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10/11/2003 | LUXEMBOURG | N°16930

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 novembre 2003, 16930


Tribunal administratif N° 16930 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 août 2003 Audience publique du 10 novembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16930 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 août 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L- â

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Tribunal administratif N° 16930 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 août 2003 Audience publique du 10 novembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16930 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 août 2003 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L- … , tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 26 mai 2003 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et de celle confirmative, intervenue sur recours gracieux, du 4 août 2003 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître François MOYSE au greffe du tribunal administratif le 26 septembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Joram MOYAL, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 novembre 2003.

Le 29 janvier 2003, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 14 février 2003, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 26 mai 2003, envoyée par lettre recommandée le 2 juin 2003, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande a été refusée comme non fondée au motif qu’il n'invoquerait aucune crainte raisonnable de persécution du fait de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social.

Le 24 juin 2003, Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision.

Par décision du 4 août 2003, notifiée par courrier recommandé expédié le 6 août 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision du 26 mai 2003.

Le 25 août 2003, Monsieur … a fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision ministérielle du 26 mai 2003 et celle confirmative du 4 août 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

Quant au fond, Monsieur …, de nationalité albanaise, fait valoir qu’il aurait été membre du parti démocratique en Albanie pour lequel il aurait participé à des manifestations et que suite à son engagement politique, il aurait eu des problèmes avec les membres du parti socialiste, parti au pouvoir. En deuxième lieu, il expose que son oncle aurait tué un voisin de la famille à cause des terres que la famille possédait et que conformément à la loi du « Canoun » la famille voisine réclamerait vengeance. Il ajoute que selon la loi du « Canoun » ce serait lui-même qui serait en âge d’être tué par l’autre famille et qu’il vivrait donc au risque quotidien de se voir tuer en raison des actes de son oncle. Il estime que cette appartenance à une certaine famille équivaudrait à une appartenance à un certain groupe social qui mettrait sa vie en danger.

Il conclut que face à l’incapacité et à l’absence des forces de l’ordre pour lui accorder une protection adéquate, sa crainte d’être tué à cause d’un droit archaïque encore largement en vigueur et reconnu par la majorité de la population devrait être considérée comme une crainte de persécution qui serait tout à fait fondée et que dès lors il remplirait les conditions pour l’obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

L’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient en premier lieu de rappeler que la simple appartenance à un mouvement ou à un parti politique de la part du demandeur sans qu’il n’y ait exercé une fonction particulière au sein dudit parti ne saurait justifier une persécution vécue ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, Monsieur … affirme lui-même dans le cadre de son audition que les problèmes à cause de son adhésion au parti démocratique étaient mineurs. A la question « Aviez-vous eu des problèmes à cause de votre adhésion à ce parti ? » il répond « un peu de la part des socialistes », et à la question suivante « Est-ce que vous pouvez expliquer ces peux de problèmes ? » il répond « Par exemple quand on en parlait au village il y avait des disputes verbales. Mais cela ne m’intéressait pas vraiment car je suis jeune ».

Ensuite Monsieur … fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violences à son encontre de la part d’une autre famille albanaise en raison de l’application de la coutume de la revanche de sang.

Il estime que cette crainte pourrait être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié, étant donné que les autorités en place seraient dans l’impossibilité de lui accorder une protection adéquate contre des menaces et actes de la part de ladite famille.

Force est dès lors de constater que le demandeur se prévaut d’actes de persécution émanant non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains groupements de la population, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, le demandeur a simplement affirmé l’incapacité, encore à l’heure actuelle, des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate sans pour autant établir, voire alléguer une démarche concrète en vue d’obtenir la protection de la part des autorités en place. Il en résulte que le demandeur n’a pas dûment établi l’exécution de démarches afin d’obtenir la protection des autorités en place, lesquelles constituent cependant, ensemble avec un refus de protection des autorités pour l’un des motifs prévus par la Convention de Genève, une prémisse nécessaire pour la reconnaissance de l’existence d’une crainte légitime de persécution.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur au frais.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 10 novembre 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16930
Date de la décision : 10/11/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-11-10;16930 ?

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