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17/11/2003 | LUXEMBOURG | N°16540

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 novembre 2003, 16540


Numéro 16540 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juin 2003 Audience publique du 17 novembre 2003 Recours formé par les époux … et … et consorts, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16540 du rôle, déposée le 11 juin 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, et de son épouse, Madame …, née le…, a

ccompagnés de leurs enfants mineurs … et … …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actue...

Numéro 16540 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juin 2003 Audience publique du 17 novembre 2003 Recours formé par les époux … et … et consorts, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16540 du rôle, déposée le 11 juin 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, et de son épouse, Madame …, née le…, accompagnés de leurs enfants mineurs … et … …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 mars 2003 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 8 mai 2003 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 septembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 novembre 2003.

Le 23 décembre 2002, Monsieur … et son épouse Madame …, accompagnés de leurs enfants mineurs … et … …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux …-… furent entendus séparément en dates des 11 février 2003 et 25 février 2003 sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 17 mars 2003, leur notifiée le 24 mars 2003, le ministre de la Justice informa la famille …-… de ce que leur demande avait été refusée comme non fondée au motif qu’ils n’invoqueraient aucune crainte justifiée de persécution en raison de leurs opinions politiques, de leur race, de leur religion, de leur nationalité ou de leur appartenance à un certain groupe social.

Par courrier de leur mandataire du 22 avril 2003, la famille …-… fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision de refus. Par décision du 8 mai 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision du 17 mars 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour analyser le recours introduit. Le recours en réformation ayant été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, il et recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs, originaires du Kosovo et appartenant à la minorité goranaise, exposent d’abord qu’ils auraient cherché de trouver protection auprès des autorités suisses durant la période de septembre 1998 à septembre 1999, qu’ils auraient cependant été d’accord à quitter volontairement la Suisse en 1999 et que dès leur retour au Kosovo ils auraient été confrontés à une haine croissante à leur égard de la part de la population albanaise qui leur reprocherait leur appartenance à la minorité des Goranais. Ils font valoir que l’impossible co-existence plus amplement explicitée à travers leurs auditions respectives serait de nature à rendre absolument impossible la vie de ceux qui comme eux ne parlent pas l’albanais, étant donné que les autorités en place ne sembleraient manifestement pas en mesure d’empêcher les exactions dont seraient largement victimes les membres des minorités. Ils font valoir que cette insuffisance de protection de la part des autorités en place pourrait raisonnablement être déduite des différents rapports déposés notamment par le UNHCR aux termes desquels seraient mis en évidence le danger particulier auquel sont exposées les minorités du Kosovo. A cet égard ils renvoient à un jugement rendu par le tribunal administratif en date du 2 avril 2003 (n° du rôle 15322) et reprennent à leur profit l’argumentation mise en avant par ce jugement qu’ils complètent pas la considération d’espèce selon laquelle il ne serait pas établi qu’ils auraient pu s’installer en Serbie, étant donné que leur séjour en Serbie n’aurait duré que quelques jours, en l’occurence le temps de soigner leur enfant.

Ils ajoutent qu’à cette situation difficile en tant que membre appartenant à une minorité au Kosovo s’ajouterait celle tenant à l’état de santé de leur fille, laquelle serait atteinte d’une maladie grave, la trisomie 21. Ils précisent que postérieurement aux bombardements de 1999 au Kosovo, de nombreux enfants seraient nés avec des problèmes type trisomie 21, lesquels seraient considérés par certains experts comme la conséquence de l’usage militaire d’armes enrichies à l’uranium.

Ils exposent qu’ils n’auraient réussi à soigner leur enfant ni au Kosovo ni auprès des médecins du Monténégro et de la Serbie, de sorte que l’état de santé de leur enfant se serait dégradé au point que « sa vie était suffisamment en danger pourque les médecins de Belgrade conseillent eux-mêmes aux requérants de soigner leurs enfants à l’étranger ».

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant la crainte exprimée par les demandeurs d’actes de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité goranaise, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Goranais, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs risquent de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant la version la plus récente du rapport de l’UNHCR datant de janvier 2003 sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Goranais est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« the overall security situation of Kosovo Gorani has remained stable with no direct attacks during the reviewing period »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué de s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des Goranais au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

A cela s’ajoute que les évènements invoqués par les demandeurs ne sont pas d’une gravité telle, qu’ils permettraient au tribunal de retenir dans leur chef une crainte caractérisée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, en ce qui concerne la jurisprudence (jugement du tribunal administratif du 2 avril 2003, n° 15322 du rôle) invoquée par les demandeurs, il échet de constater qu’elle reste sans pertinence par rapport à la présente affaire pour avoir trait à un demandeur d’asile appartenant à la minorité des Roms.

La situation des Roms au Kosovo n’est pas en tant que telle comparable à celle des Goranais au Kosovo. En effet l’UNHCR, tout en analysant la situation de l’ensemble des minorités au Kosovo retient seulement pour certaines d’entre elles dont les Roms que leur sécurité n’est pas garantie au Kosovo et qu’ils devraient bénéficier d’une protection dans les pays d’accueil, de sorte que les conclusions afférentes ne sauraient être transposées directement à la minorité des Goranais.

En ce qui concerne le deuxième motif invoqué par les demandeurs, à savoir l’état de santé déficitaire de leur fille …, née le 25 février 2001 à Prizen, force est de constater qu’aussi regrettable que cet état de santé puisse être il ne saurait être retenu comme motif d’octroi du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, tout au plus pourrait-il être invoqué dans le cadre d’une procédure d’autorisation de séjour pour raisons humanitaires.

De tout ce qui précède, il résulte que les craintes dont les demandeurs font état s’analysent en substance en un sentiment général d’insécurité lequel ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 novembre 2003 par :

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16540
Date de la décision : 17/11/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-11-17;16540 ?

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