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22/10/2003 | LUXEMBOURG | N°16338

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 octobre 2003, 16338


Numéro 16338 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 avril 2003 Audience publique du 22 octobre 2003 Recours formé par Les époux … et … …-…, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16338 du rôle, déposée le 25 avril 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour,

inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, et de son...

Numéro 16338 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 avril 2003 Audience publique du 22 octobre 2003 Recours formé par Les époux … et … …-…, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16338 du rôle, déposée le 25 avril 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, et de son épouse, Madame …, née le…, tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 10 février 2003 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 juin 2003;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 26 septembre 2003 par Maître François MOYSE pour compte des époux …-…;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Nadine SCHEUREN, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 octobre 2003.

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Le 19 juin 2002, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ». Son épouse, Madame … introduisit une demande tendant aux mêmes fins en date du 13 novembre 2002.

En date des mêmes jours respectifs, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Monsieur … fut entendu en date du 11 juillet 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile, tandis que l’audition correspondante de Madame… eut lieu le 14 janvier 2003.

Le ministre de la Justice informa les époux …-… par décision du 10 février 2003, leur notifiée par courrier recommandé du 27 mars 2003, de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Les époux …-… ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de cette décision ministérielle de rejet du 10 février 2003 par requête déposée le 25 avril 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs, appartenant à la communauté des Albanais du Kosovo, exposent qu’ils auraient vécu un certain temps en Allemagne avant de retourner volontairement dans leur pays d’origine, qu’ils proviendraient de la ville kosovare de Mitrovica et que les autres Albanais reprocheraient à Monsieur … d’avoir collaboré avec les Serbes dans le cadre de son commerce de produits alimentaires. Ils font valoir que les pressions et menaces des Albanais seraient devenues insupportables au point qu’ils auraient dû se résoudre à quitter le pays. Ils estiment que le ministre aurait retenu à tort l’absence de persécution dans leur chef et qu’ils feraient état d’une crainte réelle pour leur vie fondée sur des faits précis, de manière que la circonstance qu’ils ne disposeraient pas de toutes preuves concernant leur situation ne devrait pas conduire au rejet de leur demande d’asile en présence d’un récit crédible et cohérent qui devrait suffire aux exigences posées par la Convention de Genève.

Les demandeurs contestent encore l’existence d’une possibilité de fuite interne au sein tant de leur ville d’origine que du Kosovo, étant donné que ce seraient les Albanais qui les menaceraient, qu’ils ne disposeraient pas d’autre logement au Kosovo et qu’un déplacement au sein du Kosovo ne constituerait pas une possibilité de fuite interne socialement et économiquement raisonnable. Ils ajoutent que la situation générale d’insécurité ne permettrait pas leur installation au Kosovo sans crainte pour leur vie et que la force internationale y présente ne pourrait pas garantir leur sécurité face aux Albanais qui les suspecteraient de collaboration avec les Serbes.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, v° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

En effet, concernant les pressions et menaces en raison d’une prétendue collaboration de Monsieur … avec les Serbes dans le cadre de son activité de marchand d’aliments, il y a lieu de retenir que, si ces faits peuvent, le cas échéant, justifier des craintes de persécution au sens de la Convention de Genève, force est en l'espèce de constater que les demandeurs se prévalent d’actes de persécution émanant non pas des autorités publiques, mais de membres de leur propre communauté ethnique. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains groupements de la population, force est de relever que la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. En effet, il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). En outre, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce, les demandeurs font état de pressions et de menaces de la part des Albanais, dont ils auraient été victimes, au motif tiré d’une prétendue collaboration de Monsieur … avec les Serbes, qui ne sont pas étayées par des pièces au dossier et restent comme telles à l’état de pure allégation. En outre, les éléments du dossier ne permettent de retenir ni que les demandeurs ont concrètement recherché la protection des autorités en place dans leur pays d’origine, ni l’incapacité de ces dernières pour leur assurer un niveau de protection suffisante, ni encore le défaut de toute poursuite des actes de persécution commis à leur encontre. En effet, Monsieur … a admis lui-même lors de son audition en date du 11 juillet 2002 qu’il n’avait pas déposé de plainte auprès de l’UNMIK, mais qu’il avait simplement introduit une demande pour changer de domicile.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 octobre 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16338
Date de la décision : 22/10/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-10-22;16338 ?

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