La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/10/2003 | LUXEMBOURG | N°16291

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 octobre 2003, 16291


Numéro 16291 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 avril 2003 Audience publique du 13 octobre 2003 Recours formé par les époux … et … et consorts, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16291 du rôle, déposée le 16 avril 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kosovo), et de son épouse, Madame â

€¦, née le… , accompagnés de leurs enfants mineurs … et … …, tous de nationalité yougoslave, ...

Numéro 16291 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 avril 2003 Audience publique du 13 octobre 2003 Recours formé par les époux … et … et consorts, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 16291 du rôle, déposée le 16 avril 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kosovo), et de son épouse, Madame …, née le… , accompagnés de leurs enfants mineurs … et … …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 11 décembre 2002, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 13 mars 2003 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 octobre 2003.

Le 11 novembre 2002, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame …, accompagnée de ses enfants mineurs … et … …, introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié en date du 3 décembre 2002.

Ils furent entendus le 11 novembre 2002, respectivement le 3 décembre 2002 par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux …-… furent entendus séparément en date du 5 décembre 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 11 décembre 2002, leur notifiée le 5 février 2003, le ministre de la Justice informa la famille …-… de ce que leur demande avait été refusée comme non fondée au motif qu’ils n’invoqueraient aucune crainte justifiée de persécution en raison de leurs opinions politiques, de leur race, de leur religion, de leur nationalité ou de leur appartenance à un certain groupe social.

Par courrier de leur mandataire du 5 mars 2003, la famille …-… fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision de refus. Par décision du 13 mars 2003, le ministre de la Justice confirma sa décision du 11 décembre 2002.

Le 16 avril 2003, la famille …-… a fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours en réformation contre les deux décisions ministérielles de refus datées des 11 décembre 2002 et 13 mars 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour analyser le recours introduit. Le recours en réformation ayant été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, il et recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs, originaires du Kosovo et appartenant à la minorité goranaise, exposent que leur fuite serait motivée par les mauvais traitements subis de la part de la majorité albanaise en raison de leur appartenance à la minorité goranaise. Ils font valoir que leur commerce de Kebab n’aurait pas marché parce qu’ils auraient été tout le temps maltraité par les Albanais et qu’enfin ils auraient fini par louer le local à quelqu’un d’autre. Ils ajoutent que depuis la fin de la guerre, des Goranais auraient été tué au Kosovo et qu’ils craignaient qu’un jour une bombe tombe sur leur maison. En ce qui concerne plus particulièrement Madame …, elle fait valoir qu’elle n’aurait pas pu se faire soigner et qu’elle aurait dû arrêter ses études car « il arrive toujours des choses, comme des viols etc ». Elle fait encore état d’un événement lors duquel on aurait refusé de la soigner au Kosovo au moment de l’accouchement de son fils, de sorte qu’elle aurait dû se rendre à Belgrade où son fils est né le 6 juin 1999. Ils concluent que leur situation serait devenue invivable, notamment du fait qu’il leur serait impossible de cacher leurs origines goranaises puisqu’ils ne parlent pas la langue albanaise. Ils demandent finalement d’écarter l’argumentation tenue par le ministère de la Justice par adoption pure et simple de la motivation retenue par le tribunal administratif dans un jugement du 2 avril 2003 enrôlé sous le numéro 15322.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant la crainte exprimée par les demandeurs d’actes de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité goranaise, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Goranais, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs risquent de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant la version actualisée du rapport de l’UNHCR datant de janvier 2003 sur la situation des minorités au Kosovo, la situation de sécurité générale des Goranais est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« the overall security situation of Kosovo Gorani has remained stable with no direct attacks during the reviewing period »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué de s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des Goranais au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

Face à l’évolution positive ainsi tracée de la situation de la minorité goranaise, les éléments invoqués par les demandeurs et se situant en partie avant la période visée par le prédit rapport ne peuvent plus être considérés comme fondant une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne des événements ayant eu lieu dans un passé plus récent, force est de constater que les demandeurs ne font état d’aucun événement précis et concret permettant au tribunal de retenir une crainte de persécution dans leur chef.

Enfin, en ce qui concerne la jurisprudence (jugement du tribunal administratif du 2 avril 2003, n° 15322 du rôle) invoquée par les demandeurs, il échet de constater qu’elle reste sans pertinence par rapport à la présente affaire pour avoir trait à un demandeur d’asile appartenant à la minorité des Roms.

La situation des Roms au Kosovo n’est pas en tant que telle comparable à celle des Goranais au Kosovo. En effet l’UNHCR, tout en analysant la situation de l’ensemble des minorités au Kosovo retient seulement pour certaines d’entre elles dont les Roms que leur sécurité n’est pas garantie au Kosovo et qu’ils devraient bénéficier d’une protection dans les pays d’accueil, de sorte que les conclusions afférentes ne sauraient être transposées directement à la minorité des Goranais.

De tout ce qui précède, il résulte que les craintes dont les demandeurs font état s’analysent en substance en un sentiment général d’insécurité lequel ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 octobre 2003 par :

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16291
Date de la décision : 13/10/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-10-13;16291 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award