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17/11/2003 | LUXEMBOURG | N°17056

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 novembre 2003, 17056


Tribunal administratif N° 17056 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 octobre 2003 Audience publique du 17 novembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17056 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 octobre 2003 par Maître Emmanuelle RUDLOFF, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, demeurant ac

tuellement à L- …, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du min...

Tribunal administratif N° 17056 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 octobre 2003 Audience publique du 17 novembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17056 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 octobre 2003 par Maître Emmanuelle RUDLOFF, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L- …, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 31 juillet 2003 déclarant manifestement infondée sa demande en obtention du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 19 septembre 2003 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 octobre 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Emmanuelle RUDLOFF au greffe du tribunal administratif le 7 novembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Entendu le juge rapporteur en son rapport, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie à l’audience publique du 12 novembre 2003.

Monsieur … introduisit en date du 13 juin 2003 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg .

Il fut entendu en outre le 25 juin 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur … par décision du 29 juillet 2003 lui envoyée par courrier recommandé le 31 juillet 2003, de ce que sa demande avait été rejetée aux motifs que le fait de n’obtenir aucun papier officiel au Monténégro ne l’aurait empêché ni de louer une maison, ni de travailler et que son père aurait même acheté une maison à Bijelo Polje de sorte que les faits invoqués ne répondraient à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Par courrier de son mandataire du 4 septembre 2003, Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision.

Par décision du 19 septembre 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision négative du 29 juillet 2003.

Le 16 octobre 2003, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 29 juillet 2003 et 19 septembre 2003.

Etant donné que l’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoit que seul un recours en annulation peut être introduit contre les demandes d’asile déclarées manifestement infondées, le tribunal est incompétent pour analyser le recours en réformation ainsi introduit.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait valoir que la motivation principale du refus d’octroi du statut de réfugié serait l’existence d’un accord serbo-monténégrin et qu’« à ce jour le Monténégro n’est plus à considérer comme un territoire dans lequel des risques de persécution sont à craindre. Quant au Kosovo, après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition, ce qui constitue une garantie pour les minorités ethniques. A supposer cependant que vous soyez persécuté au Kosovo, il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous serait impossible de rester au Monténégro et de vous y établir puisque vous y aviez déjà bénéficié d’une fuite interne, que vous y avez travaillé et loué une maison. » Il fait valoir que cette motivation serait doublement critiquable étant donné qu’il sauterait aux yeux que ces arguments seraient contraires à l’esprit de la Convention de Genève qui ne laisserait pas aux Etats signataires le choix de refuser l’octroi du statut un réfugié à un demandeur qui remplirait les conditions qu’elle définit et ne les autoriserait pas non plus à se décharger de leurs responsabilités morales et humanitaires. Il ajoute que la Convention de Genève n’autoriserait d’autant moins cette pratique dans le cas où le pays proposé relèverait de ceux où le demandeur craindrait un risque de persécution en raison de sa religion, de sa nationalité où autres. Il relate que le Monténégro, par le biais de forces armées et autre milices privées réserverait aux Serbes un sort relevant directement du champ d’application de la Convention de Genève et que lui-même serait de religion orthodoxe par son père et catholique par sa mère, si bien qu’il serait directement visé par les tensions latentes et imminentes sévissant dans cette région du globe. Il ajoute qu’il serait patent que les autorités monténégrines lui refuseraient l’octroi de papiers, si bien que sa situation resterait toujours précaire et illégale et partant soumise au bon vouloir des autorités.

En ce qui concerne le Kosovo il fait valoir que les autorités luxembourgeoises manifesteraient un optimisme candide qu’un suivi même superficiel des actualités viendrait contrecarrer pour conclure, en se référant à divers articles de journaux, que la situation au Kosovo serait loin d’être sécurisante.

A titre subsidiaire, le demandeur demande à ce que dans le cas où la décision serait maintenue, il y aurait lieu de suspendre ses effets aussi longtemps qu’il présenterait un état de santé précaire au point d’empêcher tout déplacement dans son chef.

Le délégué du Gouvernement fait valoir que le demandeur aurait pu trouver refuge au Monténégro où il aurait habité depuis mars 1999 jusqu’au moment de son départ, qu’il y aurait disposé d’un logement et qu’il aurait pu y travailler en gagnant environ 300,- DM par mois. Il constate dès lors que le demandeur aurait pu profiter d’une possibilité de fuite interne à l’intérieur de son pays et que cette fuite interne aurait été socialement viable, étant donné qu’il aurait disposé d’un logement ainsi que d’un revenu équivalant à la moyenne des revenus au Monténégro, de sorte que le ministre aurait pu rejeter la demande d’asile comme étant manifestement infondée.

En ce qui concerne la demande en effet suspensif formulée à titre subsidiaire le délégué du Gouvernement fait remarquer que l’état de santé de Monsieur … ne serait pas autrement circonstancié dans le cadre du présent recours et ajoute qu’en plus cette demande n’aurait pas lieu d’être, étant donné que l’effet suspensif serait prévu par la loi elle-même jusqu’à ce que les juridictions se soient prononcées sur les recours.

Dans son mémoire en réplique le demandeur fait valoir que le ministre de la Justice occulterait allègrement la notion de « protection efficace dans une autre partie de son propre pays » en proposant le Monténégro comme terre d’accueil au demandeur, étant donné que le Monténégro ne serait ni son pays, ni surtout ne lui offrirait une quelconque protection efficace. Il ajoute que le ministre se garderait d’ailleurs bien de se prononcer sur la situation actuelle tant du Monténégro que du Kosovo et du sort accordé par ces deux pays aux Serbes.

Aux termes de l’article 9 de la loi modifiée précitée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New-York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement… » L’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, précise : « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de craintes de persécutions du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motifs de sa demande ».

En l’espèce, le ministre a motivé sa décision notamment de la façon suivante « Je constate que le fait de n’obtenir aucun papier officiel au Monténégro, à supposer ce fait établi, ne vous a empêché ni de louer une maison, ni de travailler. De même, je constate que votre père avait même acheté une maison à Bijelo Polje. De toutes façons, le 15 mars 2002, un accord serbo-monténégrin a été signé par les Présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’autonomie au Monténégro. La République Fédérale de Yougoslavie a cessé d’exister pour être remplacée par un Etat de Serbie et Monténégro. La nouvelle Constitution a été élaborée en février 2003, des élections démocratiques ont eu lieu le 25 février 2003 et le nouveau Président a été élu par le Parlement le 7 mars 2003. A ce jour, le Monténégro n’est plus à considérer comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Quant au Kosovo, après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition, ce qui constitue une garantie pour les minorités ethniques. A supposer cependant que vous soyez persécuté au Kosovo, il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de rester au Monténégro et de vous y établir puisque vous y aviez déjà bénéficié d’une fuite interne, que vous y aviez travaillé et loué une maison.

Il résulte de ce qui précède que votre demande ne répond à aucun des critères de fonds définis par la Convention de Genève. En effet, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. » Le ministre retient donc en premier lieu que les faits invoqués par le demandeur ne correspondent à aucun des critères de fond tels que définis par la Convention de Genève, pour ensuite venir conforter sa décison en prenant appui sur la situation actuelle aussi bien au Monténégro comme au Kosovo en retenant que le Monténégro ne serait plus à considérer comme un territoire où des risques de persécution sont à craindre.

L’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile amène le tribunal à conclure qu’il n’a manifestement pas établi, ni même allégué des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève aussi bien dans le Monténégro que dans le Kosovo.

En ce qui concerne la situation du demandeur au Monténégro, il est constant en cause que Monsieur … y habite depuis 1999 dans une maison qu’il a loué, ensemble avec ses parents et son frère. D’autant plus le demandeur remarque lui-même qu’il a trouvé un travail au Monténégro et qu’il y gagne environ 300,- DM par mois, de sorte que c’est à juste titre que le ministre de la Justice a pu retenir que sa demande d’asile ne repose sur aucun des critères de fond défini par la Convention de Genève.

En ce qui concerne la situation au Kosovo, le demandeur fait valoir : « si je rentre au Kosovo je ne sais pas quel pays c’est. Chaque jour il y a des gens tués, kidnappés, ce ne sont pas les Albanais du Kosovo qui font cela. Les gens du Kosovo ne sont pas tellement intéressés par la politique, elle est influencée par la politique de l’Albanie…personne ne peut me garantir la sécurité au Kosovo pour même pas un jour, ni la Kfor ni personne d’autre… Le jour où il y aura une orientation pro-européenne je veux bien retourner là bas. » Au vue de ces affirmations d’ordre tout à fait général, force est de constater que le demandeur reste en défaut de faire état d’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social, laquelle serait susceptible de lui rendre la vie intolérable au Kosovo.

En ce qui concerne la demande introduite à titre subsidiaire à voir suspendre les effets de la décision litigieuse, force est de constater que cette demande est dépourvue d’objet, étant donné que le recours introduit en date du 16 octobre 2003 a un effet suspensif par application de l’article 10, paragraphe 3 de la loi du 3 avril 1996 précitée.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous examen est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour analyser le recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

déclare la demande introduite à titre subsidiaire sans objet ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 novembre 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17056
Date de la décision : 17/11/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-11-17;17056 ?

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