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22/10/2003 | LUXEMBOURG | N°16242

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 octobre 2003, 16242


Numéro 16242 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 avril 2003 Audience publique du 22 octobre 2003 Recours formé par Monsieur … et les époux … …-… contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, déposée le 7 avril 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Claude WASSENICH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats

à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bijelo Polje/Monténégro (Etat de Serbie et Mont...

Numéro 16242 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 avril 2003 Audience publique du 22 octobre 2003 Recours formé par Monsieur … et les époux … …-… contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, déposée le 7 avril 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Claude WASSENICH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bijelo Polje/Monténégro (Etat de Serbie et Monténégro), demeurant actuellement à L-… et de Monsieur … …, né le … à Sutivan (Monténégro) et de son épouse, Madame … …, née le 6 janvier 1950 à Bukovic/Serbie /Etat de Serbie et Monténégro), demeurant actuellement à Sutivan/Bijelo Polje, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 16 décembre 2002, par laquelle la délivrance d’une autorisation de séjour a été refusée aux époux …-… et d’une décision ministérielle du 30 janvier 2003, rendue sur recours gracieux, confirmant la décision initiale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 juillet 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom des demandeurs au greffe du tribunal administratif le 26 septembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Marie-Pierre BEZZINA, en remplacement de Maître Claude WASSENICH et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le ministre de la Justice informa Monsieur …, par lettre du 16 décembre 2002, que suite à sa demande du 19 août 2002, il n’était pas en mesure de délivrer des autorisations de séjour en faveur de ses parents, Monsieur … … et Madame … …, au motif que ses parents ne seraient pas en possession de moyens personnels suffisants leur permettant d’assurer leur séjour au Grand-Duché de Luxembourg indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à leur faire parvenir.

A la suite de l’introduction d’un recours gracieux daté du 7 janvier 2003, le ministre de la Justice confirma la décision initiale du 16 décembre 2002 par un courrier du 30 janvier 2003 en se référant à un défaut d’éléments pertinents nouveaux.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 avril 2003, Monsieur … et les époux … … et … … ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 16 décembre 2002 et 30 janvier 2003.

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal. Partant, seul un recours en annulation a pu être introduit contre les décisions litigieuses.

Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Les demandeurs reprochent tout d’abord au ministre de la Justice d’avoir violé l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, en ce que cette disposition légale permet au ministre de la Justice de refuser la délivrance d’une autorisation de séjour pour les motifs y indiqués, sans qu’il n’y soit obligé et ils estiment que le ministre aurait pu les faire bénéficier « de l’interprétation favorable du texte », en ce qu’il n’aurait pas été obligé de leur refuser la délivrance de l’autorisation sollicitée pour l’un des motifs inscrits à ladite disposition légale.

En ce qui concerne le défaut de moyens d’existence personnels auquel le ministre a fait référence pour refuser aux époux …-… la délivrance d’une autorisation de séjour, les demandeurs font état de ce que de tels moyens seraient établis dans la mesure où leur fils … les prendrait à sa charge en exécution de son obligation alimentaire qu’il devrait assumer à l’égard de ses parents. Ainsi, il ne saurait être question d’aide fournie par de tierces personnes, puisque le fils des époux …-… ne saurait être considéré comme tiers par rapport à eux-mêmes.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement attire l’attention sur le fait que lors de la modification législative du 18 août 1995 ayant eu pour objet de modifier la loi précitée du 28 mars 1972, et plus particulièrement l’article 2 de ladite loi, a ajouté l’adjectif « personnel » pour faire clairement ressortir que les moyens dont doit bénéficier la personne désireuse de se faire délivrer une autorisation de séjour doivent lui être propres et non pas parvenir de tierces personnes, de sorte que la prise en charge signée par un membre de la famille ne serait pas à considérer comme constituant la preuve de moyens personnels.

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Au vœu de l’article 2 précité, une autorisation de séjour peut dès lors être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm.

2002, V° Etrangers, 2. Autorisation de séjour – Expulsion, n° 121 et autres références y citées, p. 205).

Ledit article énonce des motifs de refus facultatifs (cf. Cour adm. 25 mars 2003, n° 15902C du rôle, non encore publié), de manière à opérer une restriction au niveau des possibilités accordées au ministre de la Justice pour refuser l’entrée et le séjour au pays à un étranger, sans pour autant délimiter l’étendue de son pouvoir en matière d’octroi d’une autorisation de séjour (trib. adm. 9 juillet 2003, n° 16049 du rôle et trib. adm. 9 juillet 2003, n° 16111 du rôle, non encore publiés).

Il s’ensuit que dans le cadre de son pouvoir d’appréciation qui lui est ainsi attribué par la disposition légale en question, le ministre de la Justice doit décider de cas en cas si les sommes dont déclarent bénéficier les demandeurs tendant à se voir délivrer une autorisation de séjour sont suffisantes pour couvrir leurs frais de séjour et de voyage, pour le cas où ils devraient être rapatriés dans leur pays d’origine à l’expiration de leur autorisation afférente. Ce pouvoir devra forcément être exercé de manière à ne pas créer des discriminations entre certaines catégories d’étrangers, ce qui d’ailleurs n’a pas été établi en l’espèce.

Force est de constater qu’en l’espèce les époux …-… font exclusivement état de deux déclarations de prise en charge qui ont été signées en leur faveur par leur fils, …, pour établir l’existence dans leur chef de moyens personnels suffisants au sens de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972.

Il échet toutefois de constater que dans la mesure où, contrairement à l’argumentation développée par les demandeurs, le fils des époux …-… est à considérer comme étant un tiers par rapport à eux, les déclarations de prise en charge signées par lui ne sont pas de nature à établir dans le chef des époux …-… l’existence de moyens personnels suffisants au sens de la disposition légale invoquée à l’appui de la décision litigieuse. Par ailleurs, dans la mesure où les époux …-… n’ont pas fait état d’autres moyens personnels suffisants, le ministre de la Justice a valablement pu refuser l’autorisation de séjour sollicitée sur base de ce motif.

Les demandeurs invoquent en outre l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales et plus particulièrement leur droit au regroupement familial qui devrait tenir en échec la décision prise par le ministre de la Justice.

Dans ce contexte, ils font état de ce que jusqu’à la date de son arrivée au Grand-

Duché de Luxembourg en 1998, Monsieur … aurait vécu avec ses parents dans leur pays d’origine. Depuis cette date, il aurait toujours eu « des contacts constants avec eux ». En outre, Monsieur … fait état de ce qu’il est le père d’un petit garçon qui devrait pouvoir garder un contact avec ses grands-parents.

Dans son mémoire en réponse, le représentant étatique fait état de ce que les parents, à savoir les époux …-…, seraient venus rendre visite à leur fils, ainsi qu’à la famille de ce dernier au cours de l’année 2002, et que jusqu’à cette date, ils n’auraient pas vécu ensemble avec lui pendant plusieurs années. Dans ce contexte, il rappelle que Monsieur … se serait marié au Luxembourg le 4 décembre 1998 et qu’avant d’arriver au Luxembourg, il aurait vécu pendant une période non autrement déterminée en Allemagne où il aurait sollicité le statut de réfugié. Le délégué du gouvernement se base sur ces faits pour contester que la décision litigieuse porterait atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale et mettrait fin à une vie familiale commune.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :

« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont font état les demandeurs pour conclure dans leur chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 précité de la Convention européenne des droits de l’homme, rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

En l’espèce, il échet tout d’abord de relever qu’il est constant en cause, pour être admis par les deux parties à l’instance, qu’une vie familiale effective n’a pas existé entre Monsieur … et ses parents, les époux …-… antérieurement à l’immigration du demandeur au Grand-Duché de Luxembourg.

Le simple fait d’échanger des coups de téléphone, ainsi que des courriers ou de faire des visites occasionnelles ne saurait suffire pour établir le caractère effectif d’une vie familiale entre le fils et ses parents.

En ce qui concerne pour le surplus la situation des époux …-… dans leur pays d’origine, il n’est ni allégué, ni a fortiori établi, qu’ils ne seraient pas en mesure de mener une vie indépendante dans leur pays d’origine et qu’ils n’y disposeraient pas d’autres enfants ou parents susceptibles de les prendre en charge, au cas où cela serait nécessaire. Il s’ensuit que les demandeurs n’ont pas établi de raison suivant laquelle les parents de Monsieur … ne pourraient pas vivre dans leur pays d’origine.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’absence de preuve permettant de conclure à l’existence d’une vie familiale durable ou à l’impossibilité des parents de vivre dans leur pays d’origine, les demandeurs ne tombent pas dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, de sorte que ce moyen doit également être rejeté pour n’être pas fondé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à déclarer non fondé et partant les demandeurs sont à en débouter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 22 octobre 2003 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16242
Date de la décision : 22/10/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-10-22;16242 ?

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