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13/10/2003 | LUXEMBOURG | N°16378

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 octobre 2003, 16378


Numéro 16378 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 mai 2003 Audience publique du 13 octobre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16378 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 mai 2003 par Maître Sarah TURK, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avo

cats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Globocica/Dragas (Kosovo/Etat de Serbi...

Numéro 16378 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 mai 2003 Audience publique du 13 octobre 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16378 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 mai 2003 par Maître Sarah TURK, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Globocica/Dragas (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 4 avril 2003, intervenue sur recours gracieux à l’encontre d’une première décision dudit ministre du 24 février 2003 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juillet 2003 ;

Vu la lettre de Maître Marie-Christine GAUTIER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, du 29 septembre 2003 portant information qu’elle a mandat d’occuper pour le demandeur en remplacement de Maître Sarah TURK ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en sa plaidoirie.

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Le 31 décembre 2002, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut en outre entendu en date du 3 février 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 24 février 2003, notifiée le 26 février 2003, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo parce que vous n’y seriez pas en sécurité, c’est à dire que la situation n’y serait pas sûre et qu’il n’y aurait pas de liberté pour sortir. Des gens venant d’Albanie commettraient des vols et feraient du mal. Vous auriez peur des albanais parce que vous appartiendriez à une minorité nationale, à savoir goranaise.

En juin-juillet 2002 vous auriez été menacé verbalement par des albanais qui occuperaient de force votre appartement. Vous n’auriez pas porté plainte auprès d’une autorité parce que des albanais y travailleraient.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Concernant la situation particulière des musulmans slaves au Kosovo, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Force est de constater que vous ne faites pas état de persécutions. Des menaces verbales ne sauraient suffire pour fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique. Vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention. Des groupements d’Albanais ne sauraient par ailleurs être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il faut également souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. A cela s’ajoute qu’à la suite des élections parlementaires du 17 novembre 2001 les minorités nationales du Kosovo, à savoir les Roms, les Bosniaques, les Turcs et autres se sont vues attribuer quelques sièges leur assurant une représentation au sein du parlement du Kosovo. Ainsi une persécution systématique de minorités ethniques est actuellement à exclure.

En ce qui concerne la situation plus précise des goranais, même à supposer que vous appartenez à cette ethnie, il ressort qu’actuellement ceux-ci ont, non seulement le droit de vote, mais encore accès à l’enseignement, aux soins de santé et aux avantages sociaux, ce qui fait qu’une discrimination à leur égard ne saurait pas être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève. Enfin, il est très improbable qu’en tant que goranais, vous n’ayez pas des connaissances de langue albanaise.

Enfin, il ne ressort pas du dossier qu’il vous aurait été impossible de vous installer au Monténégro ou en Serbie pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par lettre du 19 mars 2003, réceptionnée le 21 mars 2003, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 24 février 2003.

Par décision du 4 avril 2003, notifiée le 7 avril 2003, le ministre confirma sa décision négative antérieure.

A l’encontre de ladite décision ministérielle du 4 avril 2003, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, par requête déposée le 5 mai 2003.

Etant donné que l’article 12 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise, qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de la commune de Dragas au Kosovo, de confession musulmane, qu’il appartiendrait à la minorité ethnique des « Goranais » dont la situation au Kosovo serait extrêmement difficile dans la mesure où ses membres n’auraient qu’une liberté de mouvement réduite et qu’ils feraient l’objet de discriminations tant au niveau économique que social, malgré la présence d’une force armée internationale mais qui ne serait pas en mesure de leur venir en aide. Quant à sa situation personnelle, le demandeur fait état de ce qu’il aurait fait l’objet de menaces de la part de membres de la communauté albanaise qui auraient emménagé de force dans l’appartement de son père avec lequel il habitait et qui l’auraient menacé de mort pour l’hypothèse où il tenterait de reprendre possession dudit appartement.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures non contentieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques ne sauraient être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’offrir une protection suffisante contre ces actes, ce défaut de protection devant être mis suffisamment en évidence par le demandeur d’asile.

En l’espèce, à travers son recours contentieux, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de subir des persécutions de la part d’un groupe de personnes qui auraient pris possession de l’appartement de son père. Force est de constater que les craintes ainsi exprimées par le demandeur s’analysent en substance en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que le demandeur n’a pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre public en place ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant. Pour le surplus, il échet de constater que les faits dont fait état le demandeur ont trait à des comportements qui ne sont, en tant que tels, pas visés par la Convention de Genève.

Le demandeur fait encore état de sa crainte de subir des persécutions de la part des Albanais du Kosovo en raison de son appartenance à la minorité des « Goranais ». Force est de constater à cet égard que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des « Goranais », est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre de cette minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Il convient en outre de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ.

En ce qui concerne cette situation actuelle en l’espèce, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

En l’espèce, le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit une crainte personnelle de persécution, voire une incapacité des autorités en place d’assurer sa protection, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation au Kosovo, et que le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, notamment au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour le demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoirie, est indifférent. En effet, comme le demandeur a pris position par écrit par le fait de déposer sa requête introductive d’instance, le jugement est réputé contradictoire entre parties.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 13 octobre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16378
Date de la décision : 13/10/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-10-13;16378 ?

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