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10/11/2003 | LUXEMBOURG | N°16368

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 novembre 2003, 16368


Tribunal administratif N° 16368 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2003 Audience publique du 10 novembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16368 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant

à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 10 février 2003, lui notifié...

Tribunal administratif N° 16368 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2003 Audience publique du 10 novembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16368 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 10 février 2003, lui notifiée le 25 février 2003, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 31 mars 2003 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juillet 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 novembre 2003.

En date du 18 novembre 2002, Monsieur … introduisit oralement une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu en date du 22 janvier 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 10 février 2003, notifiée le 25 février 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée au motif que les craintes de persécution par lui invoquées se limiteraient à la seule province du Kosovo, qu’à cela s’ajouterait qu’il avait quitté le Kosovo en 2000 et profité ainsi d’une possibilité de fuite interne vers le Monténégro, endroit par rapport auquel il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution pour l’une des raisons prévues par la Convention de Genève. Quant à la situation plus précise de la minorité des « Ashkalis », le ministre a retenu qu’il ne serait pas établi qu’actuellement cette minorité ferait l’objet d’une discrimination généralisée au Kosovo.

Par courrier de son mandataire du 18 mars 2003, Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la prédite décision du 10 février 2003. Par décision du 31 mars 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale du 10 février 2003.

Par requête déposée le 2 mai 2003, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 10 février et 31 mars 2003.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Kosovo, de confession musulmane et qu’il ferait partie de la minorité des « Ashkalis ». Il reproche à l’autorité administrative de ne pas avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées du fait des persécutions dont il aurait été victime ou pourrait être victime en cas de retour dans son pays d’origine, du fait notamment de son origine ethnique. Il se réfère à cet égard plus particulièrement à un rapport du UNHCR du 1er janvier 2003 pour soutenir que la minorité des « Ashkalis » devrait faire l’objet d’une protection particulière de la part des pays d’accueil du fait des menaces auxquelles ces membres seraient exposés dans la province du Kosovo. Quant à la possibilité d’une fuite interne vers le Monténégro invoquée par le ministre pour refuser de faire droit à sa demande, le demandeur fait valoir que son séjour s’y serait réalisé de façon irrégulière, sans que les autorités monténégrines n’auraient légalisé sa présence sur leur sol. Il estime en outre qu’il serait difficile de soutenir aujourd’hui que la province du Kosovo fasse partie intégrante de l’Etat de Serbie et de Monténégro. Estimant ainsi ne pas bénéficier d’une protection suffisante à l’intérieur du Kosovo du fait de son appartenance à la minorité des « Ashkalis », le demandeur fait valoir que ce serait à tort que le ministre de la Justice a refusé de lui accorder le statut de réfugié.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9, p. 519).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 22 janvier 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile.

En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. Il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, notamment de celle des «Ashkalis », s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, notamment du groupe majoritaire des Albanais, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par le demandeur en raison de la prétendue hostilité des Albanais à l’égard de la minorité « Ashkali » et de la situation générale tendue dans sa région d’origine s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre de la part de membres de la population albanaise, mais il ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place soient incapables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo, étant entendu qu’il n’a pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place, d’autant plus qu’il a quitté le Kosovo en 2000 pour profiter d’une possibilité de fuite interne au Monténégro. En ce qui concerne le Monténégro il n’allègue aucune crainte raisonnable de persécution pour une des raisons prévues par la Convention de Genève.

Cette conclusion ne saurait être énervée par le contenu du rapport de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo datant de janvier 2003, auquel s’est référé le demandeur à l’appui de son recours. Etant donné que le demandeur n’habite plus le Kosovo depuis 2000 et que les considérations avancées dans ledit rapport en relation avec la situation de sécurité de certaines minorités ont été avancées essentiellement au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo. Dans la mesure où un empêchement éventuel à un retour forcé ne saurait être assimilé automatiquement en un motif d’octroi du statut de réfugié, les considérations ainsi invoquées en cause ne permettent pas de conclure que la situation générale de la minorité des « Ashkalis » au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à cette minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 novembre 2003 par:

Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16368
Date de la décision : 10/11/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-11-10;16368 ?

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