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10/12/2003 | LUXEMBOURG | N°16503

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2003, 16503


Numéro 16503 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juin 2003 Audience publique du 10 décembre 2003 Recours formé par Madame … et consorts contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16503 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 juin 2003 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordr

e des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le 8 octobre 1958, agissant tant en ...

Numéro 16503 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juin 2003 Audience publique du 10 décembre 2003 Recours formé par Madame … et consorts contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16503 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 juin 2003 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le 8 octobre 1958, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de ses enfants mineurs …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 16 mai 2003, notifiée par lettre recommandée le 26 mai 2003, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 septembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Sandra FADI, en remplacement de Maître Michel KARP, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 14 mars 2003, Madame …, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de ses enfants mineurs … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Elle fut entendue en date du 27 mars 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 16 mai 2003, notifiée par lettre recommandée le 26 mai 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Vous n’auriez pas été membre d’un parti politique.

Vous ajoutez que c’est votre mari, resté au Kosovo, qui vous aurait dit de partir. Il aurait eu des problèmes avec des Albanais, qui lui auraient reproché de faire du commerce avec les Serbes.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentive au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate que rien dans vos déclarations ne saurait constituer un motif suffisant pour obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

J’en conclus que vous éprouvez surtout un sentiment général d’insécurité qui ne saurait fonder une persécution au sens de la Convention de Genève. De plus, le Kosovo, pour une Albanaise, ne saurait être considéré comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 juin 2003, Madame …, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de ses enfants mineurs … a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision ministérielle précitée du 16 mai 2003.

Encore que la demanderesse entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Etant donné que l’article 12 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée.- Il s’ensuit que le recours principal en annulation est irrecevable.

Le recours en réformation introduit en ordre subsidiaire est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer qu’elle serait originaire de Mitrovica au Kosovo, qu’elle serait de confession musulmane et qu’elle appartiendrait à la communauté albanaise du Kosovo. Quant à sa situation personnelle, elle fait état du fait que le domicile de sa famille serait situé « du côté nord de Mitrovica », actuellement occupé par les Serbes, ce qui aurait eu pour conséquence qu’elle aurait dû déménager à plusieurs reprises avec sa famille pour s’installer définitivement dans le quartier des bosniaques, qu’au vu de la situation générale existant à Mitrovica, qui ne serait toujours pas stabilisée et qui serait toujours dangereuse pour les Albanais, il leur serait impossible, pour des raisons de sécurité, de retourner au nord de Mitrovica, et qu’elle n’aurait pas de travail et pas de logement propre, étant donné que le seul logement qui aurait été à leur disposition, aurait été un logement offert par la KFOR à son beau-frère, dans lequel ils auraient occupé une seule pièce. D’une manière générale, elle insiste sur le fait qu’elle n’aurait pratiquement pas eu de moyens d’existence au Kosovo. Enfin, elle fait valoir qu’en leur qualité d’Albanais, ils auraient reçu des menaces de mort tant de la part des Serbes que de la part des Albanais, en raison du fait que son mari aurait collaboré « avec tout le monde pour éviter de se faire des ennemis ».

En substance, elle reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’elle a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse, de sorte qu’elle serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques ne sauraient être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’offrir une protection suffisante contre ces actes, ce défaut de protection devant être mis suffisamment en évidence par le demandeur d’asile.

En l’espèce, à travers son recours contentieux, la demanderesse fait tout d’abord état de motifs économiques qui l’auraient amené à quitter son pays d’origine pour venir s’établir au Luxembourg. Or, de tels motifs ne tombent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève, de sorte qu’ils ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans le chef de la demanderesse et de ses enfants.

En outre, elle fait encore état de sa crainte de subir des persécutions de la part non seulement de ressortissants serbes mais également de ressortissants albanais qui auraient exprimé des menaces de mort à l’encontre de sa famille. Force est de constater que les craintes ainsi exprimées par la demanderesse s’analysent en substance en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que la demanderesse n’a pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre public en place ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation existant à Mitrovica et que la demanderesse reste en défaut d’établir qu’elle ne peut trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, que ce soit au Kosovo ou au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 10 décembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16503
Date de la décision : 10/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-10;16503 ?

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