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19/11/2003 | LUXEMBOURG | N°15402

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 novembre 2003, 15402


Tribunal administratif N° 15402 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 septembre 2002 Audience publique du 19 novembre 2003 Recours formé par Monsieur … et Madame … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts sur le revenu

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15402 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2002 par Maître Jean-Luc FISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de son épouse

, Madame …, demeurant ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsid...

Tribunal administratif N° 15402 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 septembre 2002 Audience publique du 19 novembre 2003 Recours formé par Monsieur … et Madame … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts sur le revenu

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15402 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2002 par Maître Jean-Luc FISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de son épouse, Madame …, demeurant ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 29 juillet 2002 déclarant non fondée la réclamation introduite en nom et pour compte des demandeurs le 8 décembre 1999 par la Fiduciaire Centrale du Luxembourg contre deux bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des années 1992 et 1993, émis le 11 novembre 1999 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 décembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Francine EWERS, en remplacement de Maître Jean-Luc FISCH, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives.

Le 11 novembre 1999, le bureau d’imposition des personnes physiques Luxembourg 3 émit à l’encontre de Monsieur … et de son épouse, Madame …, deux bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu, relatifs aux années 1992 et 1993, établis à la suite d’un rapport du 11 août 1999 portant sur la vérification des livres comptables de la société « … … s.à r.l. », dont les seuls actionnaires sont Monsieur et Madame …-…, et portant sur les exercices 1992 à 1996 inclusivement, et qui diffèrent des déclarations afférentes en retenant pour les années 1992 et 1993 respectivement des distributions occultes provenant de la société à responsabilité limitée … … s.à r.l. de respectivement 5.617.482,- francs luxembourgeois et 3.876.033,- francs luxembourgeois.

Il ressort encore des deux bulletins en question que lesdites distributions cachées de bénéfices ont été soumises à l’imposition sur le revenu au titre des distributions cachées de dividendes.

Le tribunal administratif a décidé dans un jugement du 27 septembre 2001 que c’est à tort que par une première décision du 8 mai 2000 rendue à la suite de l’introduction de la réclamation précitée du 8 décembre 1999, le directeur de l’administration des Contributions directes a déclaré irrecevable ladite réclamation. A la suite du renvoi du dossier en prosécution de cause devant ledit directeur, ce dernier a pris une deuxième décision, en date du 29 juillet 2002, par laquelle il a reçu en la forme la réclamation précitée du 8 décembre 1999, tout en la déclarant non fondée quant au fond.

Dans ladite décision, après avoir constaté que Monsieur et Madame …-… détenaient respectivement 1000 et 250 parts sociales de la société à responsabilité limitée … …, le directeur a retenu qu’aux cours des années 1992 et 1993, des distributions cachées de bénéfices, d’ailleurs non contestées par les époux …-…, ont eu lieu à côté des distributions de dividendes déclarées, que le bureau d’imposition compétent a accordé l’exemption en vertu de la « loi RAU » aux dividendes proprement dits alors qu’il l’a refusée aux distributions cachées, et a décidé qu’en application de l’article 4 de la loi modifiée du 27 avril 1984 visant à favoriser les investissements productifs des entreprises et la création d’emplois au moyen de la promotion de l’épargne mobilière, communément appelée « loi RAU » l’exemption fiscale viserait exclusivement les dividendes et les parts de bénéfices, à l’exclusion des « autres produits » visés par l’article 97 alinéa 1er, n° 1, de la loi modifiée du 4 décembre 1967 sur l’impôt sur le revenu, en abrégée « LIR » ainsi que par l’article 164 alinéa 3 de la même loi. Il en a tiré la conclusion que les revenus provenant de distributions cachées de bénéfices ne sont pas susceptibles d’exemption dans les conditions de la loi RAU et restent partant soumis à l’impôt suivant la règle générale de l’article 97 alinéa 1er, n° 1 LIR, auquel la loi RAU n’a pas dérogé quant aux « autres produits ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2002, Monsieur … et son épouse, Madame … ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision directoriale précitée du 29 juillet 2002.

Le recours étant dirigé contre une décision directoriale statuant sur une réclamation introduite à l’encontre de bulletins de l’impôt sur le revenu, le tribunal est compétent, en vertu des dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale sur les impôts, appelée « Abgabenordnung», dénommée ci-après « AO » et de l’article 8 (3) 1 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, pour statuer en tant que juge du fond.

Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer que par acte notarié du 21 octobre 1988, ils ont constitué la société à responsabilité limitée … … s.à r.l., Monsieur … ayant souscrit 1000 parts sociales et Madame … 250 parts du capital de ladite société, que par acte du 18 mai 2000, Monsieur … a cédé 500 parts sociales jusque-là détenues par lui à son épouse. Ils ne contestent pas, suite au rapport de vérification établi pour les exercices 1992 à 1996 inclus au sujet des livres comptables de la société à responsabilité limitée … … s.à.r.l. en date du 11 août 1999 qu’ils ont perçu au titre des années 1992 et 1993 respectivement les montants de 5.617.482,- francs et 3.876.033,- francs au titre de distributions cachées de bénéfices.

Ils estiment que ces distributions cachées de bénéfices auraient à tort été imposées au titre de l’impôt sur le revenu, alors qu’elles devraient bénéficier de l’exemption prévue par la loi RAU et plus particulièrement par l’article 4, alinéa 1er de ladite loi en vertu duquel les dividendes et les parts de bénéfices allouées en titres représentatifs d’apports en numéraire sont exempts de l’impôt sur le revenu sous certaines conditions. Ils concluent à l’application de cette disposition, dans la mesure où ils ont acquis les titres représentant le capital social de la société à responsabilité limitée … … s.à.r.l. au cours de l’année 1988 en contrepartie d’apports en numéraire et où ils ont continué à les détenir, de manière ininterrompue, au-delà de l’exercice 1993, de sorte que les distributions effectuées au cours des années litigieuses 1992 et 1993 « en vertu de titres acquis par apports en numéraire au cours de l’année 1988 » devraient bénéficier de l’exemption précitée.

Afin d’étayer leur argumentation, ils font valoir, en se référant notamment aux travaux parlementaires qui se trouvent à la base de la loi RAU que l’article 4 de celle-ci ne ferait aucune distinction suivant la nature des revenus alloués, de sorte que ceux-ci devraient également inclure les distributions cachées de bénéfices. Ils se réfèrent encore à l’article 97, alinéa 1er LIR suivant lequel le revenu imposable devrait comprendre non seulement les dividendes et les parts de bénéfices, mais également les autres produits, dans la mesure où ils auraient trait à une diminution correspondante de l’actif net de la société.

Le délégué du gouvernement estime que la référence faite par les demandeurs à l’article 97 LIR ne serait pas de nature à établir que les dispositions afférentes de la loi RAU viseraient non seulement les distributions de dividendes et de parts de bénéfices mais également les autres produits tels que définis dans le cadre de l’article 97 précité. Il conclut partant au non fondé du recours sous examen.

Il échet tout d’abord de constater que le seul point en litige porte sur le refus par le directeur de l’administration des Contributions directes d’exonérer, en vertu de la loi RAU, l’intégralité des distributions cachées de bénéfices portant sur des montants de respectivement 5.617.482,- francs et 3.876.033,- francs au sujet des années 1992 et 1993, montants qui par ailleurs ne sont pas contestés par les demandeurs.

L’article 4 (1) de la loi RAU dispose que « les dividendes et parts de bénéfices alloués en raison des titres représentatifs d’apports en numéraire sont exempts de l’impôt sur le revenu, lorsque les titres sont détenus par le contribuable à la fin de l’année de leur acquisition. Toutefois, s’ils continuent à être détenus à la fin d’une ou de plusieurs années subséquentes, l’exemption se prolonge pendant 5 années d’imposition ».

Bien que l’article 4 (1) en question ait été remplacé par la loi du 7 juin 1989 portant prorogation et modification de la loi RAU, entrée en vigueur le 1er janvier 1989, il n’en reste pas moins qu’en raison du principe de non-rétroactivité, les apports en numéraire effectués pendant les années d’imposition 1984 à 1988 ont continué à engendrer de possibles exemptions conformément à l’article 4 (1) de la loi RAU pendant 5 années d’imposition suivant celle durant laquelle les apports en question ont été faits.

Concernant plus particulièrement les apports en numéraire effectués en l’espèce en 1988, des exemptions ont dès lors pu être demandées pendant les années d’imposition 1992 et 1993, de sorte que les demandeurs ont utilement pu solliciter ratione temporis l’exemption en vertu de l’article 4 (1) de la loi RAU pour les années en question relativement auxquelles les bulletins d’imposition sont actuellement déférés au fond.

En ce qui concerne la question de savoir si l’article 4 (1) de la loi RAU vise également les distributions cachées de bénéfices, il échet tout d’abord de constater que suivant le libellé de la disposition légale en question, seuls sont visés les dividendes et les parts de bénéfices et qu’en tout état de cause, il n’est fait aucune référence expresse à la notion de distribution cachée de bénéfices.

Les demandeurs estiment toutefois que dans la mesure où l’article 97 (1), sub 1.

LIR vise au titre des revenus imposables au titre de l’impôt sur le revenu les revenus de capitaux mobiliers formés non seulement par les dividendes et les parts de bénéfices, mais également par les autres produits alloués, sous quelque forme que ce soit, ladite notion d’« autres produits » comprenant notamment les distributions cachées de bénéfices au sens de l’article 164, alinéa 3 LIR, l’exemption prévue par la loi RAU devrait viser les mêmes types de revenus de capitaux.

Ils concluent ainsi en substance au parallélisme qu’il devrait y avoir entre les dispositions figurant à l’article 97 (1) sub 1 LIR et à l’article 4 (1) de la loi RAU, en ce que toutes les deux devraient viser le même type de revenu mobilier à percevoir par les détenteurs de titres représentatifs d’apports en numéraire.

Il échet toutefois de constater, comme l’a relevé à bon droit le délégué du gouvernement, qu’une telle interprétation des textes légaux ne ressort en aucune manière des dispositions légales précitées dont les dispositions sont claires et précises et ne nécessitent partant pas une interprétation par analogie.

En effet, il échet de constater que les termes utilisés par les deux dispositions légales sont identiques, en ce qu’elles font toutes les deux référence aux « dividendes » et aux « parts de bénéfices », de sorte qu’il y a lieu de constater que les auteurs des deux dispositions légales ont entendu utiliser les mêmes notions, avec la réserve toutefois que la loi RAU et plus particulièrement son article 4 (1) n’a pas repris la notion de « autres produits ».

Une telle approche peut parfaitement se comprendre dans la mesure où l’article 97 LIR a pour objet de définir différentes catégories de revenus de nature à être imposés au titre de l’impôt sur le revenu et qu’une telle disposition légale devra nécessairement avoir pour objectif d’inclure de la manière la plus large possible toutes les différentes manières dont les détenteurs de parts sociales sont susceptibles de se faire rémunérer leurs apports en capital, y compris les manières détournées sous forme notamment de distributions cachées de bénéfices qui, comme leur nom l’indique, constituent une manière non transparente de se faire rémunérer son apport en capital.

Il est clair par contre qu’une disposition légale ayant pour objectif de définir le champ d’application d’exemptions, partant de faveurs fiscales peut très bien ne pas avoir pour objectif d’encourager, moyennant ladite incitation fiscale, les détenteurs de parts sociales à se faire rémunérer leurs apports en capital d’une manière irrégulière.

Il suit partant des développements qui précèdent que les distributions cachées de bénéfices ne sauraient bénéficier de l’exemption fiscale prévue par la loi RAU et que le directeur de l’administration des Contributions directes a été en droit de rejeter, par sa décision du 29 juillet 2002, la réclamation des demandeurs dirigée contre les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu relatifs aux années 1992 et 1993, émis le 11 novembre 1999.

Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de rejeter la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure de 2.500,- € formulée par les demandeurs sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

rejette la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 19 novembre 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15402
Date de la décision : 19/11/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-11-19;15402 ?

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