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06/11/2003 | LUXEMBOURG | N°16385

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 novembre 2003, 16385


Tribunal administratif N° 16385 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 mai 2003 Audience publique du 6 novembre 2003 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16385 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 mai 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Restelica/Gora (Kosovo

/Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Restelica/Gora, a...

Tribunal administratif N° 16385 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 mai 2003 Audience publique du 6 novembre 2003 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16385 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 mai 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Restelica/Gora (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Restelica/Gora, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 10 février 2003, notifiée le 17 février 2003, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du 31 mars 2003, rendue par le même ministre suite à un recours gracieux introduit par les demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juillet 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

Le 3 septembre 2002, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 7 janvier 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 10 février 2003, notifiée par lettre recommandé le 17 février 2003, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Monsieur, il résulte de vos déclarations qu’en 1991 votre frère aurait été condamné à 50 jours de prison parce qu’il aurait organisé ensemble avec des albanais un mouvement contre les serbes. Vous auriez alors également eu des problèmes. Ainsi, la police serbe serait venue à votre maison pour vous contrôler, pour faire des perquisitions et des vérifications. Ils vous auraient forcé à adhérer à leur parti politique, au SPS. Vous précisez que grâce à l’adhésion au SPS vous auriez connu des personnes importantes de la commune et qu’ainsi vous n’auriez plus été appelé à la réserve. Vous ajoutez également avoir été vice-président de l’école où vous étiez professeur. Après la guerre vous auriez annulé votre adhésion au SPS et vous n’auriez pas adhéré à un autre parti politique.

Après la guerre, vous auriez eu des problèmes avec les albanais. Plus particulièrement en 2000, vous auriez été persécuté par un groupe de militaires albanais portant des emblèmes de l’UCK. Ils seraient venus à l’école et auraient exigé des informations sur des personnes du SPS et leur lieu de séjour. Ils vous auraient montré une liste de noms de personnes recherchées sur laquelle aurait également figuré votre nom. Le 5 août 2002, ces mêmes personnes, mais cette fois-ci en civil, vous auraient battu et le 10 août 2002 vous auriez quitté Dragas pour aller à Belgrade. Ces personnes auraient menacé de vous liquider.

Madame, il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo à cause des mauvais traitements que votre mari aurait subis. Trois personnes avec des emblèmes de l’UCK seraient venues le chercher pendant la nuit et lui auraient demandé des renseignements sur des connaissances du parti politique SPS. Vous ne vous rappelez plus de la date, mais ces personnes toujours vêtues en uniforme seraient venues à plusieurs reprises.

Votre mari aurait été battu le 5 août 2002. Vous même, vous n’auriez pas eu de problèmes.

Concernant la situation particulière des goranais au Kosovo, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations à tous les deux, que vous risquiez ou risquez d’être persécutés dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. En ce qui concerne votre situation avec le « groupe militaire albanais », je me dois de constater que ce groupement de personnes privées ne saurait être considéré comme agent de persécution au sens de la prédite Convention. Par ailleurs, il n’est pas établi que les forces onusiennes seraient dans l’incapacité de fournir une protection. Les motifs que vous invoquez traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution.

Il faut également souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. A cela s’ajoute qu’à la suite des élections parlementaires du 17 novembre 2001 les minorités nationales du Kosovo, à savoir les Roms, les Bosniaques, les Turcs et autres se sont vues attribuer quelques sièges leur assurant une représentation au sein du parlement du Kosovo. Ainsi une persécution systématique de minorités ethniques est actuellement à exclure.

En ce qui concerne la situation plus précise des goranais, il ressort qu’actuellement ceux-ci ont, non seulement le droit de vote, mais encore accès à l’enseignement, aux soins de santé et aux avantages sociaux, ce qui fait qu’une discrimination à leur égard ne saurait être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ne ressort pas du dossier qu’il vous aurait été impossible de vous installer au Monténégro ou en Serbie, surtout à Belgrade où vous avez de la famille et où vous avez séjourné pendant 20 jours avant de venir au Luxembourg, pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par courrier de leur mandataire du 18 mars 2003, les consorts …-… firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 10 février 2003.

Le 31 mars 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 mai 2003, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 10 février et 31 mars 2003.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Kosovo, et, plus particulièrement, de la ville de Restelica-Dragas, qu’ils appartiendraient à la minorité des goranais, qu’ils auraient dû subir des persécutions à partir de l’année 2000 en raison de leur appartenance ethnique de la part de militaires albanais, appartenant à l’UCK, qui auraient exigé de leur part des renseignements au sujet de membres du parti politique SPS et leur lieu de séjour. Ces mêmes personnes, n’ayant pu obtenir les renseignements sollicités, auraient battu Monsieur … en date du 5 août 2002, ce qui les aurait incité à quitter le Kosovo pour Belgrade, avant de venir au Luxembourg. Finalement, ils soutiennent que l’administration civile mise en place au Kosovo ne serait pas en mesure d’éviter les nombreuses exactions commises par la communauté albanaise à l’encontre des membres de la minorité goranaise.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives du 7 janvier 2003, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant les persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques, elles ne sauraient être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’offrir une protection suffisante contre ces actes. Ce défaut de protection doit être mis suffisamment en évidence par les demandeurs d’asile.

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de subir des persécutions de la part d’Albanais du Kosovo en raison de leur appartenance à la minorité des « goranais ».

Force est de constater à cet égard que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des « goranais », est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre de cette minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Il convient en outre de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ.

En ce qui concerne cette situation actuelle en l’espèce, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant un rapport récent de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo datant de janvier 2003, à l’exception de certaines zones de tension locales, la situation de sécurité générale des « goranais » du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse, ceci spécialement dans les alentours de la ville de provenance des demandeurs (« Concerning the Goranis, with the exception of Gjilan/Gnjilane region, in particular Ferizaj/Urosevac, their security situation can likewise [par référence à la situation générale des bochniaques] be considered relatively stable particularly in the rural communities of Dragash municipality which has a high concentration of Gorani »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué à s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des « goranais » au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

Force est de constater que les craintes exprimées par les demandeurs s’analysent en substance en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que les demandeurs n’ont pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables de leur assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’ils n’ont pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 6 novembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16385
Date de la décision : 06/11/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-11-06;16385 ?

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