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05/11/2003 | LUXEMBOURG | N°16435

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 novembre 2003, 16435


Tribunal administratif Numéro 16435 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 mai 2003 Audience publique du 5 novembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16435 du rôle et déposée le 15 mai 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Catherine GRAFF, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ord

re des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Kaluga (Fédération de Russie...

Tribunal administratif Numéro 16435 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 mai 2003 Audience publique du 5 novembre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16435 du rôle et déposée le 15 mai 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Catherine GRAFF, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Kaluga (Fédération de Russie), de nationalité russe, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 12 février 2003, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, en présence d’une décision confirmative du même ministre du 16 avril 2003 à la suite d’un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 août 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Eric PRALONG, en remplacement de Maître Catherine GRAFF, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 29 octobre 2001, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en dates des 16 avril et 8 mai 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par lettre du 12 février 2003, notifiée le 17 février 2003, que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Vous exposez que vous travailliez dans une firme nommée P.. Vous auriez été responsable des relations avec les administrations douanières pour les produits alimentaires.

Vous ajoutez que vous aviez un poste à responsabilité et que cette firme était dirigée par des agents du FAPSI (Agence Fédérale des Communications Gouvernementales et d’Informations) ; la société aurait été régie par des protocoles très spéciaux et on vous aurait parfois confié des documents sous pli fermé pour les porter à des destinataires inconnus.

Vos problèmes auraient débuté le 30 mai 2001. Vous auriez emmené du travail avec vous pendant la pause de midi que vous aviez l’habitude de passer dans un café. Pendant que vous alliez vous servir, on aurait dérobé des classeurs, des chemises, et des documents dans votre serviette, ainsi que votre agenda. Vous auriez directement averti vos supérieurs de ce vol.

Ceux-ci vous auraient demandé de rechercher les documents volés et surtout votre agenda que vous deviez restituer à vos employeurs.

Par la suite, vous auriez commencé à recevoir des coups de téléphone anonymes et des visites nocturnes. Votre ligne téléphonique aurait été mise sous écoute. En plus, vous affirmez que les freins de votre voiture auraient été sciés et qu’on aurait tiré sur votre père pour vous faire peur. A aucun moment, vous n’auriez porté plainte à la milice, estimant cela inutile. Le 8 juin 2001, vous auriez arrêté de travailler pour P.. Vous auriez cependant continué à travailler dans le dédouanement de marchandises pour d’autres sociétés.

Vous faites encore état d’une bagarre, à caractère raciste, dans laquelle vous auriez été impliqué en 1991 ou en 1992.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, je constate que votre récit est truffé d’invraisemblances.

Je constate d’abord que vous avez fait preuve d’une grande légèreté quand vous avez emmené pendant votre pause de midi des documents officiels et votre agenda dont vous connaissiez l’importance. Je relève aussi que vous saviez que vos employeurs étaient des agents du FAPSI, donc des personnalités pour lesquelles la discrétion était la qualité principale. Il est normal que le vol de documents importants ait entraîné des problèmes avec vos employeurs. Il n’y a pas la matière à persécution au sens de la Convention de Genève.

Il est également curieux que vous n’ayez pas porté plainte à la milice quand vous avez reçu des coups de téléphone anonymes et ces visites nocturnes, ni quand les freins de votre voiture ont été saboté, ni quand on a tiré sur votre père. Il est étrange aussi que vous n’ayez pas demandé une expertise de votre véhicule pour prouver que votre accident de voiture était dû à un sabotage.

Il est aussi difficilement crédible que vous ayez pu continuer les dédouanements de marchandises pour d’autres employeurs alors que vos ennuis avec la P. devaient se savoir dans ce milieu-là.

Quant à la bagarre de 1991 ou de 1992, je note qu’elle remonte à douze ou treize ans et qu’elle s’est soldée par un procès en bonne et due forme dans lequel votre agresseur a été condamné.

Je constate donc qu’aucune de vos assertions, à les supposer établies, ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par lettre du 14 mars 2003, réceptionnée par le ministre de la Justice le 17 mars 2003, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 12 février 2003.

Par décision du 16 avril 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 mai 2003, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 12 février 2003.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il travaillait dans une firme dénommée « P. » au sein de laquelle il était responsable des relations avec les administrations douanières pour les produits alimentaires, firme dirigée par des agents de l’Agence Fédérale des Communications Gouvernementales et d’Informations, qui est une des composantes des services de renseignements russes. Le demandeur expose plus particulièrement que dans le cadre de son travail, des documents officiels lui auraient été régulièrement confiés sous pli fermé et qu’en date du 30 mai 2001, pareils documents lui auraient été dérobés. A la suite ce vol, le demandeur expose avoir reçu des coups de téléphone anonymes ainsi que des visites nocturnes par des inconnus qui auraient frappé à sa porte. Pour le surplus les freins de sa voiture auraient été sabotés et un inconnu aurait tiré sur son père pour lui faire peur, ce qui l’aurait finalement incité à démissionner auprès de la firme P. en date du 8 juin 2001 et à quitter son pays d’origine par la suite. Le demandeur estime partant que le ministre de la Justice aurait fait une mauvaise appréciation des faits à la base de sa demande d’asile, d’autant plus que ces faits auraient été confirmés dans un article de presse paru dans le journal russe « Moskovskye Novosti ».

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé, d’autant plus que de nombreuses invraisemblances se dégageraient du récit du demandeur.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière d’un demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que la situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. trib. adm. 13 novembre 1997, n°s 9407 et 9806 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 35 et autres références y citées).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de ses auditions en date des 16 avril et 8 mai 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient en premier lieu de relever que le récit des faits du demandeur ne se trouve pas conforté par un quelconque élément de preuve tangible. Dans ce contexte, il convient encore de relever que l’article de presse produit par le demandeur à l’appui de sa version des faits ne le vise pas personnellement, comme l’a relevé à juste titre le délégué du gouvernement, et n’est partant pas de nature à étayer les faits à la base de sa crainte de persécution.

Pour le surplus, il échet de retenir que le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violences à son encontre, mais il reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre public en place en Russie tolèrent voire encouragent ces agressions, étant entendu qu’il n’a pas établi un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place, d’autant plus qu’il est même en aveu de ne pas avoir recherché pareille protection.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 5 novembre 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16435
Date de la décision : 05/11/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-11-05;16435 ?

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