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10/12/2003 | LUXEMBOURG | N°17229

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2003, 17229


Tribunal administratif N° 17229 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 décembre 2003 Audience publique du 10 décembre 2003 Recours formé par Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17229 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le 23 avril 1972, de nationalité bulgare,

ayant été placée au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irréguliè...

Tribunal administratif N° 17229 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 décembre 2003 Audience publique du 10 décembre 2003 Recours formé par Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17229 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le 23 avril 1972, de nationalité bulgare, ayant été placée au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 6 novembre 2003 instituant à son égard une mesure de placement pour une durée maximum d’un mois audit Centre de séjour provisoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 décembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 décembre 2003 ;

Madame …, de nationalité bulgare, après avoir fait l’objet de contrôles policiers en date des 16 et 25 octobre 2003 ayant révélé qu’elle s’adonnait à la prostitution au Luxembourg, s’est vu notifier en date du 6 novembre 2003 un arrêté du ministre de la Justice ordonnant à son encontre une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Luxembourg/Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de cette notification en attendant son éloignement. Ledit arrêté est motivé comme suit :

« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu les Rapports n° 65662, 65686 des 17 et 27 octobre 2003 établis par la Police Grand-

Ducale, SREC, section mœurs ;

Considérant que l’intéressée a été contrôlée en date des 16 et 25 octobre 2003 par la Police Grand-Ducale ;

 qu’elle s’adonne à la prostitution, partant à une activité lui procurant des moyens d’existence sans être en possession d’une autorisation de séjour ;

 qu’elle ne dispose pas de moyens d’existence autres que ceux lui revenant de la prostitution ;

Considérant qu’elle se trouve en séjour irrégulier ;

Considérant que l’éloignement immédiat de l’intéressée n’est pas possible ;

Considérant que des raisons tenant à un risque de fuite nécessitent que l’intéressée soit placée au Centre de séjour pour étrangers en situation irrégulière à Luxembourg/Schrassig en attendant son éloignement. » Par requête déposée en date du 3 décembre 2003, Madame … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 6 novembre 2003.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse.

La demanderesse n’étant plus, au jour des présentes, placée au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière par application de la décision litigieuse, le tribunal ne saurait plus utilement statuer par réformation en ordonnant sa mise en liberté pure et simple. La demanderesse s’étant néanmoins emparée, en termes de plaidoiries, d’un intérêt à voir contrôler la légalité de la décision litigieuse, il y a lieu de considérer le recours sous examen dans la mesure des moyens de légalité invoqués et de le déclarer recevable dans cette même mesure pour avoir été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse relève qu’au moment de son interception par les autorités policières luxembourgeoises, elle était munie d’un passeport bulgare valable, ainsi que de la somme de 350,- €, suffisante à son avis pour supporter ses frais de séjour et de voyage. Dans la mesure où elle serait dispensée, en tant que ressortissante bulgare, de la formalité d’un visa d’entrée dans l’espace Schengen, elle estime que c’est à tort que le ministre de la Justice lui reproche un séjour irrégulier au pays, alors que d’après les dispositions de la Convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 approuvée au Luxembourg par une loi du 3 juillet 1992, elle pourrait se déplacer librement dans tout l’espace Schengen. Elle fait valoir en outre que le ministre de la Justice resterait en défaut d’établir une impossibilité de procéder à son éloignement immédiat, pour soutenir que les conditions d’application de l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ne seraient pas non plus respectées sous cet aspect.

Le délégué du Gouvernement rétorque à cet égard que même si les ressortissants bulgares n’ont plus besoin d’un visa pour se rendre au Grand-Duché du Luxembourg, ils devraient néanmoins prouver qu’ils sont en possession de moyens d’existence légitimes pour assurer leur séjour et leur retour dans leur pays d’origine.

Estimant que cette condition ne serait pas remplie dans le chef de la demanderesse faute pour elle de pouvoir faire valoir l’existence de moyens d’existence et des revenus réguliers qui auraient permis d’assurer son séjour au pays, il estime que la mesure de placement serait parfaitement légale. Il s’empare à cet égard des dispositions de l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée pour soutenir que les étrangers non autorisés à résidence qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour peuvent être éloignés sans autre forme de procédure.

Il expose ensuite qu’un refoulement immédiat de la demanderesse en Bulgarie aurait été impossible non seulement parce qu’une liaison aérienne directe entre le Luxembourg et la Bulgarie ferait défaut, mais encore parce que les autorités bulgares demanderaient un préavis afin de pouvoir contrôler si la personne à rapatrier est effectivement de nationalité bulgare, de sorte que, dans ces conditions, le placement de l’intéressée au Centre de séjour provisoire et son maintien dans ce centre en attendant l’organisation du rapatriement auraient été indispensables.

Concernant la justification, au fond, de la mesure de placement, il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 que lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la même loi est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois.

Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise, ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.

Il se dégage du dossier et des renseignements dont dispose le tribunal que l’éloignement projeté de l’intéressée est basé sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence, « 1. qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ; 2. qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ; 3. auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de la présente loi ; 4. qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ; 5. qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2, paragraphe 2, de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvées en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics… ».

En l’espèce, les parties sont en accord pour admettrent que la demanderesse, en tant que ressortissante bulgare, n’est pas soumise à l’obligation de visa et peut dès lors, en principe, circuler librement dans l’espace Schengen pendant une durée maximale de 3 mois, sans pour autant être autorisée à résidence.

Conformément aux dispositions de l’article 20, 1. de la Convention d’application de l’accord Schengen, le droit de circuler ainsi conféré ne vaut que pour autant que l’étranger concerné remplit les conditions d’entrée visées à son article 5, paragraphe 1, sub a), c), d) et e).

Au-delà de la question de savoir si en l’espèce la somme de 350,-€ dont disposait la demanderesse est à considérer comme étant suffisante pour assurer les frais d’un court séjour au pays, force est encore de constater que la conséquence envisagée par la Convention d’application de Schengen dans l’hypothèse où l’étranger ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions de court séjour applicables sur le territoire de l’une des parties contractantes, consiste, d’après son article 23, 1, dans le fait qu’elle « doit en principe quitter sans délai les territoires des parties contractantes », de manière à mettre fin à son séjour, sans que celui-ci puisse pour autant être considéré comme étant devenu de ce seul fait irrégulier au sens de l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée.

S’il est vrai que conformément aux dispositions du point c) dudit article 5, l’étranger concerné doit « présenter le cas échéant les documents justifiant de l’objet et des conditions du séjour envisagé et disposer des moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays de provenance ou le transit vers un Etat tiers dans lequel son admission est garantie, ou être en mesure d’acquérir légalement ces moyens », il n’en demeure pas moins que cette condition tenant aux moyens de subsistance est une condition de court séjour, de manière à ne pas pouvoir être interprétée avec une sévérité susceptible de rendre impossible des voyages à coût réduit notamment dans le chef de personnes à revenus modestes.

Quant à l’obligation, invoquée en termes de plaidoiries par le délégué du Gouvernement, d’éloigner l’étranger concerné du territoire de la partie contractante sur lequel il a été appréhendé, force est encore de constater qu’elle n’est envisagée par les dispositions de l’article 23, 3. de la Convention d’application de l’accord de Schengen, que dans l’hypothèse où le départ volontaire d’un tel étranger n’est pas effectué ou lorsqu’il peut être présumé que ce départ n’aura pas lieu ou si le départ immédiat de l’étranger s’impose pour des motifs relevant de la sécurité nationale ou de l’ordre publics.

Dans la mesure où le dossier tel que présenté en cause ne permet pas de dégager un refus dans le chef de la demanderesse de quitter volontairement le pays, ni d’établir un quelconque motif relevant de la sécurité nationale ou de l’ordre public justifiant le départ immédiat de l’étranger, l’arrêté ministériel litigieux ne repose pas sur un motif légal justifiant une mesure de refoulement, susceptible de lui servir de base.

Il se dégage des considérations qui précèdent qu’il y a lieu, dans le cadre du recours en réformation introduit, d’annuler l’arrêté ministériel litigieux du 6 novembre 2003.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

partant, dans le cadre du recours en réformation introduit, annule l’arrêté ministériel déféré du 6 novembre 2003 ;

condamne l’Etat aux frais .

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 décembre 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17229
Date de la décision : 10/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-10;17229 ?

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