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10/12/2003 | LUXEMBOURG | N°17143

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2003, 17143


Tribunal administratif N° 17143 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 novembre 2003 Audience publique du 10 décembre 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17143 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2003 par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg

, au nom de Monsieur …, né le … à Skhoder (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à ...

Tribunal administratif N° 17143 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 novembre 2003 Audience publique du 10 décembre 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17143 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2003 par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Skhoder (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 20 février 2003, lui notifiée par courrier recommandé expédié le 24 février 2003, par laquelle ledit ministre a déclaré manifestement infondée sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le jugement du tribunal administratif du 20 octobre 2003 ayant fait droit à la demande en obtention d’un relevé de déchéance présentée par Monsieur … et ayant dit que le délai contentieux d’un mois recommence à courir à compter la date de la signification dudit jugement ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 novembre 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 novembre 2003 par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT au nom de Monsieur … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 décembre 2003.

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En date du 20 décembre 2002, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu le 17 février 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 20 février 2003, notifiée par voie de courrier recommandé expédié en date du 21 février 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande a été déclarée manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, au motif qu’elle ne répondrait à aucun des critères de fond tels que définis par l’article 1er, section A.2 de la Convention de Genève. Le ministre a en effet retenu que le demandeur, lors de son audition fixée au 17 février 2003, se serait opposé à toute collaboration en refusant de répondre aux questions lui adressées relatives au volet « adhésion à un parti politique ou groupe politique », au motif que ses problèmes seraient de nature politique et qu’il refuserait de parler sans la présence d’un avocat. Dans la mesure où ce comportement serait à considérer comme une omission flagrante de s’acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asile, le ministre s’est basé sur les dispositions de l’article 6, paragraphe 2, f) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée pour considérer la demande de Monsieur … comme manifestement infondée.

Après avoir été relevé de la déchéance résultant de l’expiration du délai d’un mois imparti pour l’introduction d’un recours contentieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 24 février 2003 suivant jugement du tribunal administratif du 20 octobre 2003, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prévisée datée du 24 février 2003.

Aucun recours au fond n’étant prévu en la matière, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation, qui constitue le recours légalement prévu par l’article 10 (3) de la loi précitée du 3 avril 1996, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Monsieur … fait valoir qu’au regard des éléments du dossier, l’argumentation retenue à la base de la décision litigieuse suivant laquelle il se serait opposé à toute collaboration, ne serait pas valable, alors que dès avoir été convoqué une nouvelle fois devant les agents du ministère de la Justice, il aurait pris contact avec un conseil et se serait ainsi montré disposé à répondre aux questions qui se seraient imposées, le tout en présence de son avocat. Il estime qu’il serait compréhensible qu’un demandeur d’asile ait mal compris son droit à l’assistance par un avocat, et ce même s’il avait effectivement « été mis au courant de ce procédé alors qu’il avait pourtant signé le document l’informant de l’assistance judiciaire », les formalités administratives n’étant pas toujours claires, voire comprises, et ne pouvant primer, à son sens, sur les droits de l’homme et de la défense. Il relève en outre que pour éviter ce malentendu regrettable, il aurait suffi de procéder à une nouvelle audition en bonne et due forme en présence de son avocat, exercice auquel il ne se serait certainement pas refusé. Il relève en outre qu’il résulterait clairement des pièces du dossier qu’il s’est systématiquement présenté aux convocations qui lui ont été adressées ou à tout le moins à celles dont il a eu connaissance ; qu’ainsi, à la dernière en date, soit celle l’invitant à se présenter le 13 mai 2003, il se serait présenté volontairement, en compagnie de son avocat préalablement contacté, convaincu qu’il s’agirait d’une nouvelle audition lors de laquelle la possibilité lui serait donnée de s’exprimer au sujet de sa demande d’asile en présence de son avocat. Le demandeur fait valoir en outre que le droit par lui revendiqué de se faire assister d’un conseil ne saurait en tout état de cause être considéré comme une violation d’une quelconque disposition légale, de manière à ne pas pouvoir caractériser une quelconque fraude délibérée, voire un recours abusif aux procédures existantes en matière d’asile.

Le représentant étatique rétorque que force serait de constater qu’au jour du dépôt de sa demande d’asile, le demandeur a été informé de son droit de se faire assister par un avocat de son choix et qu’il y aurait lieu d’insister sur le fait que la signature de cette pièce par le demandeur au moment du dépôt de sa demande d’asile n’est pas contestée en cause. Dans la mesure où ce document, traduit en langue albanaise, informerait le demandeur d’asile de ce qu’il lui incombe de faire les démarches nécessaires pour qu’un avocat soit présent lors de l’audition fixée par le ministère de la Justice, de même qu’il y est précisé que l’audition aura lieu au jour prévu ainsi qu’à l’heure indiquée, même si l’avocat n’est pas présent, le demandeur ne pourrait dès lors pas valablement soutenir qu’il n’était pas au courant des démarches qui lui incombaient en vue de garantir la présence d’un avocat. Dans ces conditions, le représentant étatique estime que le refus catégorique du demandeur de continuer l’audition serait à considérer comme un refus de collaboration flagrant justifiant la décision litigieuse.

Dans son mémoire en réplique le demandeur précise que si ce n’était qu’à l’occasion de la convocation lui adressée pour le 13 mai 2003 qu’il s’est à nouveau manifesté auprès du ministère de la Justice par l’intermédiaire de son mandataire, ce serait précisément en raison du fait qu’il s’attendait à être reconvoqué en vue de son audition et qu’il n’aurait eu aucune raison de se manifester plus tôt puisqu’il n’avait pas eu connaissance de la décision ministérielle de refus.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En vertu de l’article 6, paragraphe 2, f) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur a omis de manière flagrante de s’acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asile».

En l’espèce, il est constant que le demandeur, lors de son audition du 17 février 2003, après avoir répondu à toute une série de questions lui adressées relatives notamment à sa situation familiale, à sa profession, ainsi qu’à son service militaire, a refusé de poursuivre l’audition lorsque l’agent du ministère de la Justice lui a adressé la question suivante : « Etes-

vous ou étiez-vous membre d’un parti politique ou groupe social défendant les intérêts de personnes ? », ceci au motif qu’il ne souhaitait pas donner de précisions afférentes sans la présence d’un avocat.

Il est encore constant à partir des inscriptions figurant sur le rapport d’audition qu’il a été informé du fait qu’il lui aurait incombé de s’assurer lui-même les services d’un avocat, ce dont il aurait été informé préalablement lors de l’introduction de sa demande d’asile, de même qu’il fut informé du fait que son refus de continuer l’audition pourrait être interprété comme un refus de collaboration.

Il se dégage encore des pièces versées au dossier que lors de l’introduction de sa demande d’asile en date du 20 décembre 2002, lorsqu’il fut interrogé par les agents du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, le demandeur a répondu aux questions lui adressées, les déclarations afférentes étant renseignées dans un rapport afférent datant du 24 décembre 2002.

S’il est certes constant en cause que le demandeur, lors de l’introduction de sa demande d’asile, a effectivement signé une déclaration qui lui fut traduite dans sa langue maternelle à travers laquelle il confirme avoir été informé de son droit de choisir un avocat ainsi que du fait qu’il lui incombe de faire les démarches nécessaires pour qu’un avocat soit présent lors de son audition fixée par le ministère de la Justice sous la précision que cette audition aura lieu le jour prévu à l’heure indiquée même si un avocat n’est pas présent et que par la même occasion il s’est vu communiquer des adresses pour se procurer davantage d’informations concernant l’assistance judiciaire, force est cependant de constater que l’omission flagrante de s’acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asile, telle qu’envisagée à travers les dispositions de l’article 6, paragraphe 2, f) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 précité, aboutissant en cas d’application à un résultat grave de conséquences en ce que l’application de cette disposition met définitivement fin à l’instruction d’une demande d’asile avant même son examen au fond, est à considérer comme une hypothèse qui est à appliquer avec circonspection et suppose l’établissement du caractère manifeste d’un éventuel défaut de collaboration retenu à ce titre.

En l’espèce, le dossier tel que soumis au tribunal permet certes de dégager que le demandeur, en signant lors de l’introduction de sa demande d’asile la déclaration lui opposée par le ministre, a commis une négligence par le fait de ne pas avoir assimilé à suffisance les renseignements y contenus, voire d’avoir omis de les prendre en considération en temps utile, sans que ce comportement ne puisse pour autant être considéré comme une omission flagrante de s’acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asile.

En effet, l’attitude du demandeur ayant consisté à ne pas poursuivre ses déclarations sans l’assistance d’un avocat à partir du moment où les questions lui adressées ont eu trait à ses activités politiques, s’analyse plutôt en une attitude de méfiance ou de prudence qu’en un refus de collaboration, ceci au vu notamment de l’ensemble des circonstances et plus particulièrement du fait que le demandeur n’a pas d’emblée refusé de collaborer avec les autorités luxembourgeoises, mais qu’il a simplement insisté, en cours d’instruction, sur son droit à l’assistance d’un avocat.

Dans la mesure où le reproche adressé au demandeur consiste en substance dans le fait que celui-ci n’a pas pris conscience de ce qu’il a renoncé au droit de se faire assister par un avocat, aucun défaut caractérisé de collaborer avec les autorités luxembourgeoises dans le cadre de l’instruction de sa demande d’asile ne saurait lui être valablement opposé, de sorte que le cas d’ouverture invoqué par le ministre pour justifier la décision litigieuse laisse d’être donné en l’espèce.

Il se dégage des considérations qui précèdent que la décision litigieuse encourt l’annulation pour défaut de motivation valable.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

partant annule la décision litigieuse du 20 février 2003 et renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre de la Justice ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 décembre 2003 par:

M. Ravarani, président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17143
Date de la décision : 10/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-10;17143 ?

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