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08/12/2003 | LUXEMBOURG | N°16465

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 décembre 2003, 16465


Tribunal administratif Numéro 16465 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 mai 2003 Audience publique du 8 décembre 2003 Recours formé par 1) la société … s.à r.l., … et 2) Monsieur … contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16465 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 mai 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité r

oumaine, demeurant à L- … , ainsi que par la société … s.à r.l., établie à L-…., tendant à...

Tribunal administratif Numéro 16465 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 mai 2003 Audience publique du 8 décembre 2003 Recours formé par 1) la société … s.à r.l., … et 2) Monsieur … contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16465 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 mai 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité roumaine, demeurant à L- … , ainsi que par la société … s.à r.l., établie à L-…., tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 27 mars 2003, refusant d’accorder à Monsieur … un permis de travail ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 octobre 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH pour compte de Monsieur … et de la société … s.à r.l. ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé auprès du greffe du tribunal administratif le 5 novembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 novembre 2003.

Par une déclaration d’engagement signée le 20 novembre 2002, la société … s.àr.l. et Monsieur … introduisirent auprès de l’administration de l’Emploi une demande tendant à voir délivrer un permis de travail en faveur de Monsieur … en tant qu’ouvrier dans la fabrication de fromage. Cette demande renseigna entre autres que Monsieur … fut occupé dans ladite société à partir du 1er janvier 2001.

Par une décision du 27 mars 2003, le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé le « ministre », refusa la délivrance d’un tel permis de travail pour des raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes :

-

« des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place :

2278 ouvriers non qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’administration de l’Emploi -

priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen -

poste de travail non déclaré vacant par l’employeur -

occupation irrégulière depuis 01.01.2001 -

recrutement à l’étranger non autorisé -

refus d’entrée et de séjour du 06.01.2003 … ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 mai 2003, Monsieur … et la société … s.à r.l. ont fait déposer un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision du 27 mars 2003.

Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Au fond, les demandeurs reprochent tout d’abord au ministre d’avoir refusé la délivrance d’un permis de travail en employant des formules standards, sans prendre position par rapport à la situation particulière de Monsieur ….

Concernant le motif d’annulation basé sur un défaut d’indication suffisante des motifs, qui est préalable, il y a lieu de relever qu’une obligation de motivation expresse et exhaustive d’un arrêté ministériel de refus d’une autorisation de travail n’est imposée ni par la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ni par le règlement grand-

ducal modifié d’exécution du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, tandis que l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes dispose que toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et qu’une décision refusant de faire droit à la demande de l’intéressé doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base.

Or, en l’espèce, la décision ministérielle du 27 mars 2003 énonce cinq motifs tirés de la législation sur l’emploi de la main-d’œuvre étrangère et suffit ainsi aux exigences de l’article 6 précité, cette motivation ayant utilement été complétée et explicitée par le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement, de sorte que la demanderesse n’a pas pu se méprendre sur la portée à attribuer à la décision litigieuse.

L’existence et l’indication des motifs ayant été vérifiées, il y a lieu d’examiner si lesdits motifs sont de nature à justifier la décision ministérielle déférée, étant relevé qu’une décision administrative individuelle est légalement motivée du moment qu’un des motifs invoqués à sa base la sous-tend entièrement.

En l’espèce, parmi les cinq motifs invoqués à la base du refus ministériel déféré figure celui du recrutement à l’étranger non autorisé.

Le représentant étatique expose à ce sujet que Monsieur … n’a pas et n’aurait jamais eu d’autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg, de sorte qu’il serait à considérer comme étant un étranger ayant été recruté dans un pays non membre de l’Espace Economique Européen et que par conséquent l’employeur aurait dû solliciter en premier lieu auprès de l’ADEM l’autorisation de recruter un travailleur à l’étranger. Il conclut que ce motif justifierait à lui seul le refus du permis de travail.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs font valoir que l’autorité compétente ne pourrait invoquer à la base de sa décision de rejet une motivation qui ne rentrerait pas dans la sphère de sa compétence, mais dans celle du ministère de la Justice, étant donné que l’existence d’un refus d’entrée et de séjour serait irrelevante dans un litige concernant un permis de travail. Pour le surplus, ils font valoir que Monsieur …, en sa qualité de ressortissant roumain, serait entré au Grand-Duché de Luxembourg muni d’un passeport valable avec une dispense de visa dont bénéficieraient les ressortissants de son pays d’origine en cas de séjour dans l’Union européenne pendant un délai de trois mois.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du Gouvernement soulève qu’il serait de jurisprudence constante qu’une personne qui n’aurait pas d’autorisation de séjour au Luxembourg serait à considérer comme ayant été recrutée à l’étranger. Il ajoute qu’au moment de l’engagement de Monsieur … en date du 1er janvier 2001, les ressortissants roumains auraient encore eu besoin d’un visa pour entrer sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg puisque le visa obligatoire aurait seulement été aboli à leur égard avec effet au 1er janvier 2002. Il ajoute que même à supposer que Monsieur … serait entré légalement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, quod non, cela ne changerait en rien sa situation puisque pendant la période des trois mois pendant lesquels il peut circuler sur le territoire des Etats de Schengen, il ne pourrait faire que du tourisme et ne serait pas autorisé à travailler.

Concernant d’abord le motif de refus basé sur le recrutement non autorisé à l’étranger de Monsieur …, il y a lieu de constater que conformément aux dispositions de l’article 16 de la loi modifiée du 21 février 1976 concernant l’organisation et le fonctionnement de l’administration de l’Emploi et portant création d’une commission nationale de l’emploi, le recrutement de travailleurs à l’étranger est de la compétence exclusive de l’administration de l’Emploi, sauf l’exception où un ou plusieurs employeurs, sur demande préalable, ont été autorisés par cette administration à procéder eux-mêmes à un tel recrutement « pour compléter et renforcer les moyens d’action de l’administration, notamment lorsque le déficit prononcé de main-d’œuvre se déclare » (doc. parl. n° 1682, commentaire des articles, ad. art.

16).

En l’espèce, il n’est pas contesté que Monsieur … n’a pas d’autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg, de sorte qu’il est à considérer comme ayant été recruté à l’étranger. Même à admettre que Monsieur … serait rentré au Grand-Duché de Luxembourg muni d’un passeport valable avec une dispense de visa pendant un délai de trois mois, force est de constater que c’est à bon droit que le délégué du Gouvernement a relevé que pendant cette période de trois mois l’étranger en question n’est pas autorisé à travailler. A cela s’ajoute qu’au moment de la prise de la décision litigieuse en date du 27 mars 2003, il est constant que Monsieur … n’était pas autorisé à séjourner au Luxembourg, de sorte qu’il s’agit en l’espèce d’un recrutement d’un travailleur non ressortissant de l’Espace Economique Européen dans un Etat non membre de l’Espace Economique Européen et que partant, au vœu des dispositions de l’article 16, paragraphe 2 de la loi modifiée du 21 février 1976 citée ci-avant, l’employeur ayant eu l’intention d’engager Monsieur … aurait dû solliciter préalablement l’autorisation de recruter un travailleur à l’étranger.

Dans le même ordre d’idées, l’argument avancé par les demandeurs faisant valoir que l’existence d’une autorisation de séjour serait irrelevante en matière d’octroi d’un permis de travail est à rejeter, étant donné qu’il appartient au ministre de vérifier en premier lieu si Monsieur … est autorisé ou non à résider au Luxembourg pour vérifier ensuite s’il s’agit d’un recrutement d’un travailleur étranger dans un Etat non membre de l’Espace Economique européen.

Dans la mesure où aucun élément du dossier tel que présenté en cause ne permet d’établir que le recrutement à l’étranger de Monsieur … fut dûment autorisé, les faits à la base du motif de refus sous examen sont à considérer comme étant établis en cause.

La méconnaissance de l’obligation légale dans le chef de l’employeur de solliciter en premier lieu auprès de l’administration de l’Emploi l’autorisation de recruter un travailleur à l’étranger est susceptible de sanctions pénales expressément énoncées à l’article 41 de la loi du 21 février 1976, précitée, lequel dispose notamment qu’est puni d’une amende de 500 à 25.000 € toute personne qui exerce une activité de recrutement de travailleurs à l’étranger sans être en possession de l’autorisation préalable prévue à l’article 16 de la même loi ou qui n’observe pas les conditions imposées dans ladite autorisation.

Au-delà du fait qu’une sanction pénale est prévue par l’article 41 prévisé, il convient d’analyser si le non-respect de la formalité préalable à l’emploi d’un travailleur étranger inscrite à l’article 16 (2) précité est de nature à justifier une décision de refus du permis de travail.

A cet égard, il a été décidé par la Cour administrative que l’article 16 (1) de la loi modifiée du 21 février 1976, précitée, fixe en principe pour l’administration de l’Emploi le monopole de procéder au recrutement de travailleurs à l’étranger et cela pour des raisons inhérentes à la surveillance du marché de l’emploi, ensuite pour des motifs concernant la santé publique, l’ordre public et la sécurité publique, enfin dans l’intérêt de la protection de l’emploi de la main-d’œuvre occupée dans le pays, la Cour s’étant référée à cet égard aux documents parlementaires n° 1682 entrevus plus particulièrement à partir de leur exposé des motifs, pour conclure au caractère impératif de la règle de procédure sous examen (cf. Cour adm. 22 octobre 2002, n°s 14539C et 14967C du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, III.

Permis de travail, n° 52, p. 622).

Il s’ensuit que le motif de refus basé sur le recrutement à l’étranger non autorisé, au regard des considérations ci-avant fondées sur une jurisprudence constante de la Cour administrative, s’inscrit dans le cadre légal tracé par les dispositions de l’article 27 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, en vertu desquelles seules « des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi » peuvent être invoquées pour motiver le refus du permis de travail, de sorte que le tribunal, statuant sur la légalité d’une décision de refus du permis de travail, est appelé à vérifier si les dispositions de l’article 16 (2) de la loi modifiée du 21 février 1976, précitée, ont été observées.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’au-delà de toute question pouvant se poser en l’espèce au sujet de la disponibilité effective de ressortissants de l’Union Européenne ou de l’E.E.E. bénéficiant d’une priorité à l’emploi et susceptibles de pouvoir utilement occuper le poste de travail en question, l’arrêté ministériel litigieux est motivé à suffisance de droit et de fait par le seul constat du non-respect de la formalité inscrite à l’article 16 (2) de la loi modifiée du 21 février 1976, précitée, sans qu’il y ait lieu d’examiner plus en avant les autres motifs de refus invoqués à son appui, ainsi que les moyens y afférents.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 décembre 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16465
Date de la décision : 08/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-08;16465 ?

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