La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/12/2003 | LUXEMBOURG | N°17226

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2003, 17226


Tribunal administratif N° 17226 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 décembre 2003 Audience publique du 10 décembre 2003

===============================

Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17226 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 décembre 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l

’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Santa Catarina (Cap Vert), de nati...

Tribunal administratif N° 17226 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 décembre 2003 Audience publique du 10 décembre 2003

===============================

Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17226 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 décembre 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Santa Catarina (Cap Vert), de nationalité cap-verdienne, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 26 novembre 2003 ordonnant son placement audit Centre pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 décembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Par décision du ministre de la Justice du 26 novembre 2003, Monsieur …fut placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu le rapport no 95377 du 26 novembre 2003 établi par la Police Grand-Ducale, Service Régional de Polices Spéciales ;

Vu mes courriers des 24 février et 28 mai 2003 invitant l’intéressé à quitter le pays ;

Considérant qu’en date du 14 mars et 14 juillet 2003 le permis de travail lui a été refusé par le Ministère du Travail ;

Considérant que l’intéressé est dépourvu d’une autorisation de séjour valable depuis le 28 février 2003 ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

- qu’un éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par requête déposée le 2 décembre 2003 au greffe du tribunal administratif, Monsieur …a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision de placement du 26 novembre 2003.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être arrivé au Grand-Duché de Luxembourg et y séjourner depuis l’année 1994, s’être vu délivrer une autorisation de séjour par les autorités luxembourgeoises en date du 28 février 2002 avec une durée de validité expirant le 28 février 2003, ladite autorisation ayant été délivrée à condition d’obtenir « un emploi rémunéré », qu’il s’est vu délivrer un permis de travail en date du 6 septembre 2002, que l’employeur auprès duquel il aurait travaillé au courant de l’année 2002 l’aurait licencié au mois de septembre 2002, que depuis cette date, il aurait été à la recherche d’un nouvel emploi et qu’au vu des difficultés qu’il aurait rencontré sur le marché de l’emploi luxembourgeois afin de trouver un emploi stable, il aurait été contraint d’accepter des « emplois précaires », dans le cadre du travail intérimaire, de manière à pouvoir travailler « de façon officielle » du mois de mars 2003 au mois de juillet 2003, que ce n’est qu’au mois de novembre 2003 qu’il aurait trouvé un employeur qui serait prêt à l’engager à durée indéterminée, que dans ce cadre aurait été signé un contrat de travail à durée indéterminée en date du 18 novembre 2003, que dès la signature dudit contrat, son employeur aurait introduit une déclaration d’engagement tendant à obtenir la délivrance d’un permis de travail, qu’en date du 26 novembre 2003, il aurait été arrêté sur son lieu de travail par les forces de l’ordre pour être transféré immédiatement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière et que le lendemain, son employeur se serait vu notifier la décision par laquelle le ministre du Travail et de l’Emploi a refusé la délivrance d’un permis de travail dans son chef.

Il fait encore soutenir que la décision litigieuse aurait pour effet de le séparer de son enfant …, née le … sur le territoire luxembourgeois, dont la mère serait actuellement au Portugal pour tenter d’y obtenir des titres de séjour, alors que ni elle-même ni lui-même n’en bénéficient pas non plus dans ce pays.

Le demandeur invoque tout d’abord « l’absence des conditions pour prononcer une mesure de placement », au motif que l’autorité administrative resterait en défaut de prouver un risque réel dans son chef de se soustraire à la mesure de rapatriement ultérieure, étant donné qu’il n’aurait « jamais cherché à cacher aux autorités administratives sa situation précise sur le sol luxembourgeois », en ce qu’il y aurait vécu de façon « transparente », ce qui ressortirait des certificats de résidence qu’il a versés à l’appui de son recours et de son affiliation tant auprès des organismes de sécurité sociale qu’auprès d’un syndicat luxembourgeois. Ces éléments témoigneraient de sa volonté de vivre « à son adresse officielle » et qu’il n’aurait à aucun moment eu l’intention de vivre dans une situation de clandestinité.

Pour le surplus, il soutient ne pas constituer un danger pour l’ordre public, un tel danger n’étant d’ailleurs pas relevé par les autorités compétentes, alors qu’au contraire, il aurait utilisé toute son « énergie» afin de trouver un emploi stable au Luxembourg, tout en étant inscrit auprès des organismes de sécurité sociale.

Il reproche encore aux autorités compétentes de ne pas avoir entrepris tous les efforts et toutes les démarches nécessaires afin d’assurer son éloignement sans retard dans les délais les plus brefs.

Enfin, il souligne le caractère disproportionné de la décision sous analyse, en insistant sur le fait que la situation dans laquelle il se trouverait actuellement serait essentiellement sinon exclusivement due au fait qu’il aurait « eu le malheur » de perdre son emploi en septembre 2002, ce qui aurait eu pour conséquence, à défaut de bénéficier d’un contrat de travail à durée indéterminée, qu’il s’est vu refuser le renouvellement de son autorisation de séjour. Il estime que cette situation serait d’autant plus injuste qu’elle aurait été indépendante de sa volonté, alors qu’il aurait employé tous ses efforts afin de trouver un emploi à durée indéterminée « de substitution » à celui dont il bénéficiait antérieurement. Dans ce contexte, il insiste sur le fait que les nombreuses prestations qu’il aurait accomplies dans le cadre du travail temporaire ne lui auraient pas permis de solliciter le renouvellement de son titre de séjour, à défaut de pouvoir bénéficier, au titre de ce travail intérimaire, de permis de travail afférents. Il ajoute que le récent contrat de travail à durée indéterminée qu’il a pu conclure au mois de novembre 2003 aurait été de nature à justifier le renouvellement de son autorisation de séjour, s’il n’avait pas été placé au Centre de séjour provisoire par la décision sous analyse.

Au titre du caractère disproportionné de la décision sous examen, il invoque encore la séparation, du fait de son refoulement vers son pays d’origine, avec sa fille …, résidant au Luxembourg auprès de sa grand-mère maternelle, l’exécution de ladite mesure de refoulement portant ainsi une atteinte « illégitime » au respect de la « cellule familiale ainsi constituée».

Le délégué du gouvernement confirme que le demandeur s’est vu délivrer une autorisation de séjour le 1er mars 2002, valable jusqu’au 28 février 2003, par la cellule dite « de régularisation » mise en place par le gouvernement dans le cadre de la régularisation des sans papiers demeurant au Luxembourg. Il se réfère dans ce contexte au fait que ladite autorisation de séjour avait été émise au vu d’un permis de travail dont le demandeur bénéficiait et qu’elle était renouvelable, à son échéance, à condition que le demandeur bénéficie d’un nouveau permis de travail. Il expose encore qu’à la suite de la résiliation du contrat de travail au sujet duquel ledit permis de travail avait été émis, le ministre du Travail et de l’Emploi avait accordé, en date du 6 septembre 2002, et « à titre tout à fait exceptionnel », un permis de travail pour un nouvel employeur, valable jusqu’au 28 février 2003. Or, il ressortirait d’un rapport de la police grand-ducale du 31 janvier 2003 que ni le demandeur ni sa concubine, mère de l’enfant commun, ne travailleraient et n’auraient de moyens d’existence propres. Malgré le fait que le demandeur aurait été invité à quitter le pays pour le 28 février 2003 au plus tard, il ressortirait d’un rapport de la police grand-ducale du 10 mars 2003, que le demandeur n’avait toujours pas quitté le pays et qu’il aurait déclaré à cette occasion ne pas vouloir quitter le Luxembourg. A deux reprises, à savoir en dates des 14 mars et 14 juillet 2003, des permis de travail auraient à nouveau été refusés par le ministre du Travail et de l’Emploi. Le demandeur aurait à nouveau été invité à quitter le pays en dates des 28 avril et 20 novembre 2003. Le délégué du gouvernement signale encore l’existence d’un arrêté de refus d’entrée et de séjour au pays, pris par le ministre de la Justice le 10 juin 2003, transmis au service de police judiciaire « pour notification et exécution ». Dans la mesure où le demandeur a été intercepté en date du 26 novembre 2003 auprès de son employeur, où il s’adonnait à une activité rémunérée sans toutefois être en possession d’un permis de travail valable, le présent arrêté de placement a été pris par le ministre de la Justice.

Quant à l’existence, dans le chef du demandeur, d’un danger de se soustraire à l’exécution de la mesure de rapatriement, le représentant étatique insiste sur le fait que malgré que le demandeur a été invité à plusieurs reprises à quitter le territoire luxembourgeois, il aurait toujours refusé de ce faire, de sorte qu’il y aurait lieu de conclure à un tel danger de soustraction dans son chef.

En outre, le défaut pour le demandeur de constituer un danger pour l’ordre public ne constituerait pas un motif devant entraîner la réformation ou l’annulation de la décision entreprise, étant donné que le placement d’un étranger au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière n’exigerait pas dans le chef de celui-ci qu’il soit susceptible de porter atteinte à l’ordre public.

Quant au reproche suivant lequel le ministre de la Justice n’aurait pas entamé toutes les procédures et diligences nécessaires afin d’obtenir le rapatriement du demandeur vers son pays d’origine dans les plus brefs délais, le représentant étatique signale que tel que cela ressortirait d’un rapport de la police grand-ducale du 28 novembre 2003, celle-ci serait saisie de l’organisation et de l’exécution de la mesure d’éloignement et qu’elle serait actuellement en train d’organiser le rapatriement du demandeur.

Enfin, en ce qui concerne la disproportion de la mesure prise, dans la mesure où elle entraînerait la séparation du demandeur avec sa fille mineure résidant au Luxembourg, le délégué du gouvernement insiste sur le fait que non seulement le demandeur, mais également sa fille, qui serait également de nationalité cap-verdienne, seraient en séjour irrégulier au pays.

Il y a d’abord lieu d’analyser le moyen soulevé en dernier lieu par le demandeur, et tiré du caractère disproportionné de la mesure prise, qui vise en substance la légalité de la décision de placement, en ce que celle-ci ne serait pas basée sur une mesure de refoulement légalement prise.

Il est constant en cause que la mesure de placement n’est pas basée sur une décision d’expulsion. Il convient partant d’examiner si la mesure en question est basée sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence :

« 1) qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3) auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de [la loi précitée du 28 mars 1972] ;

4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ;

5) qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2 paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

Aucune disposition législative ou réglementaire ne déterminant la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi du 28 mars 1972 sont remplies, et où, par la suite, une mesure de placement a été décidée à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de mise à la disposition du gouvernement, à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion.

Encore faut-il que la mesure afférente soit prise légalement, c'est-à-dire pour un des motifs prévus par l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972 auquel renvoie l’article 15.

En l’espèce, parmi les motifs invoqués au moment de la prise de la décision de placement du 26 novembre 2003, le ministre de la Justice a fait état du fait que le demandeur se serait trouvé en séjour irrégulier au pays, dans la mesure où il serait dépourvu d’une autorisation de séjour valable depuis le 28 février 2003 et qu’il n’aurait pas été en possession de moyens d’existence personnels suffisants.

Or, il est patent en cause que Monsieur …a fait l’objet, en date du 10 juin 2003, d’un arrêté de refus d’entrée et de séjour au pays, dont la date de notification ne ressort pas du dossier administratif ni d’aucun autre élément du dossier tel que soumis au tribunal et qu’il n’a pas non plus établi être en possession de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis, de manière à remplir les conditions légales telles que fixées par la loi luxembourgeoise sur base desquelles une mesure de refoulement a valablement pu être prise à son encontre.

Il suit de ce qui précède que c’est en principe à bon droit et conformément à la législation nationale, et plus particulièrement à la loi précitée du 28 mars 1972, que le ministre de la Justice a pu prendre une décision de refoulement à l’encontre du demandeur. Toutefois, le demandeur invoque implicitement mais nécessairement une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce qu’il reproche au ministre de la Justice d’avoir pris des décisions qui auraient pour conséquence de porter atteinte à sa vie privée et familiale, dans la mesure où elles auraient pour conséquence de le séparer de son enfant mineur.

La Convention européenne des droits de l’homme, en tant qu’elle constitue un ensemble de normes de droit international, est nécessairement d’essence supérieure à la législation nationale, à l’application de laquelle elle s’oppose à partir du moment où la prise d’une décision administrative, conformément à la législation nationale, serait de nature à violer l’une de ses dispositions. Il y a partant lieu d’analyser s’il existe en l’espèce un droit au respect de la vie privée et familiale, tel que protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui serait de nature à s’opposer à ce qu’une décision de refoulement ne soit prise à l’encontre du demandeur.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :

« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont fait état le demandeur pour conclure dans son chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 précité de la Convention européenne des droits de l’homme, rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

En l’espèce, il se dégage d’un extrait des registres aux actes de naissance de la Ville de Luxembourg, émis en date du 6 décembre 2002, qu’à la date en question la concubine de Monsieur …, Madame … a mis au monde un enfant de sexe féminin, portant le prénom de ….

Il se dégage encore des pièces et éléments du dossier que cet enfant est né à une époque où non seulement Monsieur …disposait d’une autorisation de séjour, valable jusqu’au 28 février 2003, mais qu’il bénéficiait également d’un permis de travail, émis le 6 septembre 2002, valable jusqu’à la même date du 28 février 2003. Il se dégage encore des certificats de résidence versés par le demandeur, tels qu’émis le 1er décembre 2003 par le bourgmestre de la commune de Schifflange qu’au moment de la naissance de sa fille et des mois qui ont suivi cet événement, Monsieur …vivait ensemble avec sa fille mineure … à L-…. Il se dégage en outre d’un procès-verbal du service de police judiciaire de la police grand-ducale du 28 novembre 2003 que l’adresse ainsi indiquée comme étant le domicile du demandeur, ainsi que de sa fille … se réfère à un immeuble dans lequel réside également la grand-mère maternelle de la fille, qui garde et s’occupe de celle-ci.

Il suit des éléments qui précèdent qu’il existe une vie familiale au Luxembourg entre le demandeur et sa fille mineure …, vie privée et familiale qui est d’ailleurs née à une époque où Monsieur …vivait légalement au Luxembourg, en tant que bénéficiaire tant d’une autorisation de séjour que d’un permis de travail. Monsieur …tombe de ce fait sous le champ d’application du paragraphe 1er de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et de ce fait, il a droit au respect de sa vie privée et familiale à laquelle la décision de refoulement porte manifestement atteinte du fait qu’un éventuel rapatriement du demandeur vers le Cap Vert entraînera inévitablement une rupture de la vie familiale en question avec une impossibilité pour les deux parties de continuer leur vie familiale. Il échet de relever par ailleurs dans ce contexte que même au cas où, ultérieurement, à la suite de l’exécution de la mesure de refoulement, le demandeur aurait le droit de retourner au Luxembourg afin de s’y installer, un tel retour se révélera probablement comme étant théorique au vu de la distance séparant le Cap Vert du Luxembourg et des frais que le demandeur devra nécessairement engager afin de financer ce voyage, moyens financiers dont il n’est pas sûr qu’il pourra disposer à l’avenir. Il échet encore d’insister dans ce contexte sur l’intérêt supérieur de l’enfant de maintenir une vie familiale avec son père, d’autant plus que sa mère se trouve actuellement au Portugal, même si ce n’est que temporairement.

Il ne ressort par ailleurs d’aucun élément du dossier permettant de justifier une ingérence des autorités publiques luxembourgeoises dans l’exercice par le demandeur de son droit à une vie privée et familiale, de sorte qu’il ne saurait être fait application du paragraphe 2 de l’article 8 précité.

Il suit des considérations qui précèdent que la décision de refoulement se trouvant implicitement mais nécessairement à la base de la décision de placement sous analyse n’a pas été prise légalement, en ce qu’elle viole l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, de sorte que la décision de placement du 26 novembre 2003 n’a pas pu se baser sur une décision de refoulement légalement prise. L’illégalité de la décision de refoulement ayant ainsi été constatée, elle doit entraîner la réformation de la décision de placement, étant donné que celle-ci se trouve viciée du fait qu’une des conditions se trouvant à sa base fait défaut.

Il y a encore lieu de relever que cette conclusion se justifie d’autant plus que c’est à la suite de la survenance de circonstances malencontreuses que le demandeur se trouve dans sa situation actuelle. En effet, s’il n’avait pas été obligé de changer d’emploi, pour des raisons tout à fait compréhensibles du fait du comportement de ses employeurs à son égard, ou s’il avait pu trouver, avant la date du 28 février 2003, un nouvel employeur au sujet duquel il aurait pu introduire une nouvelle déclaration d’engagement en vue de l’obtention d’un permis de travail, l’autorisation de séjour ayant expiré le 28 février 2003 aurait probablement été renouvelée, conformément aux conditions posées par la première autorisation de séjour. Ces circonstances exceptionnelles ensemble le défaut par le demandeur de les communiquer en temps utile au ministère de la Justice ont entraîné les problèmes subis par lui depuis lors. Il échet encore de relever la bonne foi du demandeur, qui se dégage de l’ensemble des éléments du dossier et des démarches effectuées par lui en vue de l’obtention d’un contrat de travail à durée indéterminée, qui ont abouti, il est vrai, avec un certain retard, à la conclusion en date du 18 novembre 2003, d’un contrat de travail à durée indéterminée auprès d’un employeur établi à Luxembourg.

La réformation de la décision de placement litigieuse du 26 novembre 2003 et la libération avec effet immédiat du demandeur se dégageant des développements qui précèdent, il n’y a pas lieu de prendre position par rapport aux autres moyens soulevés par la partie demanderesse.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant réforme l’arrêté ministériel litigieux du 26 novembre 2003 et ordonne la libération immédiate de Monsieur …;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Schroeder, juge M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 10 décembre 2003 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17226
Date de la décision : 10/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-10;17226 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award