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12/11/2003 | LUXEMBOURG | N°16389

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 novembre 2003, 16389


Tribunal administratif N° 16389 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 mai 2003 Audience publique du 12 novembre 2003 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16389 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 mai 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au table

au de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, née le … (Albanie), et de so...

Tribunal administratif N° 16389 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 mai 2003 Audience publique du 12 novembre 2003 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16389 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 mai 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, née le … (Albanie), et de son épouse, Madame …, né le …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs deux enfants mineurs … et …, tous de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 22 janvier 2003, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du 31 mars 2003 prise par ledit ministre suite à un recours gracieux par eux introduit ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 août 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 novembre 2003.

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En date du 24 juin 2002, les époux … et …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs deux enfants mineurs … et …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, les époux…-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 9 juillet 2002, ils furent entendus séparément en outre par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 22 janvier 2003, leur notifiée le 19 février 2003, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été refusée au motif que le récit avancé à l’appui de leur demande contiendrait quelques invraisemblances tenant au fait notamment que Monsieur… a déclaré avoir été frappé et avoir subi l’ablation d’un poumon, alors que les radiographies du thorax faites par la Ligue luxembourgeoise de prévention et d’action médico-

sociale ne renseigneraient qu’un simple épaississement de la plèvre du poumon gauche. Le ministre a relevé en outre que le fait pour Monsieur… d’avoir été observateur du parti démocratique lors des élections en 2001 ne signifierait pas nécessairement qu’il aurait été dans une position particulièrement exposée. Concernant le licenciement allégué de Madame …, le ministre relève que rien ne prouverait qu’il ait eu un caractère politique et qu’une simple restructuration interne du service auquel elle était affectée ne serait pas à exclure. Quant aux persécutions qu’aurait subi le père de Madame …, le ministre a encore constaté que son décès remonte à 1985 et qu’à cette période la situation en Albanie aurait été fort différente de celle d’aujourd’hui. Après avoir constaté que la situation politique se serait considérablement stabilisée en Albanie depuis 1999, le ministre est arrivé à la conclusion que les assertions des demandeurs feraient davantage état d’un sentiment général d’insécurité que d’une véritable crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 19 mars 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale le 31 mars 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs font exposer être originaires d’Albanie et avoir quitté leur pays d’origine en raison des persécutions qu’ils auraient dû subir à cause de l’implication politique de Monsieur… au sein du parti démocratique d’Albanie dont il aurait été membre depuis 1993. Ils précisent que les problèmes découlant de cette adhésion politique trouveraient leur source dans les élections législatives en 2001, durant lesquelles il aurait été mandaté par son parti pour assurer la fonction d’observateur dans un bureau de vote. Les demandeurs rappellent qu’à cette occasion Monsieur… aurait été sauvagement agressé par des policiers, lesquels, accompagnés de deux gardes de corps de l’ex-ministre de la défense, auraient tenté de bourrer les urnes de bulletins de vote frauduleux et qu’à la suite de cet incident, il aurait été enfermé dans un commissariat de police où il aurait été frappé au point d’avoir dû subir une intervention chirurgicale lourde dont il garderait encore aujourd’hui les séquelles. Dans la mesure où suite à cette agression tant Monsieur… que les différents membres de sa famille auraient fait l’objet de graves tentatives d’intimidations de la part de personnes proches du pouvoir en place, ils estiment remplir les conditions d’octroi du statut de réfugié. Ils critiquent les décisions litigieuses en faisant valoir que les séquelles gardées par Monsieur… au niveau du poumon gauche ont emporté sa mise en invalidité et ne seraient certainement pas la conséquences d’un simple épaississement de la plèvre de ce poumon tel que soutenu par le ministre. Quant aux incohérences relevées par le ministre au sujet de la plainte déposée par Monsieur… et des harcèlements par lui allégués afin de voir retirer cette plainte, ils estiment qu’il s’agit de nuances non significatives, étant donné que le message adressé à Monsieur… par ses agresseurs aurait eu pour objet de lui faire comprendre qu’il ne fallait pas chercher à faire enregistrer sa plainte auprès d’une quelconque autorité, mais d’oublier cette affaire.

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient en premier lieu de rappeler que la simple appartenance à un mouvement ou parti politique de la part du demandeur, sans qu’il n’ait exercé une fonction ou un activisme particulier au sein dudit parti, ne saurait justifier, à elle seule, une persécution vécue ou une crainte de persécution.

En outre, s’il est vrai que les actes de persécutions invoqués par les demandeurs émanent en partie de personnes relevant de l’Etat à savoir des policiers, l’existence d’une persécution de la part de l’Etat ne saurait être admise dès la commission d’un acte de persécution de la part d’une personne au service des autorités publiques, mais seulement dans l’hypothèse où les autorités spécifiquement compétentes pour la poursuite et la répression des actes de persécutions commis soit encouragent ou tolèrent ces actes, soit sont incapables d’entreprendre des démarches d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion contre la commission de tels actes de la part de personnes au service de l’Etat.

Dans les deux hypothèses il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en exergue par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution de ce type.

En l’espèce, force est de constater que les éléments du dossier ne permettent de retenir ni que les demandeurs ont concrètement recherché la protection des autorités en place dans leur pays d’origine, ni l’incapacité de ces dernières pour leur assurer un niveau de protection suffisant, ni encore le défaut de toute poursuite des actes de persécution commis à leur encontre.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 novembre 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16389
Date de la décision : 12/11/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-11-12;16389 ?

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