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10/12/2003 | LUXEMBOURG | N°16851

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2003, 16851


Numéro 16851 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 août 2003 Audience publique du 10 décembre 2003 Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16851 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 août 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des

avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Vucak Glogovac (Kosovo/Etat de Serbi...

Numéro 16851 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 août 2003 Audience publique du 10 décembre 2003 Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16851 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 août 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Vucak Glogovac (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 27 février 2003, notifiée par lettre recommandée le 12 mars 2003, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision implicite de rejet se dégageant du silence gardé par ledit ministre pendant un délai de plus de trois mois à la suite de l’introduction d’un recours gracieux daté du 14 avril 2003 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 septembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise du 27 février 2003 ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 30 octobre 2002, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date des 7 novembre 2002 et 6 février 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 27 février 2003, notifiée par lettre recommandée le 12 mars 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1978/1988 en Bosnie.

Vous expliquez que vous auriez séjourné en prison du 27 septembre 1998 jusqu’au 19 octobre 2000. Vous précisez que vous auriez été arrêté par des militaires serbes avec 350 autres personnes, que vous auriez tous été accusés de terrorisme. Vous auriez été placé au centre pénitentiaire de Pristina, ensuite à Ljiplan, à Drubrvac et à Nis. Vous y auriez été maltraité. Au centre pénitentiaire de Drubrvac, les gardiens auraient tiré sur les prisonniers, il y aurait eu des morts. Vous précisez qu’un certain … aurait trouvé la mort à ce moment – là. Au sortir de prison, la famille de ce … vous aurait menacé de collaboration avec les Serbes parce que vous n’auriez pas trouvé la mort au centre pénitentiaire de Drubrvac.

Vous dites craindre les menaces de cette famille et avoir dû vivre caché depuis votre libération de prison.

Vous n’auriez été membre d’aucun parti politique.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate que vos craintes se limitent à la famille …. Je constate également que vous avez porté plainte, mais que vous ignorez les suites que les autorités y ont données.

Je vous rends attentif au fait qu’une famille, même déterminée, ne saurait constituer un agent de persécution au sens de la Convention de Genève.

De plus, vous n’apportez pas la preuve que les autorités seraient dans l’impossibilité de vous protéger, ceci d’autant plus que votre plainte a été enregistrée.

Il résulte de vos dires que vous éprouvez surtout un sentiment général d’insécurité qui ne saurait fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

De toutes façons, force est de constater qu’une forcée armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition à majorité albanaise.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 14 avril 2003, Monsieur … a fait introduire un recours gracieux, par l’intermédiaire de son mandataire, à l’encontre de la décision précitée du 27 février 2003.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 7 août 2003, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 27 février 2003, ainsi que contre la décision implicite de rejet se dégageant du silence gardé par le ministre de la Justice à la suite de l’introduction de son recours gracieux du 14 avril 2003 à l’encontre de la décision initiale.

Etant donné que l’article 12 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises, qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de Vucak Glogovac au Kosovo, qu’il serait de confession musulmane et qu’il appartiendrait à la communauté albanaise du Kosovo. Quant à sa situation personnelle, le demandeur fait état de ce qu’il aurait fait l’objet de menaces de la part de membres de la communauté albanaise, qui le considéreraient comme traître du fait d’avoir « fait acte de complicité envers les autorités serbes », en raison du fait qu’il aurait survécu à un massacre commis par des soldats serbes au centre pénitentiaire de Dubrava en date des 22 et 23 mai 1999, au cours duquel le fils de la famille albanaise dont les membres le persécuteraient, aurait été tué.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures non contentieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques ne sauraient être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’offrir une protection suffisante contre ces actes, ce défaut de protection devant être mis suffisamment en évidence par le demandeur d’asile.

En l’espèce, à travers son recours contentieux, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de subir des persécutions de la part d’un groupe de personnes, appartenant à la famille d’un prisonnier tué lors d’un massacre qui aurait eu lieu en date des 22 et 23 mai 1999 dans la prison de Dubrava. Force est de constater que les craintes ainsi exprimées par le demandeur s’analysent en substance en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que le demandeur n’a pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre public en place ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant. Pour le surplus, il échet de constater que les faits dont fait état le demandeur ont trait à des comportements qui ne sont, en tant que tels, pas visés par la Convention de Genève.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation au Kosovo et même seulement autour de celle existant dans la ville de Dubrava, et que le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, notamment au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 10 décembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16851
Date de la décision : 10/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-10;16851 ?

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