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19/11/2003 | LUXEMBOURG | N°16827

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 novembre 2003, 16827


Tribunal administratif Numéro 16827 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 août 2003 Audience publique du 19 novembre 2003 Recours formé par les époux … et … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16827 du rôle et déposée le 4 août 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ender ULCUN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , et de son épouse, Madame …, née l

e … , agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … ...

Tribunal administratif Numéro 16827 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 août 2003 Audience publique du 19 novembre 2003 Recours formé par les époux … et … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16827 du rôle et déposée le 4 août 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ender ULCUN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , et de son épouse, Madame …, née le … , agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et .., tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L- … , tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 14 mars 2003 refusant de faire droit à leur demande de prorogation de leur autorisation de séjour, ainsi que de deux décisions confirmatives du même ministre datant respectivement des 30 avril et 23 juillet 2003, intervenues sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 septembre 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2003 par Maître Ender ULCUN au nom des consorts …-… ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ender ULCUN et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 novembre 2003 .

Par décision du 21 janvier 2002, le ministre de la Justice avait accordé aux époux … et … ainsi qu’à leurs deux enfants mineurs … et …, une autorisation de séjourner au Luxembourg jusqu’au 30 septembre 2002 sous la précision suivante :

« Je vous signale que cette autorisation, vous octroyée à titre tout à fait exceptionnel, est uniquement prorogeable si en date de l’expiration de sa validité, vous êtes en possession 1° d’un permis de travail délivré en votre nom par le ministère du Travail et de l’Emploi ; 2° d’un logement indépendant non subventionné par une autorité publique. » 1Par décision datant du 14 mars 2003, notifiée aux consorts …-… par voie de courrier recommandé expédié le 4 avril 2003, le ministre refusa de proroger ladite autorisation de séjour du 21 janvier 2002 aux motifs suivants :

« Cette autorisation de séjour vous avait été accordée alors que vous aviez déclaré auprès du bureau d’accueil pour demandeurs d’asile appartenir à une minorité au Kosovo, plus précisément à la minorité boshniaque, d’expression serbo-croate. En effet, vous aviez déclaré être de nationalité yougoslave, et être nés au Kosovo où vous auriez également vécu jusqu’au moment de votre départ. De même, tout votre récit à la base de votre demande d’asile était basé sur la situation qui règne au Kosovo.

Or, il apparaît qu’en réalité, vous n’êtes pas de nationalité yougoslave, mais de nationalité bosniaque. Ainsi, vous êtes en possession de passeport émis par les autorités de la Bosnie-Herzégovine. De même, contrairement aux explications données dans le cadre de votre demande d’asile, vous n’êtes pas nés à Kovacevo/Kosovo, mais à Kalesija respectivement à Tuzla. Dès lors, vous avez clairement menti tant sur votre nationalité que sur vos lieux de naissance. Dans ces conditions, vous comprendrez qu’aucune nouvelle autorisation de séjour ne saurait plus vous être délivrée.

En effet, l’article 5 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers prévoit clairement que l’autorisation de séjour peut être refusée à l’étranger qui a sciemment donné à l’autorité chargée de recevoir les déclarations d’arrivée et les demandes de cartes d’identité des indications inexactes sur son état civil, ses lieux de résidence antérieurs et ses antécédents judiciaires.

De même, aucune autorisation de séjour ne saurait plus vous être accordée alors que vous n’êtes pas en possession de moyens personnels suffisants conformément à l’article 2 de la loi du 28 mars 1972 précitée.

Dans ces conditions, vous êtes priés de quitter le territoire du Grand-Duché de Luxembourg sans délai. » Entre-temps, avertis du fait que leur autorisation de séjour ne serait pas prorogée, les consorts …-…, par l’intermédiaire de leur mandataire se sont adressé au ministre de la Justice par courrier du 11 mars 2003 en faisant valoir que les conclusions tirées par le ministre seraient le résultat d’un malentendu, étant donné que lors de leur première comparution au bureau d’accueil pour demandeurs d’asile, ils ne se seraient pas rendus compte que les agents avaient acté la ville de Kovacevo en tant que lieu de naissance. En effet, troublés par les nombreuses questions ils n’y auraient pas prêté attention. Par le même courrier ils ont affirmé ne jamais avoir essayé de tromper les autorités en faisant de fausses déclarations et ils ont répliqué que dans la mesure où ils n’auraient pas rempli les conditions posées par le consulat yougoslave afin de se voir délivrer un passeport, ils n’auraient pas eu d’autre choix que de se présenter au consulat bosniaque pour se voir délivrer un passeport valable, étant donné que celui-ci délivrerait beaucoup plus facilement les passeports. A l’appui de leur courrier, les consorts …-… ont en outre soumis au ministre un certificat de nationalité relevant que Monsieur … a effectivement la double nationalité yougoslave et bosniaque.

Par décision du 30 avril 2003 le ministre de la Justice a confirmé sa décision du 14 mars 2003 dans son intégralité à défaut d’éléments pertinents nouveaux.

2 A la suite d’une itérative intervention en faveur des consorts …-… auprès du ministre de la part de la Fondation CARITAS Luxembourg en date du 30 juin 2003, le ministre, par décision du 23 juillet 2003, a rappelé que les intéressés avaient fourni des indications inexactes sur leur nationalité ainsi que sur leur lieu de naissance, de sorte qu’après réexamen du dossier, aucun motif nouveau pertinent ne pourrait être relevé pour revenir sur les décisions négatives des 14 mars et 30 avril 2003.

Par requête déposée en date du 4 août 2003, les consorts …-… ont fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 14 mars, 30 avril et 23 juillet 2003.

Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours les consorts …-… contestent formellement avoir volontairement donné des indications inexactes aux autorités chargées de recevoir leur déclaration d’arrivée et leur demande de carte d’identité. Ils rappellent que lors de sa première audition Monsieur … aurait été troublé par les nombreuses questions qui lui avaient été posées et qu’il n’aurait pas fait attention au fait que les agents avaient acté Kovacevo en tant que lieu de naissance. Ils relèvent n’avoir à aucun moment tiré un quelconque avantage de cette situation et n’avoir jamais essayé de cacher leur nationalité ou leur lieu de naissance aux autorités. Les demandeurs se réfèrent à cet égard au fait d’avoir versé un certificat de nationalité aux services du ministère de la Justice duquel il ressortirait que Monsieur BAJRAMAI a effectivement la double nationalité yougoslave et bosniaque. Les demandeurs font réexposer en outre les problèmes par eux rencontrés pour se voir délivrer un passeport yougoslave alors qu’ils n’auraient connu personne à Luxembourg qui aurait été en mesure de témoigner en leur faveur pour attester qu’ils avaient effectivement habité à Kovacevo. Ils relèvent en outre que si à l’époque il ne leur avait pas été possible d’obtenir un certificat de résidence dans un délai aussi court, Monsieur … serait actuellement en possession d’un certificat de résidence couvrant la période allant du 25 février 1997 au 1er octobre 1999. Les demandeurs font relever par ailleurs qu’ils se seraient très bien intégrés au Luxembourg et qu’ils auraient commencé à y construire une nouvelle vie, de sorte que la décision litigieuse constituerait une sanction disproportionnée par rapport aux faits qui leur sont reprochés.

Le délégué du Gouvernement insiste sur le fait qu’il ressortirait clairement du dossier administratif qu’au moment du dépôt de leur demande d’asile, les demandeurs avaient déclaré être nés à Kovacevo au Kosovo et être de nationalité yougoslave, qu’ils seraient particulièrement malvenus d’affirmer avoir été troublés par les nombreuses questions qui leur ont été posées, étant donné qu’il auraient eux-mêmes manuellement noté ces données et que par ailleurs ces fausses indications ressortiraient tout au long de la procédure d’asile, que ce soit sur les documents administratifs, sur leurs attestations de demandeurs d’asile, actes de naissance, rapports d’audition ou encore des décisions du ministre de la Justice et des juridictions administratives intervenues à cet égard. Le représentant étatique en déduit que si un moment d’inattention il y avait eu, les demandeurs auraient eu largement le temps de faire rectifier cette prétendue erreur par la suite.

Il conclut encore que ce serait à tort que les demandeurs affirment ne pas avoir tiré un quelconque avantage de cette situation, étant donné que bien au contraire, ils auraient eu tout à gagner en se déclarant être originaires du Kosovo, étant donné qu’en tant que minoritaires du 3Kosovo, leurs chances d’obtenir le statut de réfugié auraient été bien supérieures à celles de Musulmans de Bosnie-Herzégovine. Dans la mesure où il serait établi que les demandeurs ont sciemment fait de fausses déclarations, et que par ailleurs il ne serait pas établi qu’au moment de la prise de la décision litigieuse, ils auraient été en possession de moyens d’existence personnels, ce serait partant à juste titre que le ministre de la Justice a refusé de leur délivrer une nouvelle autorisation de séjour.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs font valoir que ce n’est qu’après le 30 septembre 2002, date à laquelle leur autorisation de séjour avait expiré, que le ministre du Travail et de l’Emploi a refusé de délivrer un nouveau permis de travail à Monsieur …, de sorte qu’ils ne sauraient se voir actuellement reprocher ce fait. Concernant les indications au sujet de leur nationalité, ils estiment qu’il ne saurait être reproché à Monsieur … d’avoir déclaré être de nationalité yougoslave, alors qu’il se dégagerait du certificat de nationalité produit qu’il possède effectivement la nationalité yougoslave. Dans la mesure où d’après les explications mêmes du délégué du Gouvernement la nationalité bosniaque n’existait pas encore à la date du 14 juin 1990, ils estiment qu’il ne saurait en tout état de cause leur être reproché d’avoir fait de fausses déclarations à ce sujet. Quant à leur situation de minoritaires du Kosovo, ils estiment encore n’avoir nullement menti à ce sujet, étant donné qu’ils appartiendraient effectivement à une minorité du Kosovo du fait que Monsieur … est le fils d’un couple mixte, son père étant albanais et sa mère bosniaque et qu’il ne serait pas contesté que depuis février 1997 ils ont effectivement résidé à Kovacevo au Kosovo. Ils maintiennent par voie de conséquence leurs conclusions relatives au caractère disproportionné des décisions entreprises par rapport à la gravité des faits leur reprochés.

Conformément aux dispositions de l’article 5 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, la carte d’identité d’étranger peut être refusée et l’autorisation de séjour valable pour une durée maximale de 12 mois peut être refusée ou révoquée notamment à l’étranger « qui a donné sciemment à l’autorité chargée de recevoir les déclarations d’arrivée et les demandes de carte d’identité des indications inexactes sur son état civil, ses lieux de résidence antérieurs et ses antécédents judiciaires ».

Force est de constater qu’il se dégage des éléments fournis en cause que les demandeurs ont effectivement donné des indications inexactes pour le moins sur leur lieu de naissance ainsi que la chronologie de leurs lieux de résidence antérieurs, de sorte que le ministre de la Justice a valablement pu se situer dans le cadre des dispositions de l’article 5. 5 prérelaté de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée. Dans la mesure où le lieu de naissance inexact des demandeurs fut relevé non uniquement dans le cadre de la transcription de leurs premières déclarations, mais a également figuré par la suite dans de nombreux documents administratifs qu’ils ont eu l’occasion de visualiser, l’hypothèse d’une simple inadvertance leur ayant échappé dans l’immédiat ne saurait être utilement retenue, de sorte que le ministre a valablement pu arriver à la conclusion que c’est sciemment que les demandeurs ont fourni ces indications inexactes.

Le tribunal saisi d’un recours en annulation n’étant pas appelé à statuer en lieu et place de l’autorité administrative ayant pris la décision litigieuse, son pouvoir de contrôle consiste d’abord en l’examen de l’existence et de l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée. Il lui incombe ensuite de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée sans qu’il ne puisse priver le ministre de son 4pouvoir d’appréciation sur la nature et la gravité de la mesure qu’il lui incombe de prendre, si celle-ci est par ailleurs légale. Si cette vérification peut le cas échéant s’étendre au caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis, ce n’est toutefois que dans l’hypothèse où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par cette autorité qu’une cause d’annulation peut en être déduite (cf. Cour adm. 18 juin 2002, 14771C du rôle Pas. adm. 2003, V° Recours en annulation, n° 11 et autres références y citées, p. 584).

Face aux éléments de fait constants en cause ci-avant dégagés relatifs au caractère erroné de certaines déclarations effectuées par les demandeurs, il y a lieu de retenir que les demandeurs restent en défaut d’établir, à l’appui de leur recours, une disproportion manifeste entre les décisions litigieuses et les faits retenus à leur base, de sorte que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 novembre 2003 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16827
Date de la décision : 19/11/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-11-19;16827 ?

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