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19/11/2003 | LUXEMBOURG | N°16727

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 novembre 2003, 16727


Tribunal administratif Numéro 16727 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 juillet 2003 Audience publique du 19 novembre 2003 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16727 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 juillet 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … Ã

  Ljuboviste (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Lestane ...

Tribunal administratif Numéro 16727 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 juillet 2003 Audience publique du 19 novembre 2003 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16727 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 juillet 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Ljuboviste (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Lestane (Serbie), agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 9 avril 2003 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du 10 juin 2003 prise par ledit ministre suite à un recours gracieux introduit par les demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 août 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé en nom et pour compte des demandeurs le 6 octobre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

Le 25 septembre 2002, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leurs enfants mineurs …, ainsi que Mademoiselle …, née le … à Prizen/Kosovo, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour les époux …-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 18 mars 2003, ils furent, de même que Mademoiselle Fatima …, entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur leurs motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 9 avril 2003, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile au Kosovo le 15 septembre 2002 pour aller d’abord à Bratislava. Le 22 septembre, vous avez quitté cette ville pour venir au Luxembourg. Vous ne pouvez pas donner plus de précisions quant à votre trajet.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 25 septembre 2002.

Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1979/1980 en Macédoine. Vous auriez été réquisitionné pour travailler dans une boulangerie d’Etat pendant le conflit au Kosovo. Vous vous seriez enfui au bout de deux mois et demi parce que des réservistes serbes vous auraient menacé et frappé. Cette réquisition ayant remplacé une réserve, vous seriez donc considéré comme déserteur.

Vous n’auriez été membre d’aucun parti politique.

Vous exposez que vous étiez commerçant à Djakovica avant le conflit et vous précisez que cette ville serait maintenant à majorité albanaise.

En août 2001, vous auriez essayé de rouvrir votre magasin. Vous auriez obtenu sans difficulté les autorisations officielles, mais votre magasin aurait été occupé par un Albanais qui se l’était approprié. Il vous aurait forcé à lui racheter le fonds de commerce pour 3.000 D.Mark. La somme payée, vous auriez essayé d’emménager dans les locaux, mais, entre temps, un autre Albanais aurait pris possession des lieux et il vous en aurait chassé sans ménagement. Vous seriez allé vous plaindre au bourgmestre, mais dans les locaux-même de la mairie, vous auriez fait l’objet d’une tentative d’enlèvement. Vous auriez réussi à échapper à vos agresseurs et vous vous seriez caché à votre domicile privé, à Dragas. Vous auriez alors pris la décision de quitter le pays.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre époux. Vous ajoutez que quand vous parlez le goranais, les Albanais vous prendraient pour des Serbes. Quand vous sortez de chez vous, ils vous cracheraient dessus et ils tireraient vos vêtements.

Quand à vous, Mademoiselle, vous expliquez qu’à l’école, vous auriez été harcelée par des élèves albanais. Vous auriez renoncé à poursuivre votre scolarité.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile, qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Bien que comprenant les problèmes que vous avez eus pour récupérer votre fonds de commerce, je constate que les faits que vous alléguez ne sont pas d’une gravité suffisante pour justifier une crainte de persécution pour l’un des motifs prévus par la Convention de Genève. Ils traduisent, en effet, davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution.

En effet, en ce qui concerne le Kosovo, force est de constater qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’y est installée et qu’une administration civile, placée également sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition, ce qui constitue une garantie pour les minorités ethniques.

En ce qui concerne la situation plus précise des Goranais, il ressort qu’actuellement ceux-ci ont, non seulement le droit de vote, mais encore accès à l’enseignement, aux soins de santé et aux avantages sociaux, ce qui fait qu’une discrimination à leur égard ne saurait être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève. De plus, il résulte du rapport du UNHCR de janvier 2003 que les Goranais qui quittent Dragas le font essentiellement pour des motifs économiques car la situation des Goranais s’est stabilisée dans cette durant l’année 2002.

En outre, ni les Albanais ni les personnes dont vous avez été victime ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, vous n’apportez pas la preuve qu’il vous aurait été impossible de vous installer en République de Serbie / Monténégro, où habite votre père, Madame, pour profiter d’une possibilité de fuite interne.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raisons de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par courrier de leur mandataire du 13 mai 2003, les consorts …-… firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 9 avril 2003.

Faisant suite à ce recours gracieux, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale le 10 juin 2003.

Le 17 juillet 2003, les époux …-…, agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leurs enfants mineurs …, ont introduit un recours en réformation contre les deux décisions ministérielles de refus prévisées.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Kosovo, de confession musulmane et qu’ils appartiendraient à la minorité ethnique des « goranais » et ils soutiennent avoir quitté leur pays d’origine en raison du fait qu’en tant que membres de la minorité « goranaise » du Kosovo, ils auraient subi ou risqueraient de subir des discriminations voire même des actes de persécution de la part des Albanais du Kosovo et ils ajoutent encore que les forces internationales présentes au Kosovo ne seraient pas en mesure de garantir leur sécurité. Dans cet ordre d’idées, ils font plus particulièrement état des problèmes qu’ils auraient connus lorsqu’ils auraient essayé en vain de récupérer le magasin qu’ils auraient exploité à Djakovica et dont successivement deux Albanais se seraient accaparés. En ce qui concerne la situation régnant actuellement au Kosovo, ils soutiennent que les Albanais du Kosovo considéreraient les membres de la communauté goranaise comme des collaborateurs des Serbes et qu’ils risqueraient de subir des persécutions de ce fait. Ils font en outre état de ce qu’une possibilité de fuite interne acceptable n’existerait pas dans leur chef.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures non contentieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques ne sauraient être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’offrir une protection suffisante contre ces actes, ce défaut de protection devant être mis suffisamment en évidence par les demandeurs d’asile.

En l’espèce, à travers leur recours contentieux, les demandeurs font essentiellement état de leur crainte de subir des persécutions de la part d’Albanais du Kosovo en raison de leur appartenance à la minorité des « Goranais » et l’hostilité de la part des Albanais du Kosovo à l’encontre des membres de cette minorité ethnique, ainsi que de la situation générale existant dans leur pays d’origine. Or, cette crainte s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit une crainte personnelle de persécution, voire une incapacité des autorités en place d’assurer leur protection. Les problèmes invoqués par les demandeurs en rapport avec la récupération de leur magasin dans la localité de Djakovica concernent des problèmes de criminalité de droit commun et sont insuffisants à eux seuls pour démontrer que la situation des demandeurs leur soit devenue intolérable sur l’ensemble du territoire kosovar.

Il y a encore lieu de préciser que s’il est toujours vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des « Goranais », est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions. Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation au Kosovo, et que les demandeurs restent en défaut d’établir qu’ils ne peuvent trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de leur pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 19 novembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16727
Date de la décision : 19/11/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-11-19;16727 ?

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