° 16547 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juin 2003 Audience publique du 15 décembre 2003

================================

Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16547 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juin 2003 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom d

e M. …, né le … à Tirana (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à l...

Tribunal administratif N° 16547 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juin 2003 Audience publique du 15 décembre 2003

================================

Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16547 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juin 2003 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Tirana (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 26 mai 2003 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 septembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sandra FADI, en remplacement de Maître Michel KARP, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

En date du 25 mars 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 25 avril 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 26 mai 2003, notifiée par lettre recommandée le 2 juin 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous êtes arrivé au Luxembourg le 25 mars 2003.

Vous exposez que votre sœur aurait été violée le 20 janvier 2001. Le 20 janvier 2002 votre frère aurait tué l’auteur de cet acte étant donné que la police n’aurait pas arrêté cette personne en raison de ses bonnes relations.

Vous expliquez que maintenant la famille de l’auteur du viol voudrait se venger sur un membre de votre famille selon la loi coutumière du « Kanun ». Vous auriez eu peur que le choix tombe sur vous, étant donné que votre frère aurait pris la fuite. Une réconciliation entre les deux familles aurait été entamée selon vos déclarations.

Force est cependant de constater que vos problèmes relèvent plutôt du domaine de la criminalité de droit commun sans arrière fond politique. Les membres de la famille qui essayerait de prendre la revanche de sang selon la loi coutumière du « Kanun » ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

En outre, les autorités albanaises s’efforcent de combattre ces pratiques de revanches.

Des médiateurs sont fréquemment désignés avec l’aide d’organisations non gouvernementales étrangères afin de résoudre ces problèmes entre familles ce qui est d’ailleurs le cas en l’espèce.

Il ne résulte pas de vos déclarations que vous auriez effectivement cherché la protection de l’Etat.

Je constate que selon nos informations la pratique du « Kanun » n’existe actuellement quasiment plus à Tirana, mais plutôt encore dans les régions du Nord de l’Albanie.

Vous restez en défaut d’établir que votre situation particulière est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 12 juin 2003, Monsieur … a introduit un recours en annulation sinon en réformation contre la décision ministérielle de refus du 26 mai 2003.

Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. – Il s’ensuit que le recours principal en annulation est irrecevable.

Le recours en réformation introduit en ordre subsidiaire est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il aurait quitté sa ville et son pays d’origine en raison d’une criminalité largement répandue et des règlements de compte entre les différents clans et familles. Faisant état du fait que, pour se venger du viol de leur sœur, son frère aurait assassiné l’auteur dudit viol et qu’en application de la loi coutumière du « Kanun », il risquerait d’être tué par les membres de la famille de la victime de son frère, tout en se disant d’ores et déjà victime de menaces de mort, il estime que sa vie serait mise en danger en cas de retour en Albanie.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que le demandeur fait état d’actes de persécutions émanant non pas des autorités de son pays d’origine pour un des motifs prévus par la Convention de Genève, mais d’actes rentrant dans le cadre d’une criminalité de droit commun, de sorte que si l’existence d’une persécution protégeable sur base de ladite Convention ne saurait être exclue définitivement, cette protection n’est cependant justifiée que dans l’hypothèse où, pour un des motifs prévus par la Convention, les autorités spécifiquement compétentes pour la poursuite et la répression des infractions et persécutions commises soit encouragent ou tolèrent ces actes, soit sont incapables d’entreprendre des démarches d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion contre la commission de tels actes de la part des habitants de l’Albanie.

Dans les deux cas de figure, il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en exergue par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution de ce type.

En l’espèce, force est de constater que les éléments du dossier ne permettent de retenir ni que le demandeur a concrètement recherché la protection des autorités en place dans son pays d’origine, ni a fortiori le refus voire l’incapacité de ces dernières pour lui assurer un niveau de protection suffisant, ni encore le défaut de toute poursuite des actes de persécution commis à son encontre.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, déclare le recours en annulation irrecevable, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 15 décembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16547
Date de la décision : 15/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-15;16547 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award