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10/12/2003 | LUXEMBOURG | N°16800

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2003, 16800


Tribunal administratif N° 16800 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 juillet 2003 Audience publique du 10 décembre 2003

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Recours formé par Madame … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16800 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 juillet 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame

…, née le … à Bérane/Monténégro (Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant...

Tribunal administratif N° 16800 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 juillet 2003 Audience publique du 10 décembre 2003

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Recours formé par Madame … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16800 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 juillet 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Bérane/Monténégro (Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 30 avril 2003, notifiée par lettre recommandée le 13 mai 2003, par laquelle ledit ministre a rejeté sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du 30 juin 2003 prise par ledit ministre suite à un recours gracieux introduit par la demanderesse ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 14 octobre 2002, Madame … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Elle fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut en outre entendue le 24 octobre 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par une première décision rendue en date du 31 octobre 2002 par le ministre de la Justice, la demande d’asile de Madame … avait été déclarée manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire. A la suite de l’introduction d’un recours gracieux à l’encontre de ladite décision, le ministre a confirmé celle-ci le 19 décembre 2002. Le tribunal administratif, sur recours contentieux, a annulé les décisions précitées des 31 octobre et 19 décembre 2002, jugement qui a été confirmé, sur appel, par la Cour administrative le 3 avril 2003, au motif que contrairement à ce qui avait été retenu par le ministre de la Justice, Madame … a fait état de faits et raisons personnels suffisamment précis pour tomber dans le champ d’application de la Convention de Genève.

Par une nouvelle décision rendue par le ministre de la Justice le 30 avril 2003, notifiée par lettre recommandée le 13 mai 2003, le ministre de la Justice informa Madame … que sa demande d’asile avait été refusée sur base de l’article 11 de la loi précitée du 3 avril 1996.

Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations, que vous auriez quitté votre domicile à cause « de la nationalité », c’est à dire que vous auriez eu des provocations, des insultes et des menaces de la part des Serbes habitant au Monténégro. On vous aurait dit de déménager. On aurait essayé de vous violer, vous ne donnez pas de précisions. Vous auriez peur de « la nation des Serbes » et de la « religion serbe ».

Vous précisez également avoir quitté le Monténégro à cause de la situation économique. Vous y seriez sans emploi et sans moyens d’existence. Vous auriez peur de la « crise ».

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir d’activités politiques.

Concernant la situation particulière des ressortissants de confession musulmane au Monténégro, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécutée dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève.

Ainsi, les provocations, les insultes et menaces ne sont pas d’une gravité telle à constituer à elles seules une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève, mais traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Il en va de même de votre peur de la « nation des Serbes » et de la « religion serbe ». Un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

A cela s’ajoute que des groupements de Serbes ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la prédite Convention. Il faut également relever que la région de Berane dont vous êtes originaire et où vous résidez est majoritairement peuplée par des musulmans.

La situation économique actuelle au Monténégro ne constitue certainement pas un acte de persécution, et ne rentre pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951. Un tel motif ne saurait fonder une demande d’asile politique au sens de la prédite Convention.

Il faut également souligner que la situation politique a favorablement évolué depuis la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement en Yougoslavie au mois d’octobre 2000. La sortie de la crise a été consolidée en mars 2002 par la signature d’un accord serbo-

monténégrin par les présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’indépendance au Monténégro. Ledit accord a été ratifié aussi bien par le parlement serbe et monténégrin en date du 9 avril 2002. La République fédérale de Yougoslavie a cessé d’exister pour être remplacée par un Etat de Serbie et de Monténégro. Il n’existe plus d’affronts entre les différentes communautés ethniques ou religieuses. Il a ainsi été jugé par le Tribunal administratif le 4 septembre 2002 que « la situation politique a favorablement évolué au Monténégro suite à la signature d’un accord serbo-monténégrin au mois de mars 2002 prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’indépendance au Monténégro, de sorte que des risques sérieux de persécution ne sont plus à craindre dans le pays d’origine du demandeur ». Enfin et surtout, soulignons l’adhésion récente de la Serbie-Monténégro au Conseil de l’Europe du 3 avril 2003 et par là, sa signature de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Rappelons que tout Etat européen peut devenir membre du Conseil de l’Europe à condition qu’il accepte le principe de la prééminence du droit. Il doit en outre garantir la jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales à toute personne placée sous sa juridiction.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Sur recours gracieux introduit auprès du ministre de la Justice par lettre du 16 juin 2003, celui-ci a confirmé la décision précitée du 30 avril 2003 par un courrier du 30 juin 2003.

Par requête déposée le 30 juillet 2003, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 30 avril et 30 juin 2003.

Etant donné que l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, la demanderesse expose être originaire de Berane au Monténégro, d’appartenir à la communauté religieuse des musulmans et de faire partie du groupe ethnique des « bochniaques », et d’avoir fui son pays d’origine en raison de « graves problèmes de coexistence avec la population de confession orthodoxe, respectivement des Serbes habitant sa région de résidence », qui lui auraient adressé « des remarques, des menaces qu’on doit déménager », en précisant en outre que ces personnes auraient essayé de la violer.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition précitée du 24 octobre 2002, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures non contentieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que même abstraction faite de ce que les allégations de la demanderesse relatives aux menaces, aux provocations et à la tentative de viol ne sont pas autrement circonstanciées et qu’elles ne sont pas confortées par un quelconque élément de preuve tangible, lesdites allégations – même à les supposer vraies – sont insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les autorités qui sont actuellement au pouvoir en Serbie et Monténégro ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de ce pays ou tolèrent voire encouragent des agressions à l’encontre de personnes faisant partie du groupe ethnique des «bochniaques », cette conclusion s’imposant d’autant plus au regard de l’évolution favorable de la situation politique actuelle dans l’Etat de Serbie et Monténégro.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 10 décembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16800
Date de la décision : 10/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-10;16800 ?

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