La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/11/2003 | LUXEMBOURG | N°16255

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 novembre 2003, 16255


Tribunal administratif N° 16255 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 avril 2003 Audience publique du 6 novembre 2003 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts contre une décision conjointe prise par les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16255 du rôle, déposée au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2003 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au no

m de Monsieur …, né le … et de son épouse, Madame …, née le …, agissant tant en leur ...

Tribunal administratif N° 16255 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 avril 2003 Audience publique du 6 novembre 2003 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts contre une décision conjointe prise par les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16255 du rôle, déposée au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2003 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … et de son épouse, Madame …, née le …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … et …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision conjointe prise par les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi le 30 décembre 2002, par laquelle la délivrance d’une autorisation de séjour leur a été refusée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 juillet 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé aux noms des demandeurs au greffe du tribunal administratif le 1er août 2003 ;

Vu le mémoire en duplique déposé par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif le 12 août 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, Maître Yvette NGONO YAH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

A la suite d’une demande afférente présentée en date du 13 juillet 2001 par Monsieur … et son épouse, Madame …, tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi prirent le 30 décembre 2002 une décision conjointe, portant refus de leur accorder une autorisation de séjour, au motif qu’ils ne disposeraient pas de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis leur permettant de supporter leurs frais de séjour au Luxembourg, « indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à [leur] faire parvenir » et que « [leur] demande en obtention d’une autorisation de séjour est également à rejeter au regard des directives applicables en matière de régularisation », au motif qu’ « il ressort des pièces accompagnant votre demande introduite sur base de la catégorie A que vous ne remplissez pas les conditions prévues pour cette catégorie qui est libellée comme suit :

« je réside et travaille de façon ininterrompue au Grand-Duché de Luxembourg depuis le 1er janvier 2000, je suis affilié(e) depuis cette date à la sécurité sociale luxembourgeoise, et j’ai touché et touche toujours soit un salaire égal au salaire social minimum revenant à un travailleur non qualifié âgé de 18 ans (52.047,- LUF), soit un salaire égal au RMG auquel je peux prétendre compte tenu de ma situation familiale ».

Par ladite décision, ils étaient par ailleurs invités à quitter le Luxembourg dans un délai d’un mois.

Par requête déposée le 8 avril 2003, Monsieur …, et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, ont fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision ministérielle précitée du 30 décembre 2002.

Quant au recours en réformation Encore que les demandeurs entendent exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande subsidiaire en réformation de la décision critiquée.

Quant au recours en annulation Le recours en annulation, introduit à titre principal, qui constitue par ailleurs le recours de droit commun, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs soutiennent en premier lieu que la décision litigieuse devrait être annulée, au motif que le ministre du Travail et de l’Emploi, en tant que co-signataire de la décision en question, n’aurait aucune compétence en matière d’autorisations de séjour.

Force est de constater, comme l’a relevé à bon droit le délégué du gouvernement, qu’en l’état actuel de la législation, une décision relative à l’entrée et au séjour d’un étranger au Grand-Duché au sens de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, relève de la seule compétence du ministre de la Justice, ceci conformément aux dispositions de l’article 11 de ladite loi et sous les restrictions y énoncées tenant notamment au fait que les décisions afférentes sont prises sur proposition du ministre de la Santé lorsqu’elles sont motivées par des raisons de santé publique.

Il s’ensuit qu’en dépit du fait que la demande en obtention d’une autorisation de séjour des demandeurs a été introduite auprès d’un service commun, regroupant des représentants des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille et que cette demande a par ailleurs été traitée dans le cadre de la régularisation des sans-

papiers ainsi désignée, seul le ministre de la Justice est légalement investi de la compétence pour statuer en la matière.

Ainsi, le fait qu’outre la signature du ministre de la Justice, celle du ministre du Travail et de l’Emploi figure également sur la décision litigieuse, face à la compétence exclusive du ministre de la Justice en la présente matière, n’est pas de nature à affecter la légalité de la décision critiquée, cette conclusion n’étant pas ébranlée par le fait que l’instruction du dossier a été faite, en tout ou partie, par un service commun regroupant des représentants de plusieurs ministères.

Par ailleurs, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice une application trop restrictive de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, étant donné que celui-ci n’énoncerait pas des motifs de refus obligatoire, mais laisserait au ministre compétent un pouvoir d’appréciation souverain.

Dans la mesure où la condition de la possession de moyens d’existence personnels ne représenterait ainsi pas une conditio sine qua non pour l’obtention d’une autorisation de séjour, les demandeurs estiment que le ministre aurait « détourné l’esprit » de la loi précitée du 28 mars 1972 en rejetant leur demande sur base d’une condition non expressément prévue par la loi.

Il échet de prime abord de rappeler que lorsque le juge administratif est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés (trib. adm. 18 juillet 2001, n° 12776, Pas. adm. 2002, V° Recours en annulation, n° 8).

Il n’est pas contesté en cause qu’au vœu de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, une autorisation de séjour peut être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants légalement perçus pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers, et qu’en l’espèce, les demandeurs n’ont pas établi qu’ils étaient, à la date de la décision ministérielle attaquée, autorisés à travers un permis de travail à occuper un poste de travail au Grand-Duché, voire s’adonnaient légalement à une activité indépendante, et qu’ils pouvaient partant disposer de moyens personnels propres suffisants et légalement acquis.

Il s’ensuit que le ministre de la Justice pouvait en principe refuser l’autorisation de séjour aux demandeurs en se fondant sur ce motif de défaut de moyens d’existence personnels légalement perçus.

En ce qui concerne l’argument des demandeurs suivant lequel le ministre de la Justice aurait ajouté à l’article 2 en question une condition y non inscrite, à savoir celle que l’aide matérielle ou des secours financiers de la part de tierces personnes ne seraient pas pris en considération, il échet de constater que la condition que les moyens d’existence doivent être « personnels » a été insérée à l’article 2 précité par la loi du 18 août 1995 portant modification de la susdite loi du 28 mars 1972 et cet amendement a été justifié comme suit : « L’objet de la modification proposée consiste à préciser que l’entrée et le séjour au Grand-Duché peuvent être refusés par le Ministre de la Justice à l’étranger qui ne dispose pas personnellement des moyens d’existence nécessaires pour supporter ses frais de voyage et de séjour. Il s’est en effet avéré que des étrangers sollicitant une autorisation de séjour versent souvent à l’appui de leur demande une déclaration de prise en charge signée par un tiers, qu’ils n’ont cependant pas de moyens personnels pour subvenir à leurs besoins. Le risque de voir tomber ces étrangers à la charge de l’Etat n’est pas hypothétique alors que l’expérience a montré que les personnes ayant signé une prise en charge soit la retirent après un certain temps soit ne sont financièrement pas en mesure de remplir les obligations qu’elles ont assumées. La modification du texte de l’article 2 consacre l’interprétation donnée à ce texte, interprétation dont le bien-fondé a d’ailleurs été reconnu par la jurisprudence du Comité du Contentieux du Conseil d’Etat » (projet de loi portant modification de la loi du 28 mars 1972, doc. parl. n° 4013, commentaire des articles, p. 7).

Il s’ensuit que c’est à bon droit que la décision ministérielle déférée du 30 décembre 2002 retient qu’une autorisation de séjour peut être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, II.

Autorisation de séjour - Expulsion, n° 121 et autres références y citées, p. 149), entraînant que le moyen afférent des demandeurs laisse d’être fondé.

Les demandeurs soutiennent encore que les critères prévus par la brochure éditée par les ministères concernés dans le cadre de la procédure dite de régularisation de certaines catégories d’étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg revêtiraient la nature de directives destinées à encadrer le pouvoir d’appréciation de l’administration lors de l’examen de situations individuelles.

Ils font valoir qu’il résulterait des éléments du dossier, et plus particulièrement des pièces versées par eux, qu’ils seraient arrivés au Grand-Duché du Luxembourg au courant de l’année 1999, qu’au cours de la même année, Monsieur … aurait travaillé pendant 2 mois « auprès d’une société de la place », qu’au courant de l’année 2000, il aurait travaillé auprès de la société « Constructions Métalliques » pendant près de 8 mois, en précisant qu’au cours de ses périodes d’engagement, il aurait été affilié auprès des organismes de sécurité sociale.

Dans ce contexte, ils font encore valoir qu’au moment de la mise en place de la procédure dite de régularisation, Monsieur … aurait signé un contrat « en bonne et due forme » « pour les besoins de la cause ».

Ils estiment partant remplir les conditions telles que fixées par la catégorie A de ladite brochure.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement estime que les conditions telles que fixées par la catégorie A de la brochure ne seraient pas remplies en l’espèce, notamment celles relatives à un travail « ininterrompu et une affiliation depuis le 1er janvier 2000 », de sorte que ce serait à juste titre que l’autorisation de séjour leur a été refusée de ce chef.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs soutiennent que la brochure, et plus particulièrement la catégorie A de celle-ci, ne prévoiraient pas une condition quant à un travail et une affiliation aux organismes de sécurité sociale ininterrompus, mais seulement un « travail stable », conditions qui seraient en l’espèce remplies par Monsieur … du fait d’avoir travaillé en tout, au cours des années 1999 et 2000, pendant une période de 8 mois et qu’il bénéficierait d’une couverture sociale depuis le mois d’août 2000.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement fait valoir que contrairement à l’argumentation développée par les demandeurs, les critères de régularisation tels que définis par les catégories A, B et C de la brochure dite de régularisation, ne prévoiraient pas un travail « stable », mais un travail ininterrompu depuis respectivement le 1er janvier 2000, ou un séjour ininterrompu depuis le 1er juillet 1998. Il estime plus particulièrement que ces conditions n’auraient pas été remplies par les demandeurs au moment de l’introduction de leur demande.

Abstraction faite de la question de savoir si les critères contenus dans la prédite brochure peuvent déroger à la loi précitée du 28 mars 1972, comme le soutiennent les demandeurs, force est de retenir que les demandeurs n’ont pas établi qu’ils rempliraient le cas échéant les conditions édictées par ladite brochure pour bénéficier de la régularisation. En effet, comme l’a remarqué à juste titre le délégué du gouvernement, Monsieur … ne tombe notamment pas dans la catégorie A telle qu’énoncée dans la prédite brochure pour pouvoir être régularisé, c’est-à-dire pour obtenir le cas échéant une autorisation de séjour ou un permis de travail. En effet, ladite catégorie A, de même que la catégorie B de la brochure exigent en vue de la régularisation d’un demandeur « par le travail » qu’il ait travaillé de manière ininterrompue depuis le 1er janvier 2000, ce qui n’est pas établi en l’espèce, étant donné qu’il ressort d’un certificat établi le 31 octobre 2001 par le Centre commun de la sécurité sociale, département affiliation, versé par les demandeurs, qu’au cours de l’année 2000, Monsieur … a seulement travaillé pendant 8 mois auprès d’un employeur établi au Grand-Duché.

En ce qui concerne la catégorie C, qui pose notamment comme condition d’avoir résidé au Grand-Duché de Luxembourg depuis au moins le 1er juillet 1998, il échet de constater qu’il ressort des informations concordantes des demandeurs et du délégué du gouvernement, que les demandeurs ne sont arrivés au Grand-Duché de Luxembourg qu’en date du 4 septembre 1998, de sorte qu’ils ne remplissent pas non plus ladite condition.

Il s’ensuit que les demandeurs n’établissent pas qu’ils satisfont aux critères prévus par la brochure dite de régularisation, de sorte que le ministre de la Justice a valablement pu leur refuser la délivrance d’une autorisation de séjour.

Quant au reproche d’une violation du principe d’égalité des citoyens devant la loi et de la légitime confiance, sur lesquels les demandeurs se sont encore basés dans leur mémoire en réplique, pour soutenir qu’ils auraient droit à la délivrance d’autorisations de séjour au même titre que d’autres étrangers qui se seraient trouvés dans la même situation et qui se seraient vus délivrer de tels titres de séjour par le ministre de la Justice, il échet de relever qu’à défaut d’avoir soumis au tribunal des précisions plus explicites quant à des personnes qui se seraient trouvées dans la même situation que celle des demandeurs et qui auraient bénéficié de la procédure de régularisation, le tribunal n’est pas en mesure de prendre position quant à ce moyen, de sorte qu’il est à rejeter pour ne pas être fondé.

Il suit des considérations qui précèdent que la décision ministérielle est légalement fondée et que les demandeurs sont à débouter de leur recours.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 6 novembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16255
Date de la décision : 06/11/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-11-06;16255 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award