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27/11/2003 | LUXEMBOURG | N°16849

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 novembre 2003, 16849


Tribunal administratif N° 16849 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 août 2003 Audience publique du 27 novembre 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16849 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 août 2003 par Maître Marc MODERT, avocat à la Cour, assisté de Maître Yasmina MAADI, avocat, les deux inscrits au table

au de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Blida (Algérie), de nationalité algér...

Tribunal administratif N° 16849 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 août 2003 Audience publique du 27 novembre 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16849 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 août 2003 par Maître Marc MODERT, avocat à la Cour, assisté de Maître Yasmina MAADI, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Blida (Algérie), de nationalité algérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision confirmative du ministre de la Justice intervenue le 30 juin 2003 sur recours gracieux, suite à une première décision dudit ministre du 17 avril 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 septembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Yasmina MAADI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 11 mars 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 8 avril 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 17 avril 2003, notifiée par lettre recommandée le 22 avril 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté l’Algérie en octobre 2002 pour prendre place dans un bateau en partance pour Alicante où vous seriez resté trois semaines.

Ensuite, vous seriez parti dans le nord de l’Espagne pour vous installer à Barcelone où vous avez séjourné environ un mois. De là, vous seriez allé en France. Après avoir séjourné à Toulouse, vous auriez pris le train pour venir au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 11 mars 2003.

Vous exposez que vous auriez été appelé au service militaire en 1992 mais que vous n’auriez pas voulu y aller. Vous expliquez qu’il y aurait eu la guerre civile et la guerre au Sahara occidental.

Vous n’auriez été membre d’aucun parti politique.

Vous expliquez que vous auriez habité un petit village et qu’en 1997, les Islamistes y auraient tout saccagé. Vos père et mère seraient morts pendant cette période – là. Vous auriez alors quitté le village pour vivre à Oran. Là, vous auriez vécu de la vente d’alcool et de cigarettes de contrebande sur les marchés mais cette activité aurait été interdite et vous aurait valu des ennuis avec la police. Vous auriez été plusieurs fois contrôlé par des policiers qui vous auraient confisqué vos gains et vos marchandises. Vous ajoutez qu’il leur arrivait de vous taper.

Les Islamistes, quant à eux, vous auraient reproché la vente d’alcool et votre peu de pratique de la religion. Vous auriez entendu dire qu’ils vous menaçaient. Vous ajoutez que les Islamistes se promèneraient sur les marchés et observeraient ce qui s’y passe. Vous auriez également craint les barrages et les contrôles quand vous passiez de la marchandise.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je constate d’abord que votre activité sur les marchés étant illégale, il était normal que la police vous la reproche et vous crée des ennuis de ce fait. Ceci ne saurait constituer une persécution au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne votre insoumission, elle ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié et la crainte de peines de ce chef non plus.

Quant aux Islamistes, non autrement précisés, ils ne sauraient constituer un agent de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il résulte de ce qui précède que votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 16 mai 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale le 30 juin 2003.

Par requête déposée le 7 août 2003, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation sinon à la réformation de la décision confirmative du ministre de la Justice du 30 juin 2003.

Encore qu'un demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l'obligation d'examiner en premier lieu la possibilité d'exercer un recours en réformation, l'existence d'une telle possibilité rendant irrecevable l'exercice d'un recours en annulation contre la même décision.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours subsidiaire en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le recours en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait de nationalité algérienne, originaire de la ville de Blida et qu’il aurait quitté sa ville d’origine suite au « massacre de Blida » en 1997, lors duquel ses parents auraient été tués. Il se serait installé par la suite dans la ville d’Oran où il aurait survécu grâce à des activités clandestines de vente d’alcool et de cigarettes, ce qui lui aurait valu des problèmes par les autorités et des menaces de la part des islamistes qui lui auraient reproché la vente d’alcool et le peu de pratique de sa religion. Le demandeur ajoute pour le surplus qu’il refuserait de s’acquitter de ses obligations militaires qui pourraient l’amener à commettre des exactions tant sur des civils que sur des islamistes présumés, de sorte qu’il serait considéré par les autorités en place comme déserteur.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 8 avril 2003, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que l’essentiel des actes concrets de persécution invoqués par le demandeur émanent de membres d’un groupement islamiste extrémiste, donc de personnes étrangères aux autorités publiques, de même qu’ils s’analysent dans cette mesure en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. En outre, l’existence d’une persécution de la part de l’Etat ne saurait être admise dès la commission d’un acte de persécution par une personne quelle soit ou non au service des autorités publiques, mais seulement dans l’hypothèse où les autorités spécifiquement compétentes pour la poursuite et la répression des actes de persécution commis soit encouragent ou tolèrent ces actes, soit sont incapables d’entreprendre des démarches d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion contre la commission de tels actes de la part de telles personnes.

Dans les deux hypothèses, il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en exergue par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est qu’un réfugié ?, p. 113, n° 73 et suivants).

Si le demandeur tend en l’espèce certes à décrire une situation d’insécurité et de conflit généralisé dans son pays d’origine, il n’a soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle, des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate, voire allégué une démarche concrète en vue d’obtenir la protection de la part des autorités en place.

Il en résulte que le demandeur n’a pas dûment établi l’incapacité des autorités en place de lui assurer une protection adéquate.

Concernant le motif fondé sur la prétendue insoumission de Monsieur …, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine, du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur … risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Pour le surplus, les prétendus problèmes rencontrés par le demandeur avec les autorités en place en raison de ses activités illégales de vente d’alcool et de cigarettes ne sauraient être considérés comme crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’ils se situent dans un contexte de criminalité de droit commun.

Finalement, les risques allégués par le demandeur se limitent essentiellement à la ville d’Oran et il reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de l’Algérie, la Convention de Genève visant le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne devant être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 27 novembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16849
Date de la décision : 27/11/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-11-27;16849 ?

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