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20/10/2003 | LUXEMBOURG | N°16654

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 octobre 2003, 16654


Tribunal administratif N° 16654 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juillet 2003 Audience publique du 20 octobre 2003 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16654 du rôle, déposée le 1er juillet 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Christian GAILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Algérie), de nationalité algérienne, demeurant actuelle

ment à L-… , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 ma...

Tribunal administratif N° 16654 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juillet 2003 Audience publique du 20 octobre 2003 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16654 du rôle, déposée le 1er juillet 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Christian GAILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Algérie), de nationalité algérienne, demeurant actuellement à L-… , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 mai 2003, lui notifiée le 5 juin 2003, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 août 2003 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur au greffe du tribunal administratif le 24 septembre 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Christian GAILLOT et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 octobre 2003.

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Monsieur … a introduit en date du 10 décembre 1997 une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date des 26 mai, 3 juin et 28 septembre 1999 et 8 mai 2003 par des agents du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa, par lettre du 23 mai 2003, lui notifiée par courrier recommandé expédié le 4 juin 2003, que sa demande avait été rejetée aux motifs que les craintes de persécutions par lui invoquées proviennent de terroristes islamistes qui ne sauraient pas constituer des agents de persécutions au sens de la Convention de Genève et que par ailleurs lesdits groupes terroristes auraient un champ d’opération limité géographiquement, de sorte qu’en s’installant dans une autre ville, il lui aurait été possible de se placer hors de leur portée et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Par requête déposée en date du 1er juillet 2003, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle prévisée du 23 mai 2003.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours le demandeur expose appartenir à la minorité berbère vivant en Algérie et avoir quitté son pays d’origine en 1996, époque à laquelle il aurait travaillé dans la police d’intervention algérienne chargée de lutter contre des islamistes. Il signale avoir renié la religion musulmane pour embrasser désormais la religion chrétienne et fait valoir que son appartenance à la police, ainsi que ses croyances religieuses auraient fait de lui une cible privilégiée des groupes islamistes qui l’auraient condamné à mort. Il fait état plus particulièrement de la situation générale en Kabylie dont il serait originaire et qui hébergerait un peuple de souche européenne non islamiste très attaché à ses racines et à ses traditions, de sorte que les islamistes auraient dû redoubler de violences dans cette région afin de tenter de s’imposer par la force. Il relève que ce serait dans ce contexte qu’outré par les massacres perpétrés par des groupes islamistes, il aurait décidé de s’engager dans la police d’intervention afin de protéger ses co-citoyens. Il signale qu’il aurait dû intervenir à cette occasion sur le terrain pendant presque deux ans dans des conditions particulièrement dangereuses et s’opposer à des fanatiques religieux, que dans ce contexte plusieurs de ses collègues auraient été assassinés et que lui-même aurait dû livrer plusieurs combats armés, que parallèlement il se serait converti à la religion chrétienne et se serait mis à fréquenter le temple protestant d’Ouadia, qu’il n’aurait pas ailleurs pas hésité à se promener avec une croix en pendatif et à lire la bible dans des lieux publics, et qu’un tel comportement aurait été qualifié de véritable provocation par les intégristes islamistes, de manière à lui avoir valu la fureur de ces derniers qui auraient juré de l’éliminer. Il signale « qu’ils » seraient même venus à deux occasions au domicile de ses parents pour le chercher et que les membres de sa famille auraient reçu des menaces directes tant à la maison que sur le lieu de travail, de sorte qu’il aurait été contraint de quitter le pays sous peine de compromettre sa sécurité, ainsi que celle de ses proches. Dans la mesure où la situation ne serait toujours pas stable en Algérie et que le pouvoir politique ne contrôlerait que les villes et non les campagnes, le demandeur estime devoir bénéficier des dispositions de la Convention de Genève.

Le délégué du Gouvernement rétorque qu’en présence de craintes de persécution émanant de groupes de la population, il appartiendrait au demandeur d’établir que les autorités en place dans son pays d’origine seraient dans l’incapacité absolue de le protéger, voire qu’elles encourageraient des persécutions à son encontre, preuve que le demandeur resterait en défaut d’établir, ceci d’autant plus qu’il aurait été particulièrement bien placé pour demander et obtenir protection de la part de ses ex-collègues. Il relève en outre que les groupes terroristes auraient un champ d’opération limité géographiquement et qu’un simple changement de domicile lui aurait permis de bénéficier d’une possibilité de fuite interne.

Concernant finalement la conversion du demandeur à une autre religion que la foi islamique, à la supposer établie, il s’agirait d’un acte personnel intime, qui n’engagerait que celui qui le pratique, et que le demandeur qui n’a pas indiqué avoir exercé des activités sacerdotales susceptibles de le placer dans une situation particulièrement exposée, laisserait encore d’être persuasif dans ce moyen.

Dans son mémoire en réplique le demandeur insiste sur la véritable terreur que les groupes islamistes feraient régner en Algérie en persécutant et en massacrant régulièrement tous ceux dont ils estiment l’opinion contraire à leurs convictions religieuses et à leurs intérêts. Il se réfère à cet égard à divers événements relatés dans la presse internationale.

Quant à une éventuelle protection de la part des autorités algériennes, il fait valoir qu’en tant qu’ancien chef d’équipe dans la police d’intervention, il serait bien placé pour savoir qu’il ne serait pas possible de faire confiance en qui que ce soit, étant donné que la trahison en ces temps incertains serait devenue de principe. Quant à un changement de domicile éventuel, le demandeur fait valoir qu’il lui aurait été impossible de quitter la Kabylie, étant donné qu’il y aurait bénéficié du soutien de sa famille et de ses amis et qu’en quittant sa région il se serait trouvé livré à lui-même, sans possibilité de retrouver du travail, étant donné que le taux de chômage atteindrait près de 40 % parmi la population jeune.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière d’un demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que la situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de ses auditions en date des 26 mai, 3 juin et 28 septembre 1999 et 8 mai 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que le risque de persécution allégué par le demandeur émane en substance de certains groupes de la population algérienne, de sorte que ledit risque de persécution ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, mais ne démontre point que les autorités en place seraient incapables d’assurer un niveau de protection suffisant. En effet, même à admettre que la motivation des personnes susceptibles de commettre des actes de persécution à son encontre aurait trait à ses activités professionnelles ou à sa religion, il n’en demeure cependant pas moins que ce n’est pas la motivation qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais que l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

C’est par ailleurs à juste que le ministre a relevé que les craintes de persécutions invoquées par le demandeur se rapportent essentiellement à la situation générale dans sa région d’origine, sans qu’il n’apporte suffisamment de précisions quant aux persécutions qu’il risquerait personnellement de subir du fait de sa situation particulière.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 octobre 2003 par:

Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16654
Date de la décision : 20/10/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-10-20;16654 ?

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