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10/12/2003 | LUXEMBOURG | N°16787

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2003, 16787


Tribunal administratif N° 16787 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juillet 2003 Audience publique du 10 décembre 2003 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16787 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le .. à Shkoder (Albanie), et de son

épouse, Madame …, née le … à Shkoder, tous les deux de nationalité albanaise, demeurant ...

Tribunal administratif N° 16787 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juillet 2003 Audience publique du 10 décembre 2003 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16787 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le .. à Shkoder (Albanie), et de son épouse, Madame …, née le … à Shkoder, tous les deux de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 15 avril 2003, notifiée par lettre recommandée le 22 avril 2003, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 30 juin 2003 suite à un recours gracieux des demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom des demandeurs au greffe du tribunal administratif le 19 septembre 2003 ;

Vu le mémoire en duplique déposé par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif le 24 septembre 2003 ;

Vu le mémoire en triplique déposé à la demande du tribunal au greffe du tribunal administratif par les demandeurs le 20 octobre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Joram MOYAL, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

Le 4 février 2003, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur et Madame …-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-

ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent entendus séparément en date du 28 février 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 15 avril 2003, notifiée par lettre recommandée le 22 avril 2003, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Monsieur, vous exposez être simple membre du parti démocratique depuis le 13 décembre 1990. Vous auriez participé à toutes les manifestations contre le régime communiste.

Vous indiquez venir d’une famille anti-communiste ce qui vous aurait empêché de continuer vos études.

Vous faites état des évènements qui se sont produits pendant l’année 1997 à Shkoder.

La police vous aurait tiré dessus et vous auriez été blessé par balles aux deux jambes et à l’oreille.

Vous reprochez aux socialistes, guidés par le chef de leur parti, Fatos NANO, d’avoir été les instigateurs de ces incidents.

Des inconnus auraient tiré sur votre maison pendant la nuit. Vous auriez à plusieurs reprises été emmené et maltraité par la police de Shkoder.

Vous invoquez les tueries et massacres à l’origine desquels se trouveraient les socialistes. Le parti socialiste réclamerait le pouvoir absolu en Albanie.

Des membres du parti démocratique vous auraient mis au courant que les socialistes voudraient vous éliminer. Le parti vous aurait conseillé de quitter l’Albanie et aurait organisé votre voyage au Luxembourg.

Selon vos opinions, les socialistes inciteraient à la haine entre les religions existantes en Albanie.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari. Vous indiquez que votre tante aurait été blessée par une balle lors d’une manifestation en 1991. Votre mari souffrirait encore aujourd’hui des coups qu’il aurait reçus sur la tête.

Vous n’invoquez pas d’éléments de persécution personnelle.

Force est cependant de constater que la situation politique s’est considérablement stabilisée en Albanie depuis l’année 1999, ce qui est confirmé par les observateurs internationaux présents en Albanie.

En juillet 2002 le parlement albanais a élu un nouveau président de la République et ceci avec les votes des fractions du parti au pouvoir et des partis d’opposition. Ceci démontre clairement que la vie politique s’est clamée en Albanie.

En outre, Monsieur, vous n’étiez pas dans une position particulièrement exposée en tant que simple membre du parti démocratique et en participant simplement à des manifestations.

Les faits invoqués de votre part ne paraissent pas crédibles étant donné qu’il n’est pas compréhensible pourquoi la police de Shkoder s’acharnerait sur quelqu’un qui n’a pas exercé une fonction déterminante au sein d’un parti d’opposition. Les rapports des observateurs internationaux excluent une persécution systématique, telle que décrite par vous, de membres de l’opposition par la police albanaise.

Au vu de vos déclarations il n’est pas évident que la police vous aurait blessé intentionnellement et en raison de vos activités politiques pour le parti démocratique lors de son intervention à Shkoder en date du 4 avril 1997.

En plus, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, la situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié. Vous restez en défaut d’établir que votre situation particulière est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 15 mai 2003, le mandataire des époux …-… a introduit un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée.

En date du 30 juin 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision ministérielle antérieure du 15 avril 2003.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2003, Monsieur et Madame …-… ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 15 avril et 30 juin 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. – Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent qu’ils seraient originaires de Shkoder en Albanie, qu’ils seraient tous les deux de religion catholique, que la famille de Monsieur … ainsi que lui-même auraient été des membres du parti démocratique albanais depuis sa création en 1991, que Monsieur … aurait participé aux manifestations dudit parti, dirigées contre le régime politique en place, qu’il aurait été arrêté, battu et blessé par la police nationale à de nombreuses reprises dans le cadre desdites manifestations et ils estiment courir un « danger imminent de mort » en cas de retour dans leur pays d’origine. En ce qui concerne la situation générale régnant en Albanie, ils font état de l’existence de deux « camps politiques » qui s’opposeraient et qui ne seraient pas organisés comme des groupements politiques à l’instar de ceux existant dans les pays occidentaux, mais qui fonctionneraient plutôt comme des « familles ou des clans, essayant de lutter l’une contre l’autre ». Ainsi, lorsqu’une personne s’engagerait « de façon trop ambitieuse » dans un parti politique, les membres du parti politique opposé le considéreraient comme un « ennemi personnel du clan », entraînant pour le concerné des agressions et des persécutions « brutales ». Cette situation au niveau national serait encore aggravée du fait qu’il existerait des « règlements de compte à l’encontre des personnes de confession catholique », ce qui entraînerait pour Monsieur …, en sa qualité de fils d’un prêtre catholique, des persécutions de la part du pouvoir en place.

Le délégué du gouvernement relève dans son mémoire en duplique, en se basant sur des pièces qui lui ont été transmises en date du 12 août 2003 par le « Bundesamt für die Anerkennung ausländischer Flüchtlinge » que les demandeurs, contrairement à leurs explications fournies dans le cadre de l’instruction de leur demande d’asile au Luxembourg, avaient déposé une demande d’asile en Allemagne le 6 novembre 1998, sous de fausses identités, lesdites demandes d’asile ayant été définitivement rejetées le 26 février 2000. Au vu de ces éléments nouveaux, le représentant étatique conteste toute crédibilité aux récits soumis par les demandeurs au ministre de la Justice, d’autant plus qu’ils déclaraient avoir été persécutés en Albanie à une période pendant laquelle ils se trouvaient en Allemagne.

Dans leur mémoire en triplique, dont le dépôt a été autorisé par le tribunal afin que les demandeurs puissent prendre position par rapport à ces éléments nouveaux, ils ont admis avoir séjourné en Allemagne et y avoir déposé des demandes d’asile en date du 6 novembre 1998 sous de fausses identités, en déclarant avoir espéré échapper ainsi à leurs persécuteurs albanais. Ces derniers auraient néanmoins pu les retrouver et c’est ainsi qu’en date des 2 et 25 décembre 1999, des inconnus auraient tiré avec des armes sur eux ainsi que sur leur famille, à une époque à laquelle ils se seraient trouvés à Werl (Rhein). Ils croient que lesdits agresseurs seraient probablement des agents secrets albanais, qui auraient eu l’intention d’assassiner Monsieur …, ainsi que les membres de sa famille. Ils déclarent encore dans ce contexte qu’à la suite du rejet de leurs demandes d’asile en Allemagne, en date du 26 février 2000, ils auraient été obligés de retourner en Albanie, en connaissance de cause toutefois des dangers qu’ils y courraient pour leur vie. Ainsi, de retour en Albanie, ils auraient dû subir des menaces permanentes et en date du 20 janvier 2003, des inconnus auraient tiré sur Monsieur … « avec des armes de type kalashnikov » et ce ne serait qu’avec beaucoup de chance que Monsieur … aurait pu échapper à ladite attaque. Voulant rechercher de l’aide auprès de la police albanaise, celle-ci se serait moquée de Monsieur … en lui faisant comprendre qu’elle n’interviendrait pas « dans une affaire comme la sienne ».

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2003, V° Recours en réformation, n° 11, p. 591).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs. Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés dans le cadre des procédures non contentieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de relever que la crédibilité des déclarations des demandeurs est sérieusement ébranlée par le fait qu’ils ont non seulement omis de signaler le fait qu’ils ont déjà, préalablement à leur venue au Luxembourg, sollicité l’asile en Allemagne, mais, encore et surtout, parce qu’ils l’ont fait sous un faux nom, état des choses qu’ils n’ont pas contesté et qu’ils n’ont pas expliqué de façon convaincante.

Or, à la lumière de cet élément et compte tenu du défaut d’un quelconque élément de preuve tangible relativement à des persécutions concrètes que les demandeurs ont subies ou des risques réels afférents, le récit des demandeurs n’est pas de nature à dégager l’existence d’un risque réel de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur chef.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable.

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 10 décembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16787
Date de la décision : 10/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-10;16787 ?

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