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19/11/2003 | LUXEMBOURG | N°16443

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 novembre 2003, 16443


Numéro 16443 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mai 2003 Audience publique du 19 novembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16443 du rôle, déposée le 16 mai 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, assisté de MaÃ

®tre Renaud LE SQUEREN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats ...

Numéro 16443 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mai 2003 Audience publique du 19 novembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16443 du rôle, déposée le 16 mai 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, assisté de Maître Renaud LE SQUEREN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité moldave, demeurant actuellement à L- …, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 13 mars 2003, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 25 avril 2003 prise sur recours gracieux, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme étant non fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 août 2003;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Renaud LE SQUEREN et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 octobre 2003.

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Le 6 septembre 2001, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut entendu en dates des 10 et 12 juillet 2002 et 20 février 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur … par décision du 13 mars 2003, notifiée par courrier recommandé du 17 mars suivant, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs suivants :

« Vous exposez que vous étiez membre de l’association REPUBLIKA au sein de votre université, vous en auriez été élu vice-président en novembre 2000.

Au mois de février 2000, vous auriez participé à une manifestation d'étudiants qui aurait été provoquée par la suppression de la gratuité des transports en commun pour les étudiants. A l'occasion de ces manifestations, vous auriez reçu un coup de matraque. Vous auriez essayé avec d'autres étudiants de parlementer avec le doyen qui voulait calmer les manifestants. Vous seriez alors entré en conflit avec le doyen de votre faculté qui se serait arrangé pour vous expulser de l'université. Vous auriez aussi été battu et menacé par des étudiants qui n'étaient pas de votre côté.

Vous ajoutez que la situation serait mauvaise dans votre pays, que l'économie serait délabrée et que régnerait la corruption et la criminalité.

Vous ajoutez qu'ensuite vous auriez quitté votre pays et que vous auriez séjourné illégalement en République Tchèque pendant une semaine.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandent d'asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate d'abord que les problèmes que vous invoquez dans le cadre de vos études universitaires ne sauraient entrer dans le cadre de la Convention de Genève.

De plus, il résulte de votre dossier que vous aviez, contrairement à vos dires, déposé une demande d'asile en République Tchèque et que vous avez été débouté de votre demande le 21 novembre 2001, décision qui fut confirmée le 29 janvier 2002. Vous avez également dit que vous n’aviez jamais eu de visa, alors qu’il résulte de nos informations que vous étiez en possession d'un visa tchèque de 90 jours qui a expiré le 10 mai 2001.

De même encore, vous n'aviez pas dit à l'agent du Ministère de la Justice qui a procédé à votre première audition que vous aviez été condamné en Allemagne pour des activités de passeur à un emprisonnement de neuf mois.

Il résulte des considérations qui précèdent que vos dires sont, pour le moins, sujets à caution.

Je vous rends attentif au fait que l’article 6 f) du Règlement Grand Ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile dispose comme suit: « Une demande d'asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu'elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d'asile. Tel est le cas notamment lorsque le demandeur a omis de manière flagrante de s'acquitter d'obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d'asile. ».

Je constate que vous avez délibérément fait de fausses déclarations à l’agent chargé de l'instruction de votre demande d'asile.

Une demande d'asile qui peut être déclarée manifestement infondée sur base de cet article peut, a fortiori, être déclarée non fondée sur la même base légale.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire introduit le 9 avril 2003 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 25 avril 2003, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 13 mars 2003 et confirmative du 25 avril 2003 par requête déposée le 16 mai 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir respecté « une pratique administrative de par le règlement ministériel du 15 octobre 1992 portant institution d’une commission consultative pour les réfugiés » en ce sens qu’il n’aurait pas saisi cette commission de sa demande d’asile, de sorte que « l’auteur de la décision a exercé des fonctions attribuées à une autre autorité » et que les décisions déférées devraient encourir l’annulation pour incompétence de son auteur.

L’article 11 de la loi susvisée du 3 avril 1996 confère expressément au ministre de la Justice la compétence pour statuer sur le bien-fondé d’une demande d’asile. En outre, la loi modificative du 18 mars 2000 a supprimé le caractère obligatoire de la consultation de la commission consultative pour les étrangers et l’article 3 actuel de la loi du 3 avril 1996 relaisse au ministre de la Justice la faculté de consulter cette commission en vue d’obtenir son avis sur un dossier individuel, mais la saisine de la commission n’est en aucun cas obligatoire. Ainsi, le fait de ne pas avoir soumis le dossier du demandeur à ladite commission ne saurait entraîner l’annulation de la procédure d’élaboration ou de la décision ministérielle prise pour juger du bien fondé de sa demande d’asile (cf. trib. adm. 25 octobre 2001, Pas. adm. 2003, v° Etrangers, n° 13). Ce moyen du demandeur est partant à rejeter.

Le demandeur critique en deuxième lieu la motivation des décisions ministérielles déférées en ce que la décision initiale du 13 mars 2003 contiendrait des affirmations trop imprécises pour permettre la vérification de la motivation à sa base.

Force est de constater que ledit moyen laisse d’être fondé, étant donné qu’il ressort du libellé de la décision déférée du 13 mars 2003 que le ministre de la Justice a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur. L’appréciation de la réalité des motifs figurant dans les décisions ministérielles litigieuses relève de l’examen au fond de la justification de ladite motivation.

Quant au fond de sa demande d’asile, le demandeur conteste le motif de rejet tiré de l’omission par lui de s’acquitter d’obligations importantes de la procédure d’asile. Il fait valoir qu’il aurait en fait répondu correctement à la question concernant des condamnations pénales antérieures et que, concernant la question lui posée quant à l’introduction antérieure d’autres demandes d’asiles, éventuellement sous une autre identité, l’agent du ministère lui aurait en réalité posé « deux questions en une seule », l’ayant ainsi empêché de répondre clairement à ces questions distinctes, de sorte que sa réponse qu’il n’aurait jamais modifié son nom ne saurait être interprétée comme réponse négative à la question relative au dépôt antérieur d’autres demandes d’asile. Le demandeur conclut qu’il aurait ainsi donné des explications satisfaisantes quant aux lacunes lui reprochées dans ses déclarations.

Quant à la crainte de persécution par lui invoquée, le demandeur expose que durant ses études d’ingénierie en mécanique de 1999 à 2001, il serait devenu membre de l’association publique REPUBLIKA tendant à protéger les droits des étudiants face à la direction de l’université et face aux autorités politiques et qu’il aurait été élu vice-président de cette association en novembre 2001. Dans le cadre d’une grande grève ayant éclaté au mois de février 2000 pour protester contre la suppression de la gratuité des transports en commun pour les étudiants, il se serait mis à la tête du mouvement malgré l’interdiction de la grève par le doyen de l’université, avec lequel il serait alors entré en conflit lors d’un entretien, et en conséquence de son engagement il aurait été violemment roué de coups par des policiers lors des manifestations subséquentes et agressé par d’autres étudiants qui auraient menacé de violer sa sœur et l’auraient frappé si fortement qu’il aurait dû suivre un traitement médical. Il fait valoir qu’un professeur lui aurait demandé 1.000 USD pour ne pas respecter la consigne du doyen de le sanctionner et qu’il aurait été recalé à deux reprises dans ses examens. Il ajoute qu’il aurait fait constamment l’objet de menaces dans la suite et que la police ne l’aurait pas assisté, de manière qu’il se serait résolu à quitter la Moldavie afin de ne pas mettre sa famille en danger.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

En vertu de l’article 6, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ». Le même article précise dans son alinéa 2 sub d) que tel est notamment le cas lorsque le demandeur a « délibérément omis de signaler qu’il avait précédemment présenté une demande dans un ou plusieurs pays, notamment sous de fausses identités » et sub f) qu’il en est encore ainsi lorsque le demandeur a « omis de manière flagrante de s’acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asile ».

En l’espèce, lors de ses auditions en dates des 10 et 12 juillet 2002 et 20 février 2003 par un agent du service de police judiciaire sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, le demandeur n’a pas dévoilé l’existence d’une demande d’asile antérieure dans un autre pays et il avait indiqué comme seuls crimes ou délits dont il aurait déjà été accusé le fait d’avoir brûlé un feu rouge et un excès de vitesse. Il ressort cependant des éléments en cause qu’il avait déjà introduit une demande d’asile en République tchèque et qu’il avait été condamné en Allemagne pour des activités de passeur à un emprisonnement de neuf mois.

Il se dégage de ces éléments que le demandeur a omis de signaler l’existence d’une demande d’asile antérieure dans un autre pays et un autre élément important quant à sa situation personnelle, de manière que sa demande tombe dans le cas d’ouverture prévu par l’article 6, alinéa 2 sub d) et f) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 prévisé permettant au ministre de la considérer comme étant manifestement infondée.

Quant à l’explication satisfaisante relative aux reproches lui ainsi adressés que le demandeur est censé fournir, conformément aux dispositions de l’article 6, alinéa 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 précité, afin d’éviter le rejet automatique de sa demande d’asile, il y a lieu de relever qu’il est indéniable que le demandeur n’a pas mentionné la condamnation en Allemagne pour activité de passeur, mais seulement deux infractions en matière de circulation routière tout comme il n’a pas révélé l’existence de la demande d’asile par lui introduite en République tchèque malgré la question afférente clairement formulée par l’agent du ministère de la Justice, mais répondu par l’affirmation évasive qu’il n’avait jamais changé ses nom ou prénom. Le tribunal est partant amené à conclure que le demandeur est resté en défaut de donner une explication satisfaisante relative à ses fausses déclarations, de manière que le motif de rejet prévu par l’article 6, alinéa 2 sub d) et f) se trouve vérifié en l’espèce. Dans la mesure où l’article 9 de la loi prévisée du 9 avril 1996 et l’article 6 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 délimitent les motifs possibles pour déclarer une demande d’asile manifestement infondée, un refus quant au bien-

fondé d’une demande d’asile peut a fortiori être basé sur le même motif. Il s’ensuit que le ministre a valablement pu considérer la demande d’asile présentée par Monsieur … comme non fondée sur base de ce motif.

Il s’ensuit que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 novembre 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16443
Date de la décision : 19/11/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-11-19;16443 ?

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