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13/10/2003 | LUXEMBOURG | N°16369

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 octobre 2003, 16369


Numéro 16369 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2003 Audience publique du 13 octobre 2003 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16369 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour

, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à ...

Numéro 16369 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2003 Audience publique du 13 octobre 2003 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16369 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2003 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Obilic (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Fushe (Kosovo), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 18 février 2003, notifiée en date du même jour, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 31 mars 2003, rendue à la suite de l’introduction d’un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juillet 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 3 septembre 2002, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 8 janvier 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux …-… par lettre du 18 février 2003, notifiée le même jour, que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Monsieur, vous déclarez que vous auriez quitté le Kosovo pour des raisons d’insécurité. Selon vos dires l’UCK serait venue à deux reprises en 1998 à votre domicile pour vous recruter, mais vous auriez à chaque fois refusé. Dans la même année une délégation de médecins venant de Belgrade comprenant également votre cousin, serait venue en visite au centre médical dans lequel vous auriez travaillé. A l’occasion de cette visite votre cousin aurait demandé à vous voir et depuis ce jour là, vous auriez eu des problèmes.

En septembre 2000, de retour de Belgique, où vous avez séjourné du 30 avril 1999 au 25 juillet 2000, vous auriez été attaqué par deux personnes masquées qui auraient arrêté un taxi dans lequel vous vous trouviez. Elles auraient dit que ce serait vous qu’elle recherchaient. Vous auriez été frappé jusqu’à perdre connaissance. Vous pensez que vous auriez été attaqué parce que vous auriez refusé de joindre les rangs de l’UCK et parce que vous auriez rencontré la délégation sus-mentionnée. Vous précisez également que vous n’auriez pas pu reprendre votre travail d’avant la guerre. La raison officielle de cette décision serait motivée par le fait que votre demande de réembauche aurait été posée après délai, du fait que vous seriez retourné trop tard au Kosovo. Vous pensez qu’on n’aurait plus voulu vous réembaucher parce que vous auriez continué à travailler jusqu’à la guerre.

Après l’attaque de septembre 2000 vous vous seriez installés à Fushe. Vous dites y avoir reçu des menaces par téléphone et avoir eu droit à des remarques.

Enfin, vous admettez également avoir quitté le Kosovo pour des raisons économiques et parce que votre fils aurait des problèmes de santé.

Madame, il résulte de vos déclarations que vous auriez principalement quitté le Kosovo parce que votre mari aurait été attaqué en septembre 2000. Vous ne faites pas état de persécutions personnelles. Vous ajoutez que vous n’auriez pas pu intégrer votre travail de retour au Kosovo, parce que vous auriez continué à travailler jusqu’à la guerre. On vous accuserait d’une sorte de collaboration avec les serbes. Vous n’auriez pas trouvé d’autre emploi à cause de la limite d’âge imposée à chaque concours d’infirmier. A Fushe vous auriez eu des menaces et des insultes par téléphone.

Vous admettez avoir quitté le Kosovo également pour des raisons économiques.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, à tous les deux, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécutés dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. L’agression physique de Monsieur ne peut justifier une demande en obtention du statut de réfugié car elle est trop éloignée dans le temps. En plus, par après vous vous êtes installés à Fushe. Les menaces et les insultes reçues à Fushe ne sauraient suffire pour fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique. A cela s’ajoute que vous n’êtes pas en mesure de prouver que votre refus de réembauche soit motivé par un quelconque arrière fond politique ou ethnique. Vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Il faut également noter que les personnes qui ont attaqué Monsieur ne sauraient être considérées comme agents de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, même à supposer votre crainte fondée, il ne ressort pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de bénéficier de la protection des forces onusiennes voire de bénéficier d’une possibilité de fuite interne dans une autre partie du Kosovo.

La situation économique actuelle du Kosovo, ainsi que le fait que vous n’auriez pas de travail ne constituent pas un acte de persécution, car ils ne rentrent pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951. Il en va de même pour les raisons médicales que vous avez indiquées.

Il faut également souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par courrier de leur mandataire du 19 mars 2003, les époux …-… firent introduirent un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 18 février 2003.

Celle-ci a été confirmée par une décision du même ministre du 31 mars 2003, notifiée le 2 avril 2003.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2003, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, ont fait déposer un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles précitées des 18 février et 31 mars 2003.

L’article 12 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils sont de confession musulmane, et qu’ils résidaient dans la ville de Fushe, après avoir séjourné en Belgique pendant la période du 30 avril 1999 au 25 juillet 2000. Monsieur … expose plus particulièrement qu’il aurait travaillé dans un centre médical qui aurait reçu la visite d’une délégation de médecins et de représentants de Belgrade au courant de l’année 1998, représentation dans laquelle figurait son cousin. En raison de cette visite, les Albanais du Kosovo lui reprocheraient à l’heure actuelle de collaborer avec les Serbes, d’autant plus qu’il aurait refusé d’intégrer les forces armées de l’UCK au moment du conflit armé dans la province du Kosovo. Monsieur … relate encore qu’après son retour au Kosovo, et plus précisément en date du 22 septembre 2000, deux personnes auraient arrêté le taxi dans lequel il se trouvait en lui disant « c’est toi qu’on recherche », et l’auraient frappé, tout en lui mettant dans sa poche une lettre d’avertissement avec des menaces de mort. Pour le surplus, les demandeurs exposent que leur maison aurait été détruite lors de la guerre, qu’ils auraient perdu leurs emplois respectifs, à savoir Monsieur … son emploi comme technicien médical au centre médical à Obilic et Madame … son poste d’infirmière.

Finalement, les demandeurs ajoutent avoir régulièrement subis des menaces par téléphone, de sorte qu’ils se seraient résignés à quitter leur pays d’origine.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, v° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, de sorte qu’il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s). Il y a lieu d’ajouter dans ce contexte, qu’une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce, les demandeurs font essentiellement état de craintes de voir commettre des actes de violence à leur encontre de la part des Albanais, mais ils ne démontrent point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo, étant entendu que le seul fait concret, à savoir l’agression de Monsieur … en date du 22 septembre 2000 n’est pas de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place.

Pour le surplus, s’il est vrai qu’une persécution peut être établie sur base de la cessation involontaire d’une relation de travail de la part d’un salarié, il n’en demeure pas moins que ce fait à lui seul ne saurait justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique, étant donné que le demandeur d’asile devra établir des circonstances particulières à analyser au cas par cas, permettant à l’autorité compétente et, le cas échéant, aux juridictions administratives, d’apprécier si, au-delà de son allégation quant à son appartenance à une certaine communauté religieuse, il existe des éléments précis, cohérents et crédibles qui rendent une persécution ou une crainte de persécution vraisemblable dans son chef (cf. trib. adm. 25 juin 2001, n° 12774 du rôle, confirmé par Cour adm. 15 novembre 2001, n° 13781C du rôle, Pas. adm 2002, V° Etrangers, n° 70).

S’y ajoute que les craintes exprimées par les demandeurs suite aux prétendues menaces téléphoniques à leur encontre se cristallisent essentiellement autour d’un endroit précis et que les demandeurs restent en défaut d’établir qu’ils ne peuvent trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de leur pays d’origine, soit au Kosovo ou au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale (cf. trib. adm. 12 mars 2003, n° 16010, non encore publié).

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 13 octobre 2003 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 16369
Date de la décision : 13/10/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-10-13;16369 ?

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