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17/11/2003 | LUXEMBOURG | N°16744

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 novembre 2003, 16744


Tribunal administratif N° 16744 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juillet 2003 Audience publique du 17 novembre 2003 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consort contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16744 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Dragas (Koso

vo/Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Dragas, agissan...

Tribunal administratif N° 16744 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juillet 2003 Audience publique du 17 novembre 2003 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consort contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16744 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Dragas (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Dragas, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur Daniel, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 8 avril 2003, notifiée le 14 avril 2003, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du 10 juin 2003, rendue par le même ministre suite à un recours gracieux introduit par les demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 octobre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

Le 23 décembre 2002, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur Daniel, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 5 février 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 8 avril 2003, notifiée par lettre recommandée le 14 avril 2003, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1989/1990 en Slovénie. Vous auriez ensuite fait quelques réserves à Dragas. Vous auriez été mobilisé à la frontière macédonienne pendant le conflit du Kosovo.

Vous dites que la situation ne serait pas sûre pour les Goranais, que vous seriez insultés et menacés par les Albanais. Vous auriez même été agressé. Votre beau-frère aurait été poignardé par un Albanais qui aurait par la suite été arrêté. De plus, les Goranais seraient mal soignés dans les cliniques.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre époux. Vous ajoutez que votre fils est né à Belgrade parce que vous craigniez d’accoucher au Kosovo.

Vous n’auriez été, ni l’un ni l’autre, membre d’un parti politique.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate que les faits que vous alléguez ne sont pas d’une gravité suffisante pour justifier une crainte de persécution pour l’un des motifs prévus par la Convention de Genève.

Ils traduisent, en effet, davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution.

En effet, en ce qui concerne le Kosovo, force est de constater qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’y est installée et qu’une administration civile, placée également sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition, ce qui constitue une garantie pour les minorités ethniques.

En ce qui concerne la situation plus précise des Goranais, il ressort qu’actuellement ceux-ci ont, non seulement le droit de vote, mais encore accès à l’enseignement, aux soins de santé et aux avantages sociaux, ce qui fait qu’une discrimination à leur égard ne saurait être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

En outre, les Albanais ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, vous n’apportez pas la preuve qu’il vous aurait été impossible de vous installer en République de Serbie / Monténégro pour profiter d’une possibilité de fuite interne.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par courrier de leur mandataire du 14 mai 2003, les consorts …-… firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 8 avril 2003.

Le 10 juin 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2003, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur Daniel, ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 8 avril et 10 juin 2003.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Kosovo, et, plus particulièrement, de la ville de Dragas, qu’ils appartiendraient à la minorité des goranais, qu’il auraient dû subir des insultes et des menaces de la part des Albanais, que Monsieur … aurait même été agressé et son beau-frère poignardé par un Albanais. Les demandeurs soutiennent en outre que les autorités mises en place au Kosovo ne seraient pas en mesure d’éviter les nombreuses exactions commises par la communauté albanaise à l’encontre des membres de la minorité goranaise, tel que cela ressortirait de différents rapports dressés par l’organisation Amnesty International et du rapport 9896 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 9 septembre 2003.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives du 5 février 2003, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant les persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques, elles ne sauraient être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’offrir une protection suffisante contre ces actes. Ce défaut de protection doit être mis suffisamment en évidence par les demandeurs d’asile.

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de subir des persécutions de la part d’Albanais du Kosovo en raison de leur appartenance à la minorité des « goranais ».

Force est de constater à cet égard que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des « goranais », est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre de cette minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Il convient en outre de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ.

En ce qui concerne cette situation actuelle en l’espèce, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant un rapport récent de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo datant de janvier 2003, à l’exception de certaines zones de tension locales, la situation de sécurité générale des « goranais » du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse, ceci spécialement dans les alentours de la ville de provenance des demandeurs (« Concerning the Goranis, with the exception of Gjilan/Gnjilane region, in particular Ferizaj/Urosevac, their security situation can likewise [par référence à la situation générale des bochniaques] be considered relatively stable particularly in the rural communities of Dragash municipality which has a high concentration of Gorani »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué à s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des « goranais » au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

Cette conclusion n’est pas ébranlée ni par les rapports d’Amnesty International, ni par le rapport 9896 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 9 septembre 2003, auxquels le mandataire des demandeurs s’est référé, étant donné que s’il y a bien eu pendant la guerre du Kosovo des disparitions non encore élucidées et, à l’heure actuelle, des discriminations ponctuelles et un climat de peur, d’insécurité et de manque de confiance, lesdits rapports ne décrivent cependant pas des actes de persécution susceptibles de rentrer dans le cadre de la Convention de Genève.

Force est dès lors de constater que les craintes exprimées par les demandeurs s’analysent en substance en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que les demandeurs n’ont pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables de leur assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’ils n’ont pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation au Kosovo, et que les demandeurs restent en défaut d’établir qu’il ne peuvent trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de leur pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 17 novembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16744
Date de la décision : 17/11/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-11-17;16744 ?

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