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26/11/2003 | LUXEMBOURG | N°16550

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 novembre 2003, 16550


Tribunal administratif N° 16550 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juin 2003 Audience publique du 26 novembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16550 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juin 2003 par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de

l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité albanai...

Tribunal administratif N° 16550 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juin 2003 Audience publique du 26 novembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16550 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juin 2003 par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 8 avril 2003, lui notifiée par courrier recommandé expédié en date du 14 avril 2003, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 octobre 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2003 par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT au nom de Monsieur … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 novembre 2003.

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Monsieur … introduisit en date du 20 décembre 2002 une demande tendant à l’obtention du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut en outre entendu en date du 17 février 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 8 avril 2003, lui notifiée par courrier recommandé expédié le 14 avril 2003, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée aux motifs que le fait par lui invoqué d’avoir été observateur pour le parti démocratique pendant les élections ne changerait rien au fait qu’il n’aurait été qu’un simple membre de ce parti politique et qu’il n’aurait partant pas été dans une position particulièrement exposée, que par ailleurs le fait que la famille de Monsieur … aurait été persécutée sous l’ancien régime communiste n’entraînerait pas automatiquement des craintes justifiées de persécution par le régime actuellement en place et que ses déclarations concernant la police albanaise ne seraient pas crédibles, étant donné que la situation en Albanie serait telle que la police ne s’immiscerait plus dans les affaires politiques et qu’il serait peu probable que la police ait ouvert le feu sur Monsieur … sans la moindre hésitation. Le ministre a relevé en outre que Monsieur … n’aurait invoqué aucun élément permettant de croire qu’il aurait été perçu comme un danger grave pour le pouvoir en place au point de justifier que les autorités aient cherché à l’éliminer. Il en déduit que Monsieur … resterait en défaut d’alléguer une crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève ne serait pas établie dans son chef.

Par courrier de son mandataire datant du 12 mai 2003, Monsieur … a introduit un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 8 avril 2003. Ledit recours gracieux s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 22 mai 2003, il a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 8 avril 2003.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il aurait quitté l’Albanie en raison de considérations éminemment politiques, que la considérable stabilisation de la situation politique en Albanie retenue par le ministre laisserait d’être démontrée et qu’au contraire, des pratiques largement contraires aux règles du jeu démocratique n’y seraient toujours pas irradiquées. Il insiste en outre sur son rôle actif au sein du parti démocratique en faisant valoir qu’il aurait eu le statut de garde de corps du président de ce parti pour l’arrondissement de Shkoder et qu’il aurait soutenu les actions menées par ce parti et participé à de nombreuses réunions et manifestations organisées notamment dans le but de libéraliser la situation politique de l’Albanie, tout ceci depuis le 16 février 1992 jusqu’en 1998. Il expose dans ce contexte avoir été, ensemble avec sa famille, la cible de militants socialistes, sinon de la police en raison notamment de son engagement en qualité d’observateur lors des élections afin d’éviter des vols et/ou toute manipulation possible. Il se réfère plus particulièrement à l’agression par lui relatée à l’appui de sa demande lui ayant valu une hospitalisation pendant 2 mois, ainsi qu’à l’emprisonnement qui s’en serait suivi pendant les deux mois subséquents. Il relève en outre qu’il y aurait lieu de considérer que son grand-père aurait été fusillé, que son père aurait fait 15 ans de prison et que son frère aurait été battu à d’itératives reprises au point de devoir actuellement se cacher pour survivre.

A titre subsidiaire, au cas où le tribunal retiendrait que les arguments développés ne répondraient pas aux conditions d’octroi du statut de réfugié, le demandeur invoque les dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’hommes pour tenir en échec une éventuelle mesure d’éloignement au motif que la vie familiale qu’il a désormais établie sur le territoire national mériterait protection et se trouverait menacée dans son existence même à travers la décision litigieuse.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur … et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 17 février 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le tribunal est amené à constater que les actes concrets de persécution invoqués par le demandeur émanent en partie de personnes privées étrangères aux autorités publiques, de manière à s’analyser dans cette mesure en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population. Ils ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne concernée ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève.

En outre, s’il est vrai que les actes de persécution invoqués par le demandeur émanent également en partie de personnes relevant de l’Etat, à savoir de policiers au service de l’Etat, l’existence d’une persécution de la part de l’Etat ne saurait pas non plus être admise dès la commission d’un acte de persécution de la part d’une personne au service des autorités publiques, mais seulement dans l’hypothèse où les autorités spécifiquement compétentes pour la poursuite et la répression des actes de persécution commis soit encouragent ou tolèrent ces actes, soit sont incapables d’entreprendre des démarches d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion contre la commission de tels actes de la part de personnes au service de l’Etat ou des collectivités locales.

Dans les deux hypothèses, il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-

qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Même si la motivation des personnes privées ou au service d’autorités publiques ayant commis les actes de persécution allégués en l’espèce était susceptible d’avoir trait à l’activité politique du demandeur, les éléments du dossier ne permettent de retenir ni que le demandeur a concrètement recherché la protection des autorités en place dans son pays d’origine, ni l’incapacité de ces dernières pour lui assurer un niveau de protection suffisant, ni encore le défaut de toute poursuite des actes de persécution commis à son encontre.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à sa demande en obtention du statut de réfugié.

En ce qui concerne le moyen soulevé par le demandeur et tiré d’une prétendue violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, force est de constater qu’il n’appartient pas au tribunal administratif d’analyser une éventuelle atteinte portée par le ministre de la Justice au droit du demandeur au respect de sa vie privée et familiale telle que projetée par ledit article dans le cadre d’un litige portant sur le refus de reconnaître un demandeur d’asile comme réfugié au sens de la Convention de Genève. En effet, même dans l’hypothèse où le demandeur tomberait dans le champ d’application de la disposition de droit international ainsi invoquée, pareille circonstance ne saurait l’autoriser à se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève (cf. trib. adm. 12 janvier 2000, n° 11585 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 84 et autres références y citées, p. 196). Ce moyen doit partant être rejeté comme étant étranger à la matière faisant l’objet de la décision ministérielle litigieuse.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 novembre 2003 par:

Mme Lenert, premier juge M. Spielmann, juge Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16550
Date de la décision : 26/11/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-11-26;16550 ?

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