La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/12/2003 | LUXEMBOURG | N°16539

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 décembre 2003, 16539


Tribunal administratif Numéro 16539 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juin 2003 Audience publique du 3 décembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16539 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 juin 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Noguinsk/Moscou (Fédération de Russie), de nationalité

russe, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre d...

Tribunal administratif Numéro 16539 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juin 2003 Audience publique du 3 décembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16539 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 juin 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Noguinsk/Moscou (Fédération de Russie), de nationalité russe, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 17 mars 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 8 mai 2003 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 octobre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Nadine SCHEUREN, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

Le 31 juillet 2002, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les 17 et 25 septembre 2002, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 17 mars 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile de Moscou pour vous cacher d’abord chez des amis. Ensuite, vous êtes allé à Minsk où vous avez séjourné jusqu’au 29 juillet 2002. Vous avez pris place dans le camion d’un passeur qui vous a emmené au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 31 juillet 2002.

Vous exposez que vous auriez fait votre service militaire à Tchernobyl de 1984 à 1986.

Après l’accident de la centrale nucléaire, vous auriez été membre de l’association UNION DE TECHERNOBYL qui s’occupe de l’aide aux victimes. Vous auriez été président de la section de Zelenograd/Moscou. Vous précisez que vous assuriez les liens entre l’association et les institutions étatiques pour obtenir de l’aide financière. Cette association aurait eu des représentants à la Douma, dans le bloc libéral.

En mars 2001, la Douma aurait voté l’octroi d’un montant de 200.000,- dollars aux sections de Zelenograd et de Toula. L’argent, versé sur le compte de la mairie aurait dû être reversé à l’association, mais il avait disparu. Vous auriez alors organisé des manifestations pour attirer l’attention des gens sur ce que vous considériez comme un détournement de fonds. Vous auriez alors été menacé d’un procès pour incitation à troubles de l’ordre public.

Vous auriez alors essayé de tirer l’affaire au clair au niveau du gouvernement de la Fédération de Russie et après deux courriers de plainte, vous auriez été averti qu’une commission gouvernementale se rendrait sur les lieux.

Vous dites que, dès le début de l’enquête du gouvernement, vous auriez été agressé près de votre lieu de travail par des membres du RNE qui vous auraient reproché d’avoir porté plainte auprès du gouvernement.

En avril 2002, suite à l’enquête du gouvernement, l’adjoint au maire, un certain ITSHOUK a été démis de ses fonctions car il y aurait eu effectivement détournement de fonds.

Vous affirmez qu’après cela, vous auriez [été] mis sous surveillance, vous auriez été menacé et vous auriez été battu. Vous auriez reconnu en l’un de vos agresseurs un agent de la milice.

Vous auriez alors déménagé, mais les menaces auraient continué. Le 15 juin 2002, des individus vous auraient agressé, vous et votre épouse, dans votre appartement.

Vous ajoutez qu’après votre départ, vous auriez été licencié de votre poste à l’Institut Electronique de Moscou.

Vous vous dites persuadé que les menaces et les agressions dont vous auriez fait l’objet ainsi que votre licenciement ont été provoqués par votre action contre le détournement des fonds de l’Union de Tchernobyl.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, je constate que votre récit est surtout basé sur des suppositions. En effet, je remarque que vous avez déposé une plainte pour détournement de fonds auprès du gouvernement de la Fédération de Russie et que cette plainte a été écoutée. L’enquête qui a été ouverte a abouti au limogeage de l’adjoint au maire. Par contre, il est peu vraisemblable que la mairie, dont vous n’avez même pas contacté le maire, ait soudoyé des membres du RNE pour vous menacer et pour vous agresser, ni qu’elle ait obtenu votre licenciement. Vous n’apportez aucune preuve du lien de causalité entre ces événements et votre demande d’enquête.

Je remarque aussi que, puisque votre plainte au gouvernement a été suivie d’effet, vous auriez pu chercher protection au niveau gouvernemental auprès des personnes qui ont démis ITSHOUK de ses fonctions.

Je constate donc qu’aucune de vos assertions, à les supposer établies, ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 18 avril 2003, Monsieur … formula, par le biais de son mandataire, un recours gracieux auprès du ministre de la Justice à l’encontre de cette décision ministérielle.

Le 8 mai 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 11 juin 2003, Monsieur … a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 17 mars et 8 mai 2003.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être de nationalité et de citoyenneté russe et d’avoir résidé à Moscou. Il soutient avoir quitté son pays en raison du fait qu’il aurait subi des pressions et persécutions émanant de membres du « RNE » et même de membres de la milice tendant à le pousser à retirer une plainte qu’il aurait introduite en sa qualité de membre de l’association « UNION DE TCHERNOBYL » - une association cherchant à secourir les victimes de l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl - et de président de la section Zelonograd/Moscou de ladite association, afin de dénoncer des détournements de fonds dont les responsables se seraient situés parmi les fonctionnaires de la ville de Zelenograd. Il précise que dans le cadre des poursuites entamées suites à sa plainte, l’adjoint du maire aurait été démis de ses fonctions. Il ajoute que les autorités au pouvoir ne seraient pas capables de le garantir lui-même et les membres de sa famille contre de pareils actes d’intimidation voire des actes de vengeance.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient en premier lieu de relever que les déclarations du demandeur relativement à des actes d’intimidation ou de vengeance ne sont pas confortées par le moindre élément de preuve concret.

En outre, même à admettre leur véracité, force est de constater que les auteurs desdits actes de persécution constituent des criminels de droit commun et ne sauraient en tant que tels être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Or, un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. En ce qui concerne la notion de protection de la part du pays d’origine, elle n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place à Moscou tolèrent voire encouragent des agressions à son encontre, le contraire se dégageant des propres déclarations du demandeur en ce qu’il expose que suite à sa plainte, les autorités russes ont poursuivi les auteurs des détournements, l’un d’entre eux ayant été limogé de ses fonctions, ou que lesdites autorités ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’il n’a pas établi un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place.

Pour le surplus, les risques allégués par le demandeur se limitent essentiellement à sa ville d’origine et il reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de la Russie, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf.

trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, et lu à l’audience publique du 3 décembre 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16539
Date de la décision : 03/12/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-12-03;16539 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award