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06/11/2003 | LUXEMBOURG | N°16149

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 novembre 2003, 16149


Tribunal administratif Numéro 16149 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 mars 2003 Audience publique du 6 novembre 2003 Recours formé par les époux … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16149 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Nouvelle Brj

an (République autonome Bourjatskaja/Fédération de Russie), et de son épouse, Madame …, née le … ...

Tribunal administratif Numéro 16149 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 mars 2003 Audience publique du 6 novembre 2003 Recours formé par les époux … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16149 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2003 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Nouvelle Brjan (République autonome Bourjatskaja/Fédération de Russie), et de son épouse, Madame …, née le … à St. Petersbourg (Fédération de Russie), agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité russe, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 29 novembre 2002 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative de rejet prise par ledit ministre le 11 février 2003 suite à un recours gracieux introduit par les demandeurs le 25 décembre 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

Le 3 mai 1999, Monsieur … … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leur enfant mineur …, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, les époux …-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Respectivement en date des 16 et 29 février, 28 mars 2000 et 22 mai 2002, ils furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur leurs motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 29 novembre 2002, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations qu’en date du 1er mai 1999 vous auriez quitté Saint-

Pétersbourg à bord d’une camionnette immatriculée en Russie, qui vous aurait amenés au Luxembourg, en transitant par la Biélorussie, la Pologne et l’Allemagne. Vous dites qu’aux contrôles frontaliers biélorusse et polonais, le chauffeur aurait présenté de faux papiers d’identité.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le jour de votre arrivée.

Vous, Monsieur, vous exposez que votre religion serait le judaïsme, mais que vous n’auriez pas été baptisé selon le rite judaïque. Vous vous dites néanmoins juif pratiquant et avoir adhéré à la communauté juive de Saint-Pétersbourg en 1994, y espérant trouver de l’aide pour combattre l’antisémitisme, cela après que vous vous seriez fait rouer de coups.

Vous prétendez que déjà avant votre adhésion à la communauté juive, vous auriez respecté les traditions juives, suivant l’exemple de votre mère, elle de confession juive.

Lors d’une conférence organisée par la communauté juive en date du 12 avril 1999, vous auriez pris la parole pour critiquer, de façon virulente, le génocide du peuple juif. Le lendemain, 13 avril, vous vous seriez fait arrêter à votre domicile par des miliciens en civil.

Vous affirmez avoir été incarcéré dans une cellule de détention préventive, sans être présenté à un juge d’instruction, dans le sous-sol de l’immeuble du comité d’Etat de sécurité, le FSB.

Le lendemain, un agent d’instruction du FSB vous aurait informé qu’un sergent aurait porté plainte contre vous pour avoir porté atteinte à sa vie et qu’une enquête pénale aurait été ouverte à votre encontre sur la base de l’article 317 §1 du Code pénal. Lors de l’interrogatoire, vous auriez été frappé parce que vous auriez nié les faits reprochés. Deux jours plus tard, lors d’un nouvel interrogatoire, l’agent d’instruction vous aurait dit que cela aurait été une grande erreur d’avoir participé à la conférence et surtout d’avoir prononcé un tel discours. On vous aurait reproché d’avoir participé à un complot juif et on vous aurait demandé de signer des papiers attestant de tels faits. Alors que vous auriez refusé de signer une telle déclaration, vous auriez de nouveau été convoqué à un interrogatoire le lendemain lors duquel on vous aurait proposé votre libération moyennant le paiement d’un pot-de-vin de 10.000,- $. Vous dites avoir hésité au départ de payer une telle somme, mais qu’après plusieurs jours de réflexion, vous auriez consenti à verser, par l’intermédiaire d’une amie, avocate, le montant demandé. Avant d’être relâché, l’agent d’instruction vous aurait encore recommandé, puisque l’enquête pénale ouverte à votre encontre n’aurait pas encore été close, de disparaître parce que vous risqueriez encore d’être emprisonné plus tard. Vous auriez alors décidé de quitter le pays, en compagnie de votre épouse et de votre belle-fille, sans porter plainte, estimant que cela n’aurait pas de sens, le FSB se trouverait hiérarchiquement au dessus de la milice. En effet, cet incident n’aurait pas été le premier dont vous auriez été victime et vous affirmez que vous en auriez eu assez de vivre dans la peur pour votre vie et celle des membres de votre famille.

Ainsi, lors de l’audition, vous avez fait exposer que votre restaurant aurait fait l’objet d’une attaque, vers la mi-février 1998, par des gens portant l’uniforme du mouvement de l’Unité Nationale Russe, le RNE. L’administrateur du restaurant, Dimitri Gourevitch, également de confession juive, aurait été tué à cette occasion, votre gardien blessé et vous même vous auriez été frappé à la tête au point de perdre connaissance. Lors de l’agression, les membres du RNE auraient proféré des propos antisémites. Bien que votre restaurant ait été relayé à un système d’alarme auprès de la milice, celle-ci ne serait venue qu’après votre transport à l’hôpital où vous auriez d’ailleurs dû séjourner deux semaines. Un milicien vous aurait interrogé lors de votre séjour à l’hôpital et aurait essayé de vous convaincre, malgré vos protestations, que l’agression ne serait pas à attribuer à vos origines juives, mais qu’il se serait agi d’un simple vol.

Par ailleurs, vous déclarez avoir été « enlevé », en date du 5 novembre 1998, à proximité de votre domicile, par deux personnes portant l’uniforme du RNE. Vos ravisseurs vous auraient reproché, tout en vous insultant en raison de votre nationalité juive, d’avoir participé à un meeting, ou plutôt un piquet, le 30 octobre 1998, piquet, par ailleurs non autorisé malgré votre demande, qui aurait été dispersé par les forces de l’ordre. Vos revendications à l’époque étaient l’interdiction du parti RNE ainsi que l’interdiction de plusieurs journaux, dont LIMONKA, RUSSKOE SLOVO. Après vous avoir frappé avec une matraque, ils vous auraient jeté de la voiture, ce qui vous aurait fait perdre connaissance, lorsque vous seriez revenu à vous, il aurait déjà fait nuit. Vous auriez traversé une forêt pour finalement vous retrouver dans un petit village, nommé Vyssokoe. Vous auriez séjourné chez un couple, dont les prénoms auraient été Alexandre et Natasha, mais dont vous dites ne pas connaître le nom de famille. Ce couple vous aurait soigné pendant cinq jours au cours desquels vous auriez été inconscient. Votre femme aurait déclaré votre disparition au bout de deux jours, mais vous même vous affirmez que vous n’auriez pas porté plainte suite à cet incident, arguant que cela n’aurait pas eu de sens puisque qu’un (sic) grand nombre de miliciens sont membres du RNE.

Lors de l’audition complémentaire du 22 mai 2002, vous revenez sur des évènements antérieurs dont vous avez « omis » de parler lors de vos précédentes auditions. Ainsi vous relatez qu’en mai 1998, vous auriez fait l’objet d’une agression à domicile. Des membres du RNE, en uniforme, auraient défoncé la porte d’entrée, vous auraient roué de coups et vous auraient injurié en employant des termes vulgaires, antisémites. Votre épouse aurait tenté de vous venir en aide, mais elle se serait fait injurier. A la même occasion, votre appartement aurait été saccagé. Les miliciens, appelés sur place après le départ de vos agresseurs, n’auraient pas voulu vous croire quand vous auriez affirmé que l’agression aurait eu lieu en raison de vos origines ethniques.

Outre le fait que vous auriez reçu des tracts dans votre boîte aux lettres et qu’on aurait inscrit des paroles antisémites sur la porte d’entrée de votre appartement, ce dernier aurait fait l’objet d’un incendie criminel en juillet 1998, alors que vous vous seriez trouvé dans votre résidence secondaire. Suite à cet incendie, on vous aurait menacé de faire sauter votre appartement la prochaine fois, vous affirmez que vous n’auriez pas l’acte d’incendie dressé à l’époque par les sapeurs-pompiers, parce que cet acte ne vous aurait pas intéressé ! Le 14 novembre 1998, alors que vous auriez été chez un ami garagiste pour récupérer votre voiture, vous auriez été frappé par deux personnes portant l’uniforme du RNE, qui non seulement vous auraient frappé, mais auraient en plus démoli votre voiture et volé votre sac dans lequel se serait trouvé votre passeport. Au bureau de milice, où vous auriez porté plainte, on vous aurait remis une attestation certifiant que votre passeport aurait été volé.

Finalement vous exposez que déjà en septembre 1997, votre voiture aurait été sabotée.

Vous auriez eu un accident, mais la police routière aurait affirmé, suite à une instruction, que vous-même vous auriez scié les joints métalliques rattachant les roues pour toucher la prime d’assurance.

En ce qui vous concerne, Madame, vous exposez que vous n’auriez pas fait personnellement l’objet de persécutions, mais qu’une fois, en mai 1998, vous vous seriez fait chahuter à votre domicile par des gens vêtus de chemisiers noirs avec des emblèmes dessus, qui auraient fait irruption dans votre appartement pour agresser votre mari. Vous auriez quitté votre pays en raison de votre mari qui aurait couru un danger de mort en raison de sa nationalité juive.

La reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais également et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile, qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il y aura donc lieu, dans un premier temps, de parler de la situation générale des Juifs en Fédération de Russie en général et à Saint-Pétersbourg en particulier.

Ainsi il faut tout d’abord noter qu’en Fédération de Russie, une loi votée le 19 septembre 1997 sur la liberté de conscience et les associations religieuses parle du judaïsme, parmi d’autres religions, comme d’une religion traditionnelle, digne du « respect de l’Etat ».

Il ne s’agit pas de contester le fait d’existence des mouvements fascisants à l’instar du RNE (Unité nationale russe), existent, aussi bien en Fédération de Russie aussi que dans d’autres pays du monde (sic). Néanmoins, le RNE sous la direction de Barkachov, connu pour ses actions antisémites, est actuellement en perte de vitesse et d’aucuns affirment que les gens qui composent ce mouvement sont des « guignols en uniforme et de mauvais soldats ». Il faut ainsi relever que le parti RNE n’a pas été autorisé à se présenter aux élections législatives russes en décembre 1999. D’autres efforts des pouvoirs sont entrepris pour enrayer la montée de l’antisémitisme en Fédération de Russie, telle, par exemple, la loi fédérale sur la lutte contre les activités extrémistes, adoptée par la Douma d’Etat le 27 juin 2002 et signée par le Président le 25 juillet 2002, cette loi est entrée en vigueur le 10 août 2002.

En octobre 2002, lors du rapport présenté à la Douma par le Ministre de la Justice Iouri Tchaïka sur la lutte contre les activités extrémistes, ce dernier a relevé qu’une attention toute particulière est portée à la scandaleuse association publique RNE. Ainsi il a pu annoncer qu’au cours des six premiers mois de l’année en cours, pas moins de six sections de ce mouvement, sur les vingt-deux existant sur le territoire de la Fédération de Russie, ont pu être démantelées, après que le Ministère eut intenté des actions en justice. Il a proposé la mise en place d’un conseil d’experts ainsi que des sections spéciales auprès des institutions de maintien de l’ordre qui seraient chargées d’identifier les associations extrémistes et de déterminer le caractère extrémiste de leurs activités. Lors de la même séance à la Douma, le Procureur général, Vladimir Oustinov, a de son côté, critiqué le RNE, qui selon lui pratique l’antisémitisme à l’état pur, traitant les autorités de sataniques.

On peut par ailleurs soulever que l’exode massif des Juifs à l’époque soviétique vers Israël s’est tari depuis longtemps et qu’un mouvement inverse semble même se dessiner.

Concernant la situation particulière à Saint-Pétersbourg, on ne peut pas nier qu’une section du RNE est active sur place. Il faut néanmoins tout de suite ajouter que les autorités de Saint-Pétersbourg et de la région de Leningrad avaient déjà dans les années 1998-1999 refusé à quatre reprises de l’enregistrer. Ainsi, l’attitude des autorités allait dans le même sens que vos revendications d’interdire le RNE. Dès lors, vos agresseurs ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève, bénéficiant du soutien des autorités locales et fonctionnant ainsi dans la plus parfaite légalité.

Concernant votre situation particulière, il y a lieu, dans un premier temps, d’analyser la véracité de vos récits, et dans le cas où celle-ci est établie, voir si les autorités de Saint-

Pétersbourg n’ont pas voulu ou pas pu assurer votre protection.

Je tiens à signaler d’emblée que votre récit ressemble aux autres récits de ressortissants russes qui se disent d’origine juive et qui ont demandé l’asile politique au Luxembourg. Ceci est vrai non seulement quant au contenu des récits mais également quant aux pièces versées pour étayer les déclarations faites. Ces similitudes, voire même identité des faits invoqués par les différents demandeurs d’asile jettent d’emblée un doute sur la crédibilité des déclarations.

Quant à l’authenticité des documents versés à l’appui de vos déclarations, il faut relever que vous avez versé un avis de comparution, non daté, suivant lequel vous auriez dû vous présenter à 11 heures chez l’agent d’instruction le 17 mai, suivi des chiffres 19, sans autre indication quant à l’année. En plus, l’adresse où vous étiez censé vous présenter ne figure pas sur l’avis de comparution. Finalement, le tampon figurant sur l’avis de comparution montre les armoiries du ministère de l’Intérieur de la République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie, chose bizarre tant d’années après l’éclatement de l’URSS.

L’authenticité dudit document est par conséquent fortement mise en doute.

Il faut également constater que vous avez essayé d’étayer à outrance vos déclarations, de sorte que les documents versés par vous sont presque faits sur mesure pour correspondre à des évènements qui se seraient vraiment déroulés. Même si les pièces versées pourraient être considérées comme authentiques dans ce sens qu’elles sont émises par des bureaux de milice ou des établissements médicaux qui existent, leur similitude avec les pièces produites par d’autres ressortissants russes se réclamant de nationalité juive permettent de conclure qu’il s’agit de certificats de complaisance, dont le schéma a été élaboré par ceux qui s’enrichissent en aidant les personnes désireuses de quitter leur pays à bâtir des scénarios s’apparentant à des persécutions au sens de la Convention.

Même à supposer les faits relatés établis, force est de constater, que, dans les cas où vous vous êtes adressé à la milice pour porter plainte et que celle-ci, d’après vous, n’aurait pas donné suite à ces plaintes, vous n’avez pas pris la peine de vous adresser à une autorité hiérarchiquement supérieure à la milice pour obtenir justice et protection. Dans ce contexte, je me réfère à la 2e partie du Code de procédure pénale de la Fédération de Russie contenant les dispositions relatives à l’ouverture d’une action publique, l’enquête et l’instruction préliminaire. Les organes habilités à faire une enquête, dont entre autre la milice, sont tenus d’examiner une plainte, introduite oralement ou par écrit par un particulier, et ils sont tenus de prendre une décision : soit ouvrir une action pénale, soit classer l’affaire. L’organe chargé de l’enquête rend cette ordonnance et il est tenu d’en remettre une copie au procureur sans délai. Le procureur examine la conformité à la loi de la décision d’ouvrir ou de classer une affaire pénale. Lorsque le procureur décide qu’une décision de classer une affaire n’est pas motivée, il l’annule et il rend l’ordonnance relative à la mise en mouvement d’une action pénale. Admettant que le bureau de milice n’ait pas fait parvenir son ordonnance au Parquet, comme il aurait dû le faire, vous auriez dû avoir la diligence, dans votre intérêt et de celui des membres de votre famille, de vous adresser personnellement au procureur ou à un juge indépendant. Il faut également relever dans ce contexte qu’il est pour le moins étrange que, suite à votre « enlèvement », (si en l’espèce on peut parler d’enlèvement, alors qu’aucune rançon n’a été réclamée) vous ayez renoncé à porter plainte auprès de la milice, alors que les personnes qui vous avaient hébergé auraient pu témoigner en votre faveur, sinon sur l’agression elle-même, du moins sur le mauvais état de santé dans lequel vous vous trouviez à l’époque. On peut donc affirmer que les voies de recours interne à votre disposition n’ont pas été épuisées.

Finalement, il y a lieu de retenir que vous n’avez pas fait usage de la possibilité de fuite interne, c’est à dire de la possibilité de vous installer dans une autre partie de la Fédération de Russie. Or, il faut mentionner dans ce contexte, puisque vous vous dites vous-

même un fervent adepte de la confession juive, l’existence d’une oblaste (région) juive avec son centre administratif à Birobidjan, où l’hébreu est enseigné à l’école et les traditions juives respectées.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande de d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par courrier de leur mandataire du 25 décembre 2002, les consorts …-… firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 29 novembre 2002.

Le ministre de la Justice confirma sa décision initiale par décision du 11 février 2003.

Le 19 mars 2003, les époux … …-…, agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leurs deux enfants mineurs …e, ont introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 29 novembre 2002 et 11 février 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Dans ce contexte, ils insistent sur des menaces, injures et persécutions physiques émanant d’extrémistes nationalistes et antisémites qu’ils auraient dû subir en raison de la religion juive de Monsieur … et de son activisme pour la cause juive, ainsi que sur l’impuissance des autorités étatiques de leur assurer une protection adéquate, voire la connivence de certains membres desdites autorités avec les extrémistes.

Ils estiment encore que les services du ministère de la Justice auraient dû pousser plus en avant leurs investigations quant à l’authenticité des documents produits et ils demandent au tribunal d’ordonner une mesure d’investigation afférente. Ils estiment en outre que le ministre de la Justice, par le fait d’avoir attendu trois ans avant de statuer sur leur demande d’asile, aurait excédé voire détourné ses pouvoirs.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

En ce qui concernant en premier lieu le moyen basé sur une durée d’instruction déraisonnable, il y a lieu de retenir qu’il ne se dégage des éléments d’appréciation soumis au tribunal ni que les autorités étatiques auraient voulu faire traîner l’instruction du dossier des demandeurs, ni que leurs droits auraient été lésés, de sorte que le moyen est à rejeter.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, sur base des éléments du dossier et sans qu’il soit nécessaire de recourir à des vérifications ou mesures d’instructions supplémentaires - telle que celle prônée par le mandataire des demandeurs -, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures non contentieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques ne sauraient être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’offrir une protection suffisante contre ces actes, ce défaut de protection devant être mis suffisamment en évidence par les demandeurs d’asile.

En l’espèce, force est de constater que s’il est vrai que dans certaines villes en Russie la situation des membres de la communauté juive est parfois difficile en raison de tendances antisémites, indéniables, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité juive serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions. Or, en l’espèce, même en admettant le caractère authentique de l’ensemble des documents produits en cause, les demandeurs restent en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place en Russie tolèrent voire encouragent des agressions à leur encontre ou qu’elles ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Russie, étant entendu qu’ils n’ont pas établi un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place. - Dans ce contexte, les risques allégués par les demandeurs se limitent exclusivement à la ville de St. Petersbourg et ils restent en défaut d’établir, pièces à l’appui, qu’ils ne peuvent pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de la Russie, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 40 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 6 novembre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16149
Date de la décision : 06/11/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-11-06;16149 ?

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