La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/11/2003 | LUXEMBOURG | N°16665

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 novembre 2003, 16665


Tribunal administratif N° 16665 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 juillet 2003 Audience publique du 19 novembre 2003

===============================

Recours formé par Monsieur …, ,,, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16665 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 juillet 2003 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, a

u nom de M. …, né le … à Presevo (Serbie/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, d...

Tribunal administratif N° 16665 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 juillet 2003 Audience publique du 19 novembre 2003

===============================

Recours formé par Monsieur …, ,,, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16665 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 juillet 2003 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Presevo (Serbie/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-

…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 8 avril 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du 22 mai 2003 prise par ledit ministre suite à un recours gracieux introduit par le demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 août 2003 ;

Vu la lettre de Maître Edmond DAUPHIN déposée le 10 novembre 2003 au greffe du tribunal, par laquelle il sollicite la prise en délibéré de l’affaire ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en ses plaidoiries.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date du 16 décembre 2002, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 24 mars 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 8 avril 2003, notifiée par lettre recommandée le 14 avril 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 16 décembre 2002 que vous auriez quitté Gnijilane/Kosovo le 10 ou 11 décembre 2002 pour vous rendre à bord d’un camion au Luxembourg, où vous seriez arrivé le 15 décembre 2002.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 16 décembre 2002. Vous ne présentez pas de pièces d’identité.

Vous indiquez avoir habité à Presevo en Serbie. Il résulte de vos déclarations vagues et confuses qu’en 2001 et 2002 vous auriez été recherché par la police à deux reprises. Vous ne donnez pas de raison précise, vous dites seulement qu’au marché la police aurait pris vos marchandises et l’argent du commerce pour ainsi maltraiter les gens selon vos dires. La police chercherait toujours de l’argent. Vous auriez été tout le temps maltraité par les serbes, on vous reprocherait d’avoir aidé des soldats de l’UCPMB pendant la guerre. Vous énoncez également que la situation serait très mauvaise, qu’il n’y aurait pas de moyen de vivre et de l’insécurité.

Vous ajoutez également que la médecine dans votre pays d’origine serait une « catastrophe » et que vous seriez sûrement mort si vous seriez resté là-bas.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Il faut tout d’abord souligner que vous avez indiqué auprès de la Police judiciaire que votre passeport et votre carte d’identité auraient été brûlés par la police yougoslave. Lors de l’audition du 24 mars 2003 vous dites pourtant ne jamais avoir eu de passeport et avoir perdu votre carte d’identité lors du conflit du Kosovo. Cette contradiction laisse planer des doutes concernant la véracité de votre récit et les motifs réels de fuite invoqués.

Concernant la situation particulière des ressortissants de confession musulmane en Serbie, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. Le fait que la police aurait confisqué vos marchandises et votre argent est certes condamnable, mais n’est pas d’une gravité telle qu’il justifie une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Vos autres motifs ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève, mais traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution.

Des raisons de santé et économiques ne sauraient fonder une demande en obtention du statut de réfugié car elles ne rentrent pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951.

Il faut également noter que Presevo se trouve dans une région majoritairement peuplée par des ressortissants yougoslaves d’origine albanaise.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution que vous invoquez se limitent à la seule ville de Presevo. En tant que albanais du Kosovo, vos craintes sont manifestement dénuées de fondement en ce qui concerne votre situation en Kosovo. En effet, il ne ressort pas de votre demande en quoi il vous aurait été impossible de trouver une protection efficace au Kosovo, partie de votre pays d’origine qui vous était accessible. Vous ajoutez même y avoir de la famille et y avoir envoyé votre femme et vos enfants parce qu’au Kosovo la situation serait plus sure.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie a changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par sa réadmission à l’ONU et à l’OSCE. De plus, l’ancien Président Milosevic a été extradé et traduit devant le Tribunal Pénal International de La Haye, ce qui montre l’esprit de collaboration dont la Yougoslavie fait preuve actuellement. A cela s’ajoute que le 15 mars 2002 un accord serbo-monténégrin a été signé par les présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’indépendance au Monténégro. La République fédérale de Yougoslavie a cessé d’exister pour être remplacée par un Etat de Serbie et de Monténégro.

En ce qui concerne le Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, y est installée pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 13 mai 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale le 22 mai 2003.

Le 2 juillet 2003, Monsieur … a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 8 avril et 22 mai 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de la ville serbe de Presevo, située près de la frontière du Kosovo, qu’il serait de religion musulmane et appartiendrait à communauté des Albanais du Kosovo. Sur ce, il fait soutenir avoir quitté son pays d’origine en raison des tensions existant entre les Serbes et les Albanais dans la ville de Presevo, tensions qui se seraient accrues depuis la fin de la guerre du Kosovo, notamment en raison de l’installation à Presevo de beaucoup de Serbes, qui auraient quitté le Kosovo pour s’installer dans cette ville frontière et il allègue un risque de subir des persécutions de la part des membres de la communauté serbe. Il ajoute que si sa femme et ses enfants auraient pu trouver refuge au Kosovo, il ne pourrait s’y installer, au motif qu’il risquerait également de subir des persécutions des Albanais pour lesquels il constituerait un collaborateur des Serbes, notamment parce qu’il aurait toujours vécu en Serbie.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures non contentieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Dans ce contexte, il convient de relever de prime abord que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s) et une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce les craintes exprimées par le demandeur en raison de la prétendue hostilité des Serbes à son égard en raison de son appartenance à la communauté albanaise et de la situation générale tendue dans sa ville d’origine, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre en cas de retour dans son pays d’origine, mais il ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de Serbie et Monténégro, en général, et de la ville de Presevo, en particulier, étant entendu qu’il n’a pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation en Serbie et que le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance de droit qu’il ne peut raisonnablement pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans la province du Kosovo, où sa femme et ses enfants ont pu s’installer, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Comme le demandeur a pris position par écrit par le fait de déposer sa requête introductive d’instance, le jugement est réputé contradictoire entre parties.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 19 novembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16665
Date de la décision : 19/11/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-11-19;16665 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award