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27/11/2003 | LUXEMBOURG | N°16569

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 novembre 2003, 16569


Tribunal administratif N° 16569 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 juin 2003 Audience publique du 27 novembre 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16569 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 juin 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg

, au nom de M. …, né le … à Granin (Algérie), de nationalité algérienne, demeurant actuellement à L-…,...

Tribunal administratif N° 16569 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 juin 2003 Audience publique du 27 novembre 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16569 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 juin 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Granin (Algérie), de nationalité algérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 17 mars 2003 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du 8 mai 2003 prise par ledit ministre suite à un recours gracieux introduit par le demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 septembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Louis TINTI, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Ayant été refoulé d’Allemagne en date du 28 février 2003, M. … introduisit à ladite date auprès des autorités luxembourgeoises une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le 17 mars 2003, M. … fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du même jour, lui notifiée le 19 mars 2003 et à son mandataire le lendemain, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre pays d’origine en 2002.

Vous auriez été caché dans un conteneur et débarqué à Luxembourg, où vous seriez arrivé en avril ou en mai 2002.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 28 février 2003, après avoir fait l’objet, le 6 février 2003, d’un arrêté de refus d’entrée et de séjour au Luxembourg.

Vous exposez que vous n’avez pas fait votre service militaire, car vous n’auriez pas été appelé.

Vous n’auriez été membre d’aucun parti politique.

Vous exposez que vous auriez vécu, dans votre pays, dans un village dans lequel vous étiez berger. Par la suite, vous auriez été engagé comme « gardien patriote », c’est à dire que, armé d’un fusil, vous deviez surveiller le village et tirer en l’air si des terroristes du FIS faisaient leur apparition.

Vous précisez qu’un jour, il y aurait eu une importante attaque des terroristes et que vous ne vous seriez plus senti en sécurité. Vous dites que l’Etat ne pourrait pas vous protéger et que les terroristes risqueraient de vous retrouver où que vous alliez.

Après cela, vous auriez remis votre arme à un collègue et vous seriez parti à Oran où vous auriez vécu d’expédients. Vous auriez appris un jour par un ami qu’une personne vous cherchait et vous auriez pris peur. Vous auriez alors quitté l’Algérie pour pouvoir vivre en paix.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je constate d’abord que vos craintes proviennent à la fois des terroristes et des autorités qui seraient incapables de vous protéger. Vous dites qu’il existe une infiltration de l’Etat par les terroristes et vice versa. Ceci créerait un climat d’insécurité.

Quant aux groupes terroristes que vous craignez, leurs agissements ne rentrent pas dans le cadre d’un motif de persécution au sens de la Convention de Genève. De même des individus non identifiés ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la prédite Convention. Enfin, ces groupes terroristes ont un champ d’opération limité géographiquement ; de ce fait, en vous installant dans une autre ville, vous vous seriez placé hors de leur portée et vous auriez ainsi pu profiter d’une possibilité de fuite interne.

Pour le surplus, vous n’invoquez aucune persécution ni mauvais traitement dans votre pays.

J’en conclu que vos dires reflètent davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution entrant dans le cadre de la Convention de Genève.

Il résulte de ce qui précède que votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par le mandataire de M. … suivant courrier du 24 avril 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale le 8 mai 2003.

Le 16 juin 2003, M. … a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 17 mars et 8 mai 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait de nationalité algérienne, originaire de la ville de Granin et qu’il aurait quitté son pays d’origine au mois d’avril 2002 en raison de sa peur des terroristes islamistes. Il expose plus particulièrement avoir servi dans un village comme « gardien patriote », qu’il aurait dû protéger les habitants de ce village contre les terroristes islamistes du FIS et qu’il serait parti au courant de l’année 1999 vers la ville d’Oran après une importante attaque dudit village, étant donné qu’il ne s’y serait plus senti en sécurité. Le demandeur fait ajouter que les autorités en place seraient impuissantes pour lui assurer une protection efficace, étant donné que les terroristes arriveraient toujours à découvrir les noms des anciens « gardiens patriotes » et les tueraient par la suite, voire que lesdites autorités seraient infiltrées par les terroristes et vice versa.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 17 mars 2003, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure, sans qu’il y ait lieu de recourir à une mesure d’instruction supplémentaire, que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les actes concrets de persécution invoqués par le demandeur émanent de membres d’un groupement islamiste extrémiste, donc de personnes étrangères aux autorités publiques, de même qu’ils s’analysent dans cette mesure en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. En outre, l’existence d’une persécution de la part de l’Etat ne saurait être admise dès la commission d’un acte de persécution par une personne quelle soit ou non au service des autorités publiques, mais seulement dans l’hypothèse où les autorités spécifiquement compétentes pour la poursuite et la répression des actes de persécution commis soit encouragent ou tolèrent ces actes, soit sont incapables d’entreprendre des démarches d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion contre la commission de tels actes de la part de telles personnes.

Dans les deux hypothèses, il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en exergue par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est qu’un réfugié ?, p. 113, n° 73 et suivants).

Si le demandeur tend en l’espèce certes à décrire une situation d’insécurité et de conflit généralisé dans son pays d’origine, il n’a soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate, voire allégué une démarche concrète en vue d’obtenir la protection de la part des autorités en place.

Il en résulte que le demandeur n’a pas dûment établi l’incapacité des autorités en place de lui assurer une protection adéquate.

Pour le surplus, les risques allégués par le demandeur se limitent essentiellement au village où il a servi comme « gardien patriote » et il reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de l’Algérie, la Convention de Genève visant le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne devant être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées). Dans ce contexte, il convient d’ailleurs de noter que le demandeur n’a pas fait état du moindre fait concret de persécution, suite à son installation dans la ville d’Oran au courant de l’année 1999 et jusqu’à son départ d’Algérie au printemps 2002.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 27 novembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16569
Date de la décision : 27/11/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-11-27;16569 ?

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