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15/10/2003 | LUXEMBOURG | N°16390

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 octobre 2003, 16390


Tribunal administratif Numéro 16390 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 mai 2003 Audience publique du 15 octobre 2003 Recours formé par Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16390 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 mai 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Tirana (Albanie), de nationalité albanaise, agissant

tant en son nom personnel qu’en celui de ses enfants mineurs …, les trois demeurant act...

Tribunal administratif Numéro 16390 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 mai 2003 Audience publique du 15 octobre 2003 Recours formé par Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16390 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 mai 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Tirana (Albanie), de nationalité albanaise, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de ses enfants mineurs …, les trois demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 6 février 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 31 mars 2003 suite à un recours gracieux de la demanderesse ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juillet 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

Le 24 juin 2002, Madame …, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de ses enfants mineurs …, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 9 juillet 2002, elle fut entendue par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 6 février 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) Vous dites que vous étiez membre du Parti Démocratique depuis 1991/1992.

Vous auriez participé à des réunions et à des meetings de ce parti. Votre concubin aurait aussi été membre de ce parti.

En 1997, des policiers auraient cherché des armes chez vous. Ils vous auraient reproché d’être membre du Parti Démocrate. Vous ajoutez que, depuis 1997, la police vous aurait harcelée pour vous faire quitter le parti. A ces occasions, vous auriez été frappée, vous auriez même eu le bras cassé et votre santé se serait dégradée. Votre concubin aurait disparu.

Vous précisez que votre père serait décédé en prison.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate d’abord que vos activités politiques se limitaient à être simple membre du Parti Démocrate et à assister aux réunions de ce parti. Vous n’étiez pas, de ce fait, dans une position particulièrement exposée. Votre concubin, dont vous dites ignorer où il se trouve, était aussi simple membre de ce parti, bien qu’il ait, d’après vous, apporté son aide dans un bureau de vote. Quant aux persécutions qu’aurait subi votre père, je constate que son décès remonte à 1985, période où la situation en Albanie était fort différente de celle d’aujourd’hui.

En effet, force est de constater que la situation politique s’est considérablement stabilisée en Albanie depuis 1999. Ainsi les observateurs internationaux présents en Albanie lors des élections législatives de juin 2001 n’ont constaté aucune manipulation des votes. Il est de notoriété que, depuis 2001, la situation politique, notamment en ce qui concerne la sécurité, a fait d’énormes progrès et que la situation économique aussi s’est améliorée de façon significative.

Je dois donc constater que vos assertions font davantage état d’un sentiment général d’insécurité, ce qui ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

En conséquence, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er, A, 2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 19 mars 2003 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale le 31 mars 2003.

Le 5 mai 2003, Madame …, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de ses enfants mineurs …, a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 6 février et 31 mars 2003.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose être originaire d’Albanie et, plus particulièrement, de la ville de Tirana. Elle soutient avoir quitté son pays d’origine en raison des persécutions qu’elle aurait dû subir en raison de son affiliation au parti démocrate d’Albanie. Elle précise qu’elle serait membre d’une famille d’opposants au pouvoir communiste, son père ayant été emprisonné de ce fait en 1967 et qu’il y serait décédé en 1985 et qu’elle même aurait subi des interrogatoires par la police et des coups et blessures en raison de son adhérence au parti démocrate et sa participation à des manifestations dudit parti.

En substance, elle reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse, de sorte qu’elle serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient en premier lieu de rappeler que la simple appartenance à un mouvement ou parti politique de la part de la demanderesse, sans qu’elle n’ait exercé une fonction ou un activisme particulier au sein dudit parti, ne saurait justifier, à elle seule, une persécution vécue ou une crainte de persécution.

En outre, même à admettre le récit, non conforté par un quelconque élément de preuve tangible, relativement à des exactions par des membres des forces policières, pareil état des choses n’établit pas non plus une persécution au sens de la Convention de Genève, mais constitue un acte de criminalité de droit commun, insuffisant pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement est insuffisant pour établir que les autorités qui sont actuellement au pouvoir en Albanie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de ce pays ou tolèrent voire encouragent des agressions à l’encontre des membres du parti démocratique, cette conclusion s’imposant d’autant plus au regard de l’évolution favorable de la situation politique actuelle en Albanie.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 15 octobre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16390
Date de la décision : 15/10/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-10-15;16390 ?

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