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10/12/2003 | LUXEMBOURG | N°16527

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2003, 16527


Tribunal administratif N° 16527 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juin 2003 Audience publique du 10 décembre 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16527 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juin 2003 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur â€

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Tribunal administratif N° 16527 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juin 2003 Audience publique du 10 décembre 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16527 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juin 2003 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Pec (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 31 mars 2003, notifiée par lettre recommandée le 7 avril 2003, par laquelle ledit ministre a rejeté sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 septembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en ses plaidoiries.

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En date du 25 novembre 2002, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en outre le 26 février 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 31 mars 2003, notifiée par lettre recommandée le 7 avril 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Vous exposez que vous n’avez pas été appelé au service militaire.

Vous n’auriez été membre d’aucun parti politique.

Vous dites être venu au Luxembourg pour des motifs économiques. Des inconnus auraient cambriolé votre maison à trois reprises ; on vous aurait volé une perceuse, puis une vache et finalement un tracteur. Une enquête serait en cours. Vous dites que la situation serait peu stable dans les villages du Kosovo.

Vous n’auriez subi cependant aucune persécution.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par contre, selon l’article 9, alinéa 1 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. » Je constate que vous n’invoquez aucun mauvais traitement pouvant entrer dans le cadre de la Convention de Genève. En effet, le fait d’avoir été cambriolé, même trois fois, ne saurait être considéré comme une persécution au sens de la prédite Convention.

Votre demande ne répond donc à aucun des critères de fond définis dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention précitée.

Je vous informe qu’une demande qui peut être déclarée manifestement infondée sur base de l’article 9 précité peut également être déclarée non fondée sur base de l’article 11 de la même loi.

En conséquence, votre demande en obtention du statut de réfugié est donc refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juin 2003, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 31 mars 2003.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Comme le demandeur a pris position par écrit par le fait de déposer sa requête introductive d’instance, le jugement est réputé contradictoire entre parties.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.- Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Quant au fond, le demandeur soulève en premier lieu un moyen d’annulation tiré de ce que ses droits de la défense auraient été lésés, au motif que la décision querellée « ne mentionne pas la présence d’un traducteur qui aurait traduit le contenu de ladite décision au requérant » et, ainsi, il devrait être réentendu par les « différentes institutions compétentes ».

Ce moyen laisse cependant d’être fondé, étant donné qu’aucune disposition légale exige que les décisions de refus d’admission au statut de réfugié doivent être notifiées en mains propres aux intéressés et en présence d’un interprète. - Dans ce contexte, au regard d’une possibilité de notification par voie postale, il y a lieu de se demander comment le demandeur conçoit la conciliation de pareille modalité de notification avec la présence d’un traducteur.

Il convient encore de relever que, comme la décision a été libellée en français, c’est-à-

dire une des trois langues administratives du pays, et qu’aucune disposition légale exige en la matière que les décisions doivent être libellées dans une autre langue, elle n’est pas non plus critiquable sous ce rapport.

En second lieu, le demandeur soutient qu’il remplirait les conditions pour être admis au statut de réfugié, tout en relevant que sa maison aurait été cambriolée à plusieurs reprises et que ses moyens d’existence auraient été volés à cette occasion.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que lors de son audition du 26 février 2003, le demandeur a déclaré solliciter « l’asile économique » et qu’en réponse à la question de savoir quelles étaient les raisons ayant motivé le départ de son pays d’origine, il a indiqué des « raisons économiques ».

Force est toutefois de constater que la Convention de Genève, contenant les seules dispositions qui sont applicables en la matière au Luxembourg, ne vise pas parmi les motifs susceptibles de justifier la reconnaissance du statut de réfugié de simples raisons économiques. Partant, en ce qui concerne ce volet de sa demande, il échet de constater que le recours n’est pas fondé du fait que le demandeur n’a pas invoqué une des raisons susceptibles de tomber dans le champ d’application de la Convention de Genève.

Pour le surplus, il a déclaré lors de la même audition avoir peur des « cambrioleurs, des contre-bandes et de la corruption », en mentionnant dans ce contexte le fait que des personnes non autrement précisées auraient kidnappé la fille de son oncle, lequel aurait dû payer une rançon de 5000 € afin d’obtenir la libération de sa fille.

En ce qui concerne ce deuxième volet de sa demande, force est constater que même abstraction faite de ce que les allégations du demandeur relativement à ses craintes de persécution ne sont pas autrement circonstanciées et qu’elles ne sont pas confortées par un quelconque élément de preuve tangible, lesdites allégations - même à les supposer vraies -

sont insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les autorités qui sont actuellement au pouvoir au Kosovo ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de cette région ou tolèrent voire encouragent des agressions à l’encontre des habitants de cette région et plus particulièrement des habitants d’origine albanaise et de religion musulmane.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 10 décembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16527
Date de la décision : 10/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-10;16527 ?

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