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10/12/2003 | LUXEMBOURG | N°16785

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2003, 16785


Tribunal administratif N° 16785 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juillet 2003 Audience publique du 10 décembre 2003

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Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16785 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au

nom de Monsieur …, ingénieur-technique, né le … à Fedorovo (Russie), demeurant actuellement à L-…, te...

Tribunal administratif N° 16785 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juillet 2003 Audience publique du 10 décembre 2003

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Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16785 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, ingénieur-technique, né le … à Fedorovo (Russie), demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 11 mars 2003, notifiée par lettre recommandée le 17 mars 2003 et en mains propres le 16 avril 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du 30 juin 2003 prise par ledit ministre suite à un recours gracieux introduit par le demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur au greffe du tribunal administratif le 23 septembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Joram MOYAL, en remplacement de Maître François MOYSE, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 13 août 2002, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 20 septembre 2002, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 11 mars 2003, notifiée par lettre recommandée le 17 mars 2003 et en mains propres le 16 avril 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Vous exposez que vous avez fait votre service militaire de 1979 à 1981 à Pskov.

Vous expliquez que vous aviez décidé, votre épouse et vous, de vous lancer dans les affaires avec l’espoir de gagner davantage. Vous auriez emprunté 600.000 roubles pour débuter un commerce. Vous précisez que pendant trois ans et demi, vous n’auriez eu aucun problème, mais que, par la suite, les taux d’intérêts auraient augmenté suite à l’inflation.

Vous auriez fait l’objet d’un cambriolage que la police n’aurait pu élucider. Vous êtes persuadé que vos prêteurs auraient commis ce méfait. Vous ajoutez que parallèlement aux ennuis de votre épouse dans son commerce, vous auriez eu des problèmes au travail, tels que retards dans le paiement des salaires, suppressions de certains avantages. Vous ajoutez que vous vous seriez fait battre et voler sur votre lieu de travail. Un jour, vous vous seriez même fait enlever et séquestrer par des personnes qui vous auraient forcé de vendre à vil prix vos propriétés immobilières. La plainte que vous auriez déposée n’aurait pas encore connu de suite lors de votre départ.

Vous auriez alors décidé de quitter votre pays et vous auriez conseillé à votre épouse de s’installer au Tatarstan avec les enfants.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate d’abord que, contrairement à vos dires auprès du Service de Police Judiciaire, vous n’avez pas perdu votre famille en cours de route, puisque vous reconnaissez que votre épouse et vos enfants sont installés au Tatarstan.

En ce qui concerne les problèmes que vous invoquez, je constate qu’il s’agit de problèmes d’un ordre purement privé. En effet, le fait d’être harcelé par des créanciers qui s’impatientent ne saurait constituer une persécution pouvant entrer dans le cadre de la Convention de Genève.

Quant aux problèmes que vous auriez eu dans votre travail, je constate qu’ils ne vous sont pas propres puisque les restrictions concernaient tous les salariés de la firme. En ce qui concerne enfin les agressions dont vous auriez fait l’objet et les pressions exercées sur vos employeurs, problèmes que vous attribuez à vos créanciers, elles restent à l’état de pure allégation ; il est peu crédible qu’elles soient le fait de vos créanciers qui ont davantage intérêt à vous voir vous enrichir plutôt qu’à vous appauvrir.

Pour le surplus, je constate que les plaintes que vous avez déposées suivent son cours, même si vous estimez que l’instruction ne va pas assez vite.

Je constate donc qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 15 mai 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale le 30 juin 2003.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2003, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 11 mars et 30 juin 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. – Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

Il échet de relever à cet égard que le simple fait que le demandeur, après avoir été auditionné par un agent du ministère de la Justice en date du 20 septembre 2002, ne s’est plus présenté au bureau d’accueil pour demandeurs d’asile depuis la date du 16 mai 2003, tel que précisé par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, ne saurait entraîner l’irrecevabilité du recours en réformation, étant donné qu’une telle cause d’irrecevabilité n’est pas prévue par les dispositions légales applicables.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de la République de Bashkortastan de la Fédération de Russie, de religion musulmane et marié avec une femme d’origine juive, et qu’il aurait quitté son pays d’origine en raison des « menaces massives de la part des structures mafieuses, pour la non protection des forces de l’ordre, pour la persécution à cause de son origine musulmane et l’origine juive de sa femme ainsi que pour la crainte d’être incarcéré pour une activité politique qu’il n’a pas exercée ». Il précise à ce sujet que dans la mesure où il n’aurait plus été en mesure de rembourser un prêt qu’il aurait contracté auprès d’une personne privée, des personnes proches de celle-ci, et appartenant à des « structures mafieuses », auraient utilisé des « méthodes mafieuses » pour l’obliger à rembourser ses dettes, en l’insultant et en le menaçant au téléphone, en cambriolant son garage, en l’agressant physiquement et en volant à deux reprises son salaire mensuel, en l’enlevant et en le séquestrant pendant plus de quatre jours en le forçant ainsi à vendre ses deux appartements et ses deux garages « à vil prix ». Il insiste encore sur le fait que les plaintes qu’il aurait adressées à plusieurs reprises au procureur de l’Etat en raison notamment des vols et de son enlèvement, n’auraient pas « produit d’effet jusqu’à ce jour ».

Dans sa requête introductive d’instance, il fait encore état d’un fait, non précisé lors de son audition, qui se serait produit au courant de l’année 2002 et qui consisterait dans la découverte dans le coffre de sa voiture de quatre grandes valises contenant « de la propagande anti-russe », dirigée plus particulièrement contre le président de la République Bachkir, qui y auraient été placées par deux auto-stoppeurs qu’il aurait amenés dans sa voiture. Les agents de police ayant procédé au contrôle de ses bagages, auraient insulté et harcelé son épouse, après avoir découvert qu’elle serait d’origine juive. En raison de ces faits, il aurait été incarcéré et maintenu en isolation pendant une période de deux mois. Il estime que cette incarcération aurait eu lieu en raison d’une activité politique qu’il n’aurait pas exercée, et elle constituerait probablement un acte de persécution pour des motifs antisémites et racistes. D’une manière générale, il soutient que le défaut par le parquet de vouloir poursuivre les auteurs des faits précités, s’expliquerait par son appartenance à la communauté des musulmans et des origines juives de son épouse.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures non contentieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même à admettre le récit, non conforté par un quelconque élément de preuve tangible, relativement aux menaces, insultes, attaques, vols, enlèvement et séquestration commis par des membres de « structures mafieuses », pareil état des choses ne saurait justifier une persécution au sens de la Convention de Genève, mais constitue un acte de criminalité de droit commun, insuffisant pour établir à lui seul un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il convient de rappeler dans ce contexte qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant d’un ou de plusieurs membres de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la ou les victimes ne bénéficient pas de la protection des autorités étatiques. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place aient toléré les prétendues exactions mises en avant par lui ou qu’elles n’aient pas été ou ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la République de Bashkortastan de la Fédération de Russie, étant entendu qu’il n’a pas établi un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place.

En ce qui concerne en outre les allégations du demandeur suivant lesquelles il aurait été incarcéré pour des motifs politiques et qu’il aurait subi des discriminations en raison de son appartenance à une minorité religieuse, il échet de constater que le demandeur reste en défaut de produire le moindre élément de preuve tangible permettant de conforter son récit afférent qui, au stade actuel de l’instruction de l’affaire, n’est pas crédible quant à ces deux points.

Pour le surplus, les risques allégués par le demandeur se limitent essentiellement à sa ville d’origine et il reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de la Russie, la Convention de Genève visant le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne devant être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45, p. 187 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 10 décembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16785
Date de la décision : 10/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-10;16785 ?

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