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10/12/2003 | LUXEMBOURG | N°17215

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2003, 17215


Numéro 17215 du rôle N° 17215 du rôle Tribunal administratif du Grand- Ins Du c c rit l hé e 1er de L déc ux e e mbre 2003 mbourg Inscrit le 1er décembre 2003 Audience publique du 10 décembre 2003 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17215 du rôle, déposée le 1er décembre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, a

u nom de Monsieur …, né le … à Kishnice/Pristina (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégr...

Numéro 17215 du rôle N° 17215 du rôle Tribunal administratif du Grand- Ins Du c c rit l hé e 1er de L déc ux e e mbre 2003 mbourg Inscrit le 1er décembre 2003 Audience publique du 10 décembre 2003 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17215 du rôle, déposée le 1er décembre 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Kishnice/Pristina (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, détenu actuellement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 12 novembre 2003 instituant à son égard une mesure de placement pour la durée maximum d’un mois audit Centre de séjour provisoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 12 novembre 2003, le ministre de la Justice ordonna à l’encontre de Monsieur …, alias G. … une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu le rapport N° 6/0396/03/HA du 4 mars 2003 établi par le Service de Police Judiciaire, section Police des Etrangers et des Jeux ;

Considérant que l’intéressé se trouve en séjour irrégulier au pays ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels suffisants ;

- qu’il n’est pas en possession d’un document de voyage valable ;

Considérant que l’intéressé a déposé une demande d’asile en date du 4 mars 2003 ;

- qu’une demande de reprise en charge en vertu de l’article 10§1e de la Convention de Dublin du 15 juin 1990 a été adressée aux autorités allemandes en date du 25 juin 2003 ;

- que les autorités allemandes ont accepté cette reprise en charge en vertu de l’article 8 de la Convention précitée en date du 25 août 2003 ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ;

Considérant qu’un éloignement immédiat n’est pas possible, alors que les autorités allemandes nécessitent un délai minimum de 3 jours pour organiser le transfert ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er décembre 2003, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 12 novembre 2003.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, au motif que le demandeur aurait été transféré vers l’Allemagne en date du 1er décembre 2003.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur soutient que nonobstant le fait que la décision sous analyse a cessé de produire ses effets du fait de sa reprise par les autorités allemandes en date du 1er décembre 2003, il souhaiterait néanmoins voir analyser la légalité de la décision incriminée.

S’il est établi qu’en l’espèce ni la réformation, ni l’annulation de la décision litigieuse ne sauraient avoir un effet concret, le demandeur garde néanmoins un intérêt à obtenir une décision relativement à la légalité de la mesure de la part de la juridiction administrative, puisqu’en vertu d’une jurisprudence constante des tribunaux judiciaires, respectivement la réformation ou l’annulation des décisions administratives individuelles constitue une condition nécessaire pour la mise en œuvre de la responsabilité des pouvoirs publics du chef du préjudice causé aux particuliers par les décisions en question (cf. trib.

adm. 24 janvier 1997, n° 9774 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Procédure contentieuse, n° 14 et autres références y citées).

Il s’ensuit que le recours en réformation, dans la mesure des moyens d’annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur soutient que la condition légale d’un risque de soustraction à la mesure de rapatriement ultérieure n’existerait pas dans son chef, au motif qu’il aurait introduit en date du 4 mars 2003 une demande d’asile auprès du bureau d’asile du ministère de la Justice, qu’il aurait résidé dans le foyer où il avait été placé par les autorités luxembourgeoises et qu’il se serait présenté « régulièrement » au ministère de la Justice aux dates auxquelles il a été convoqué, de sorte qu’aucun indice ne justifierait la conclusion quant à un risque de fuite dans son chef. Il conclut encore à la violation de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972, étant donné qu’en sa qualité de demandeur d’asile, il aurait été autorisé par le ministère de la Justice à résider sur le territoire du Grand-

Duché de Luxembourg, de sorte qu’il ne saurait être placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière. Enfin, il soutient que son placement constituerait une mesure disproportionnée au regard des dispositions légales et de sa situation personnelle.

Dans ce contexte, il fait valoir que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ne constituerait pas un établissement approprié pour l’exécution d’une mesure de placement, étant donné que le régime de détention serait quasiment identique à celui applicable aux détenus de droit commun.

Le délégué du gouvernement rétorque que contrairement aux indications fournies par le demandeur au cours de son audition par un agent du ministère de la Justice, dans le cadre de l’instruction de sa demande d’asile introduite au Luxembourg en date du 4 mars 2003, suivant lesquelles il avait indiqué avoir quitté Sarajevo en Bosnie-Herzégovine le 1er mars 2003 et ne pas avoir déposé de demande d’asile dans un autre Etat membre de l’Union européenne, l’enquête du service de police judiciaire aurait révélé qu’il aurait déposé une demande d’asile en Allemagne le 21 août 2002, sous l’identité de G. …, qui aurait été définitivement rejetée le 6 mars 2003. A la suite de la découverte de ces faits, le ministre de la Justice aurait sollicité en date du 25 juin 2003 la reprise en charge du demandeur par les autorités allemandes, demande à laquelle il aurait été fait droit par lesdites autorités en date du 22 août 2003. Le représentant étatique expose encore qu’à la suite de la mise à la disposition du demandeur par la décision querellée du 12 novembre 2003, mesure qui serait exclusivement motivée par la décision de le transférer vers l’Allemagne, ledit transfert aurait été effectué en date du 1er décembre 2003, date à laquelle le demandeur aurait été libéré du Centre de séjour provisoire.

En droit, le délégué du gouvernement estime que le demandeur présenterait un danger de se soustraire à la mesure d’éloignement du fait qu’il aurait délibérément menti lors du dépôt de sa demande d’asile dans la mesure où, contrairement à ses allégations, il n’aurait pas quitté Sarajevo pour se rendre au Luxembourg, mais qu’il aurait antérieurement séjourné en Allemagne où il aurait été demandeur d’asile depuis le mois d’août 2002. Ainsi, du fait qu’il serait établi qu’il aurait eu l’intention de s’établir frauduleusement au Luxembourg, il serait dès lors raisonnable de penser qu’il ferait tout pour empêcher son transfert vers son pays d’origine.

Par ailleurs, ce serait à tort que le demandeur estime qu’en tant que demandeur d’asile, il ne pourrait pas faire l’objet d’une mesure de placement telle que prévue par l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972, alors que le tribunal administratif aurait à plusieurs reprises eu l’occasion de préciser que même un demandeur d’asile pouvait faire l’objet d’une mesure de placement dans le cadre de la détermination de l’Etat responsable de sa demande d’asile sur base de la Convention relative à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres des Communautés européennes, signée à Dublin, le 15 juin 1990, approuvée par une loi du 20 mai 1993, ci-après dénommée la « Convention de Dublin ».

Enfin, le représentant étatique soutient que le Centre de séjour provisoire constituerait un établissement approprié au sens de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 dans le chef du demandeur.

Force est de constater qu’il est apparu au cours de l’instruction du dossier que le demandeur, préalablement à sa venue au Luxembourg, avait déjà présenté une demande d’asile en Allemagne, qui avait fait l’objet d’un refus en date du 6 mars 2003. Cette demande d’asile préalable en Allemagne et le refus subséquent, quels que soient leur qualification en droit interne, à condition qu’ils puissent être de nature à tomber dans le champ d’application de la Convention de Genève, déclenche le mécanisme de la Convention de Dublin.

Il s’ensuit que le demandeur tombe directement dans les prévisions de l’article 10,1.

de la Convention de Dublin, en ce sens qu’il se trouve visé par le point e) dudit article en tant que demandeur d’asile dont la demande a été rejetée et qui se trouve irrégulièrement dans un autre Etat membre. Dans ce contexte, il échet d’ailleurs de noter que suite à une demande de reprise en charge par les autorités luxembourgeoises auprès des autorités allemandes, le « Bundesamt für die Anerkennung ausländischer Flüchtlinge » a marqué son accord avec cette prise en charge par courrier du 22 août 2003.

Compte tenu du fait que le demandeur avait volontairement caché qu’il avait présenté une demande d’asile antérieure en Allemagne et eu égard au fait que le demandeur refuse de retourner en Allemagne, il y a lieu d’admettre qu’il existe en l’espèce un risque que l’intéressé tentera d’éviter dans la mesure du possible son éloignement du territoire luxembourgeois, de sorte que le ministre a valablement pu décider de le placer dans un Centre de séjour fermé destiné au séjour provisoire des étrangers en situation irrégulière en attendant leur éloignement.

Cette conclusion ne saurait être énervée par le fait, comme l’a soutenu le demandeur, qu’il ne saurait être fait application à un demandeur d’asile de la procédure prévue à l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972, étant donné que s’il est vrai que la Convention de Genève contient des mesures qui restreignent le droit d’expulser ou de refouler des demandeurs d’asile, elle ne tient pas entièrement en échec les droits nationaux afférents concernant l’expulsion et le refoulement et, par voie de conséquence, le droit luxembourgeois concernant l’entrée et le séjour des étrangers qui prévoit le placement, sous certaines conditions, d’étrangers faisant l’objet d’une mesure d’expulsion ou de refoulement, et elle n’est pas contraire aux dispositions de la Convention de Dublin (cf. trib.

adm. 3 octobre 2002, n° 15405 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 286, p. 246 et autres références y citées).

En ce qui concerne pour le surplus le reproche fait au ministre de la Justice quant à la date à laquelle il a fait l’objet de la mesure de mise à disposition du gouvernement en vue de son transfert aux autorités compétentes en Allemagne, en ce qu’il aurait pu faire l’objet d’une telle mesure plus tôt, à savoir en dates des 26 août 2003, 26 septembre 2003 et 26 octobre 2003 lors de ses présentations volontaires au bureau d’asile afin d’obtenir le renouvellement de son attestation, c’est-à-dire à des dates plus rapprochées de celle du 22 août 2003 à laquelle les autorités allemandes ont marqué leur accord en vue de sa reprise, il échet de préciser, d’une part, qu’il n’existe aucune disposition légale ou réglementaire imposant un délai déterminé, à compter de l’accord donné par une autorité étrangère en vue d’obtenir la reprise d’un étranger, dans lequel ladite personne doit faire l’objet du transfert en question et, d’autre part, que des circonstances de fait, telles qu’exposées par le délégué du gouvernement, tenant à l’organisation matérielle dudit transfert, ont valablement pu justifier que la décision de le placer à la disposition du gouvernement n’ait pas été prise plus tôt. D’ailleurs, le demandeur ne saurait se plaindre d’un tel retard, étant donné que celui-ci n’a pu lui être préjudiciable, ce qui d’ailleurs n’a pas été contesté en l’espèce.

Concernant ensuite le caractère approprié du lieu de placement retenu par le ministre, il échet de constater que par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, et modifiant le règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires, le gouvernement a entendu créer, en application de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972, un centre de séjour où peuvent être placées, sur ordre du ministre de la Justice, en application de l’article 15 précité, certaines catégories d’étrangers se trouvant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg pour lesquelles ledit centre de séjour provisoire est considéré comme un établissement approprié, conformément à l’article 15, paragraphe (1), alinéa 1er de la loi précitée du 28 mars 1972, en attendant leur éloignement du territoire luxembourgeois.

Force est encore de retenir que la création d’un tel Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière n’a pas pour conséquence qu’aucun autre établissement ne puisse être considéré comme approprié au sens de l’article 15 précité, au vu des éléments de chaque cas d’espèce, une telle volonté ne se dégageant en effet ni de la disposition légale précitée, ni du règlement grand-ducal en question.

En l’espèce, le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, créé par le règlement grand-ducal précité du 20 septembre 2002, est à considérer comme un établissement approprié, étant donné que le demandeur est en séjour irrégulier au pays et qu’il ne fait état d’aucun élément ou circonstance particuliers justifiant à son égard un caractère inapproprié du Centre de séjour provisoire, de sorte que son moyen afférent est à rejeter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé et que le demandeur doit en être débouté.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation, dans la mesure des moyens d’annulation, en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Schroeder, juge M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 10 décembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier .

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17215
Date de la décision : 10/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-10;17215 ?

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