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19/11/2003 | LUXEMBOURG | N°16740

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 novembre 2003, 16740


Tribunal administratif N° 16740 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juillet 2003 Audience publique du 19 novembre 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16740 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2003 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au

nom de M. …, né le … à Cajule/Sénégal, de nationalité sénégalaise, demeurant actuellement à L-…, tenda...

Tribunal administratif N° 16740 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juillet 2003 Audience publique du 19 novembre 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16740 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2003 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Cajule/Sénégal, de nationalité sénégalaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 16 avril 2003 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du 16 juin 2003 prise par ledit ministre suite à un recours gracieux introduit par le demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 août 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en ses plaidoiries.

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En date du 18 février 2003, une personne déclarant s’appeler … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, le dénommé … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les 19 et 28 mars 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 16 avril 2003, notifiée par lettre recommandée le 22 avril 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 28 mars 2003 que vous auriez quitté le Sénégal il y a environ 7 mois. Vous seriez allé tout d’abord en Guinée pour ensuite prendre un bateau en direction de la Belgique, et finalement monter dans un camion afin d’arriver au Luxembourg.

Vous expliquez que votre père aurait été tué par les rebelles en 1987, ainsi que votre oncle en 2001, et que vous seriez soupçonné d’être en connaissance de secrets provenant de votre père, ce serait la raison pour laquelle ces rebelles seraient à votre recherche. Vous dites avoir habité dans la province de Zinguichor puis être allé vivre à Djarasoma, petit village à la frontière de la Gambie chez un gambien, puis vous seriez allé en Guinée pendant 3-4 mois avant de prendre le bateau pour vous rendre en Belgique, cependant vous auriez passé 5 mois à bord, et à la place de payer votre voyage vous auriez travaillé à bord de ce bateau. Enfin, on vous aurait conduit au Luxembourg tout en passant par Bruxelles.

Vous dites être venu ici parce que là bas les rebelles auraient tué votre famille, et aussi qu’ils pourraient vous tuer.

Enfin, vous n’êtes membre d’aucun parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je me dois de constater que vous n’avez subi aucune persécution, et vous déclarez vous-même que les rebelles ne pouvaient pas vous retrouver dans le petit village de Djarasoma, votre seul motif de fuite étant que votre oncle est mort alors qu’il voulait vous aider. Je compatis avec le fait que des membres de votre famille aient pu se faire tuer, mais il convient de relever que vous n’alléguez aucune raison suffisante établissant que vous avez été dans l’impossibilité de bénéficier d’une fuite interne, vous pouviez en effet rester vivre dans ce petit village, ou bien même dans un autre endroit du Sénégal, pays d’ailleurs considéré comme « sûr ».

De même que vous ne démontrez pas en quoi il vous aurait été impossible de vous installer en Guinée, pays au sein duquel vous déclarez être resté 3-4 mois sans invoquer un quelconque problème.

De plus, à défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Et en l’occurrence, il convient de souligner les innombrables contradictions rendant votre récit totalement incrédible. Tout d’abord, il ressort de l’audition du 19 mars 2003, que vous avez habité dans différents endroits alors que vous répondez par l’affirmative à la question de savoir si vous avez toujours habité Zinguichor. Notamment je me dois de constater les contradictions au niveau des dates qui sont associées à vos domiciles consécutifs. En effet, vous dites vous être enfui à Djarasoma l’an dernier, puis plus loin vous ajoutez que vous auriez habité cet endroit pendant longtemps, vous auriez fui pour y aller au moment où votre père serait mort, c’est à dire en 1987. Par contre encore ensuite, vous relatez avoir quitté Ziguinchor il y a deux ans, deux ans et demi, tout en prétendant avoir travaillé à Ziguinchor en tant que maçon entre 2001 et 2002, et que les rebelles seraient venus chez vous au mois d’août de l’an passé.

Aussi je dois souligner que concernant votre sœur vous apportez plusieurs versions.

En effet, vous dites d’abord que vous ne viviez plus qu’avec votre sœur là bas, puis plus loin vous expliquez que vous ne savez pas où elle se trouve, elle serait partie en Europe en 1986.

Pour enfin ajouter, que vous ne l’auriez plus vu depuis 3 ans, elle se trouverait encore en France il y a un an, ce serait la dernière fois que vous l’auriez contactée.

Enfin concernant votre propre nom, je me dois de constater des divergences dans votre récit, vous dites vous appeler O. de nom de famille et S. de prénom, or vos parents auraient comme nom de famille S., nom similaire à votre prénom. Finalement, à la question clairement posée à ce sujet, vous répondez vous nommer S., votre prénom serait O.

Encore pour finir, il est peu concevable que les rebelles vous rechercheraient depuis deux ans alors qu’ils auraient tué votre père en 1987.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 22 mai 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale le 16 juin 2003.

Il se dégage d’un rapport de la police grand-ducale du 24 juin 2003 que le dénommé « …E » aurait fait usage de faux noms dans le cadre de sa demande d’asile, étant donné que « bei einer Nachfrage stellte sich heraus, dass INTERPOL Bern diese Fingerabdrücke [ceux de M. S.] in ihrer Dokumentation enthalten haben. Laut dieser Dokumentation wäre O. den östereischichen Autoritäten unter dem Namen W. A. geboren am… bekannt und am 02.11.2000 in Wien wegen Verstössen gegen das Betäubungsmittelgesetz protokolliert worden.

Ausserdem ist O. laut INTERPOL Wiesbaden drei Mal zwischen 1987 und 1991 unter dem Namen M. A. geboren am … wegen Delikten erfasst worden. » Le 18 juillet 2003, Monsieur S. a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 16 avril et 16 juin 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer que ses parents seraient décédés en 1987 et 2002 et qu’il aurait vécu auprès d’une tante, qu’après le meurtre de son oncle en 2002 par les rebelles, lesquels l’auraient également recherché pour l’engager dans leurs rangs, il aurait fui son pays d’origine pour chercher refuge en Europe. Il estime que le ministre de la Justice ne saurait pas lui reprocher des incohérences ou contradictions contenues dans le rapport dressé à l’occasion de ses deux auditions, ceux-ci s’expliquant par sa mauvaise maîtrise de la langue française. Sur ce, il soutient que sa vie serait en danger dans son pays d’origine et il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours. Il relève spécialement les faits découverts par la police grand-ducale et consignés dans le rapport précité du 24 juin 2003 pour en conclure que « le récit du demandeur serait inventé du début à la fin et ne saurait correspondre à une réalité quelconque ».

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures non contentieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que la crédibilité et la véracité du récit du demandeur sont sérieusement ébranlées par les faits consignés dans le rapport de police du 24 juin 2003 relativement à l’utilisation de faux noms et de fausses qualités par lui et son séjour en Europe précisément à l’époque à laquelle il a déclaré devant les instances luxembourgeoises avoir résidé au Sénégal, faits que le demandeur n’a ni contesté ni même tenté d’expliquer.

Or, à la lumière de cet état des choses et compte tenu du défaut d’un quelconque élément de preuve tangible relativement à des persécutions concrètes que le demandeur a subies ou des risques réels afférents, le récit du demandeur n’est pas de nature à dégager l’existence d’un risque réel de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Comme le demandeur a pris position par écrit par le fait de déposer sa requête introductive d’instance, le jugement est réputé contradictoire entre parties.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 19 novembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16740
Date de la décision : 19/11/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-11-19;16740 ?

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