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13/10/2003 | LUXEMBOURG | N°11417

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 octobre 2003, 11417


Tribunal administratif N° 11417 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juillet 1999 Audience publique du 13 octobre 2003

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Recours formé par la société anonyme … S.A., … contre 1) une délibération du conseil communal de Mersch, 2) un arrêté du ministre de l’Environnement et 3) une décision du ministre de l’Intérieur en matière de plan d’aménagement général

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro

11417C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative en date du 27 juillet 1999 par Maître André H...

Tribunal administratif N° 11417 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juillet 1999 Audience publique du 13 octobre 2003

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Recours formé par la société anonyme … S.A., … contre 1) une délibération du conseil communal de Mersch, 2) un arrêté du ministre de l’Environnement et 3) une décision du ministre de l’Intérieur en matière de plan d’aménagement général

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 11417C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative en date du 27 juillet 1999 par Maître André HARPES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … S.A., établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonction, tendant à l’annulation 1.) de la décision du ministre de l’Intérieur du 2 avril 1999 approuvant la décision du conseil communal de Mersch du 29 janvier 1997 portant adoption définitive du plan d’aménagement général, parties graphique et écrite, et refusant de faire droit à sa réclamation présentée et portant sur un terrain sis à Mersch, au lieu-dit « … », et y référencé sous le numéro … de la délibération du conseil communal de Mersch du 29 janvier 1997, ainsi que .. d’un arrêté du ministre de l’Environnement du 20 novembre 1998 approuvant ladite délibération du conseil communal de Mersch ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Michelle THILL, demeurant à Luxembourg, du 23 juillet 1999, portant signification de ce recours à l’administration communale de Mersch ;

Vu l’article 71 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives portant transmission au tribunal administratif sans autre forme de procédure du recours inscrit sous le numéro 11417C du rôle, y inscrit dorénavant sous le numéro 11417 du rôle ;

Vu les ordonnances et jugement du tribunal administratif des 27 septembre et 15 novembre 1999 constatant le maintien du recours au rôle et l’application des règles de procédure prévues par la loi du 21 juin 1999, précitée, conformément à son article 70 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 30 décembre 1999 par Maître Georges PIERRET, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de Mersch ;

Vu la notification de ce mémoire en réponse au mandataire de la partie demanderesse par voie de télécopie en date du 28 décembre 1999 ;

Vu l’ordonnance du vice-président du tribunal administratif du 26 janvier 2000 accordant une prorogation du délai légal jusqu’au 29 février 2000 pour déposer le mémoire en réponse pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 7 février 2000 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2000 par Maître André HARPES au nom de la demanderesse ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Pierre KREMMER, demeurant à Luxembourg, du 3 mars 2000, portant signification de ce mémoire à l’administration communale de Mersch ;

Vu la rupture du délibéré du 14 février 2001 portant fixation d’une visite des lieux au 13 mars 2001 ;

Vu la visite des lieux à laquelle le tribunal a procédé en date du 13 mars 2001 ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 10 mars 2003 par Maître André HARPES au nom de la demanderesse ;

Vu la notification de ce mémoire supplémentaire à l’administration communale de Mersch en son domicile élu par voie de télécopie en date du 7 mars 2003 ;

Vu le mémoire supplémentaire, intitulé « mémoire en réponse », déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2003 par Maître Georges PIERRET pour compte de l’administration communale de Mersch ;

Vu la notification de ce mémoire supplémentaire au mandataire de la partie demanderesse par voie de télécopie en date du 8 mai 2003 ;

Vu le mémoire complémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 juin 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maîtres Zineb BENKIRANE, en remplacement de Maître André HARPES, et Jamila KHELILI, en remplacement de Maître Georges PIERRET, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Suite aux inondations du début des années 1990, le Gouvernement en conseil décida en date du 27 mai 1994 d’arrêter un plan partiel « zones inondables et zones de rétention » pour l’ensemble du pays sur base de la loi du 20 mars 1974 concernant l’aménagement général du territoire.

A la suite de cette initiative, le conseil communal de Mersch décida le 20 juillet 1994 de procéder à une mise à jour des parties graphique et écrite du plan d’aménagement général de la commune de Mersch, ci-après dénommé « le PAG ».

Après avis du 21 juillet 1995 de la commission d’aménagement instituée auprès du ministère de l’Intérieur, le conseil communal de Mersch, par délibération du 28 juillet 1995, statuant avec 6 voix pour et 4 voix contre, décida d’approuver provisoirement les parties graphique et écrite du nouveau PAG.

Par courrier recommandé du 14 septembre 1995, la société anonyme … S.A., ci-après dénommée « la société … », réclama par l’intermédiaire de Maître André HARPES contre le reclassement hors périmètre de son terrain, sis au lieu-dit « … », inscrit au cadastre de la Commune de Mersch, sous le numéro …, reclassement qui ferait que le terrain « subira une servitude non aedificandi au seul profit d’intérêts publics nouvellement introduits et au mépris total de droits acquis privés ».

Le 29 janvier 1997, ledit conseil communal, statuant dans le cadre des réclamations introduites contre la décision précitée du 28 juillet 1995, décida avec 6 voix pour et une voix contre de refuser la réclamation introduite par Maître André HARPES pour compte de la société ….

A la suite de cette décision, notifiée le 2 juin 1997, le mandataire de la société … s’adressa par courrier du 10 juin 1997 au ministre de l’Intérieur pour réclamer contre ladite approbation définitive du PAG, lettre de réclamation de la teneur suivante :

«Monsieur le Ministre, Je peux vous informer que la société anonyme … S.A. m’a chargée de formuler une réclamation à l’encontre de la décision du conseil communal de Mersch entrepris en date du 29 janvier 1997, notifiée par courrier du 2 juin 1997 et reçue le 3 juin dernier.

Je m’adresse à votre ministère à titre de la loi du 12 juin 1937 concernant l’aménagement des villes et autres agglomérations et à titre d’autorité de recours indiquée par l’administration communale de Mersch dans sa notification.

En date 14 septembre 1995 ma cliente a formulé une réclamation relative au terrain sis aux lieux dits « … » et portant le numéro cadastral ….

Cette réclamation n’a pas été retenue par le conseil communal.

Ce terrain anciennement classé « secteur d’habitation à densité faible » reste déclassé « zone de verdure ».

Le terrain, actuellement constructible, serait sous sa nouvelle classification soumis à une servitude non-aedificandi pour avoir comme seule et unique objet « la création d’ilôts de verdure, de parcs publics et de surfaces de jeux ainsi que la sauvegarde et la protection des sites et de garantir la séparation de deux zones dont le voisinage n’est pas compatible ».

Le reclassement de ce terrain privé fera qu’il subira une servitude non-aedificandi au seul profit d’intérêts publics nouvellement introduits au mépris total des droits privés préexistants.

A noter que sur le site en cause il y a une absence totale de zones dont le voisinage serait incompatible.

Pour les besoins en création d’ilôts de verdure, de parcs publics ou de surfaces de jeux, ma cliente formule toutes ses réserves.

En tout état de cause, il est constant que les besoins en terrain qu’engendrait l’existence des intérêts dont se prévaut en l’espèce le PAG projeté, ne sauraient jamais être à la charge exclusive d’un propriétaire privé qui devra renoncer à la légitime mise en valeur de sa propriété.

La reclassification de la propriété de … S.A. comportant une servitude non-aedificandi constitue une réelle rupture de l’égalité des administrés devant les charges de la collectivité.

Sous l’égide du PAG projeté, ma cliente serait privée de tous ses droits d’intérêt privé pour assurer une réservation de ses terres privées à des finalités d’intérêts publics, réservation qui profite à la seule collectivité au détriment des droit acquis de ma cliente.

La réservation de ses terres à des finalités d’intérêts exclusivement publics et le délaissements de ses droits d’intérêt privé serait pour ma cliente sans aucune contrepartie.

La collectivité entend se procurer une servitude nouvelle au moindre prix et aux frais de ma mandante.

Une telle procédure n’est pas légitime sous l’empire de notre Constitution qui protège le droit à la propriété privée.

A noter dans un même contexte qu’il a été révélé que l’administration communale de Mersch a installé sous la route de Gosseldange depuis un terrain juxtaposé à la propriété de ma mandante trois buses qui ont pour effet que les eaux stagnant sur la propriété communale se déversent sur les fonds de ma cliente. Cette construction a été entreprise en dehors de toute procédure administrative et en absence du consentement des propriétaires du terrain subissant le déversement des eaux depuis le terrain voisin en violation de toute règle du code civil dont notamment l’article 640.

Ma cliente doit exprimer ses doutes quant aux réelles intentions du conseil communal, alors que par les buses installées sans la moindre autorisation, l’administration communale se procure de façon illégale un déversoir en cas d’inondation, déversoir qui protège directement les constructions communales sises sur le terrain voisin de la propriété reclassé de ma mandante.

La présente réclamation comporte la demande à ce que la classification actuelle du terrain en « zone d’habitation de densité faible » soit maintenue.

A titre subsidiaire … S.A. se réserve tous les droits quant à une demande en indemnisation relative à sa perte économique à titre de la diminution extrême en valeur vénale de son terrain et à titre d’une perte de gain futur.

Je me tiens à votre entière disposition et j’espère que la réclamation fondée de ma cliente puisse trouver votre accord afin de maintenir, en absence de juste cause, l’ancienne classification. » Le 8 octobre 1997, le conseil communal de Mersch décida avec 6 voix pour, 3 voix contre et une abstention de maintenir sa décision du 29 janvier 1997 prise lors du vote définitif.

Dans son avis du 22 octobre 1998, la commission d’aménagement instituée auprès du ministre de l’Intérieur estima qu’il n’y avait pas lieu de faire droit à la réclamation de la société …, au motif que « les fonds en question ne sauraient être maintenus dans la zone d’habitation, alors qu’ils sont situés en zone inondable ».

Le 20 novembre 1998, le ministre de l’Environnement, statuant sur base des articles 2, 7 et 10 de la loi modifiée du 11 août 1982 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, approuva le PAG adopté définitivement le 29 janvier 1997, sous réserve notamment que certaines zones par lui énumérées restent classées en zone verte.

Par décision du 2 avril 1999, le ministre de l’Intérieur, rejetant, entre autres, la réclamation de la société …, approuva la délibération du « 29 janvier 1997 du conseil communal de Mersch portant adoption définitive du projet d’aménagement général, parties graphique et écrite ».

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative en date du 27 juillet 1999, la société … a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision du ministre de l’Intérieur du 2 avril 1999 portant approbation de la délibération du conseil communal de Mersch du 29 janvier 1997 relative à l’adoption définitive du PAG, de ladite décision du conseil communal de Mersch du 29 janvier 1997 et de l’arrêté du ministre de l’Environnement du 20 novembre 1998.

Concernant la compétence d’attribution du tribunal administratif, question que le tribunal est de prime abord appelé à examiner, il convient de relever que, d’une part, les décisions sur les projets d’aménagement, lesquels ont pour effet de régler par des dispositions générales et permanentes l’aménagement des terrains qu’ils concernent et le régime des constructions à y ériger, ont un caractère réglementaire et, d’autre part, la décision d’approbation du ministre de l’Intérieur, intervenue après réclamation de particuliers, comme c’est le cas en l’espèce, et celle du ministre de l’Environnement, participent au caractère réglementaire de l’acte approuvé (Cour adm. 10 juillet 1997, n° 9804C du rôle, Pas. adm.

2002, V° Actes réglementaires (recours contre les), n° 16 et autres références y citées).

Conformément à l’article 7 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, telle qu’applicable au moment de l’introduction du recours, « la Cour administrative statue encore sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les actes administratifs à caractère réglementaire, quelle que soit l’autorité dont ils émanent ».

Dans la mesure où à travers la motivation du recours, ce dernier vise à critiquer les dispositions de la partie graphique du plan d’aménagement général et qui comportent un effet direct sur la situation patrimoniale des propriétaires concernés, la Cour administrative était compétente, au jour de l’introduction du recours sous examen pour en connaître, cette compétence ayant été dévolue au tribunal administratif en vertu de l’article 71 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

L’affaire sous analyse n’ayant pas encore été instruite à la date de l’entrée en vigueur de ladite loi du 21 juin 1999, elle fut transmise en vertu de son article 71 au tribunal administratif sans autre forme de procédure pour y revêtir le numéro du rôle 11417.

Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit à l’encontre des décisions attaquées.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours pour autant qu’il est dirigé contre l’arrêté du ministre de l’Environnement du 20 novembre 1998 « comme étant tardif » et reproche encore à la demanderesse de solliciter l’annulation de ladite décision du ministre de l’Environnement, alors que « le recours ne contient aucun reproche concret à l’appui de la demande d’annulation ».

Le moyen d’irrecevabilité pour cause de tardiveté est cependant à écarter à défaut de preuve de la date exacte de notification de l’arrêté ministériel du 20 novembre 1998, étant donné que l’Etat n’a pas rapporté la preuve de la date de prise de connaissance par la demanderesse dudit arrêté du ministre de l’Environnement, qui pour le surplus ne contient aucune information quant aux voies de recours à exercer.

Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Il convient cependant de constater que la requête introductive ne contient effectivement aucun moyen d’annulation directement dirigé à l’encontre dudit arrêté du ministre de l’Environnement du 20 novembre 1998, de sorte que cette demande est à rejeter pour être non fondée.

Concernant la légalité interne des décisions attaquées, la société … soutient que :

- les décisions de reclassement du terrain en question se fonderaient sur des faits matériellement inexacts, étant donné que l’administration n’aurait pas vérifié si le terrain litigieux avait été inondé lors des grandes crues de 1992 et 1993, de sorte que la décision de reclassement serait intervenue sans motifs réels à l’appui respectivement reposerait sur une motivation abstraite ;

- l’autorité administrative en classant ledit terrain en zone non constructible aurait violé le principe de proportionnalité en matière administrative, étant donné qu’elle aurait pu, par d’autres moyens moins contraignants, satisfaire les objectifs contenus dans l’exposé des motifs du projet de règlement grand-ducal déclarant obligatoire le plan d’aménagement partiel “ zones inondables et zones de rétention ”, à savoir “ de limiter les dégâts causés par les crues et d’augmenter la capacité de rétention en amont des zones inondables ”, ceci en imposant par exemple des constructions sur poteaux ou pilotis n’entravant pas la circulation des eaux et évitant tous dégâts aux maisons à construire, possibilité qui aurait été envisagée par l’ancien conseil échevinal, tel que cela ressortirait d’un rapport du 23 avril 1991. La demanderesse estime en effet que le déclassement de son terrain reviendrait à faire supporter, au nom de l’intérêt général, une charge particulière à un seul membre de la collectivité qui, du fait de cette mesure administrative, aurait subi une dépréciation très considérable de son patrimoine, ce qui irait encore à l’encontre d’un des principes fondamentaux en droit administratif, à savoir le principe d’égalité devant les charges publiques ;

- l’administration aurait utilisé la procédure de la loi du 20 mars 1974 concernant l’aménagement général du territoire en vue d’imposer des interdictions de construire valant pour la période jusqu’à l’adoption définitive du PAG reprenant ces mêmes interdictions, cette manière de procéder s’analysant à ses yeux en un détournement de procédure devant conduire à l’annulation des décisions déférées.

L’administration communale de Mersch fait relever dans son mémoire en réponse que le recours est dirigé contre la décision d’approbation du ministre et que ce dernier a le pouvoir d’approuver ou de refuser l’approbation d’une délibération du conseil communal. Elle fait valoir que le pouvoir de tutelle du ministre l’obligerait à vérifier la conformité de la décision de l’autorité communale à la loi et à l’intérêt général. Elle estime qu’elle n’avait en vue que l’intérêt général consistant à veiller qu’ « un aménagement cohérent et valable soit garanti aux habitants de la commune de Mersch », et conclut en se rapportant « à la prudence du tribunal administratif quant à la régularité formelle de la décision ministérielle qui ne saurait en aucune façon contrarier la régularité formelle de la décision communale ».

Le délégué du gouvernement fait valoir que le fonds litigieux est situé en zone de verdure et zone inondable, ce qui constituerait de manière évidente un argument de classer ledit terrain en zone verte à l’extérieur du périmètre d’agglomération et qu’un reclassement ponctuel des fonds litigieux en zone d’habitation à densité faible serait contraire aux critères d’un urbanisme bien conçu et partant contraire à l’intérêt général. Concernant plus particulièrement la délimitation de la zone inondable fixée par le PAG, le représentant étatique relève que les autorités communales se sont basées sur le plan joint au projet de règlement grand-ducal établi par l’ancien ministère de l’Aménagement du Territoire, déposé à l’inspection du public à la commune de Mersch, avisé par le conseil communal de Mersch le 20 mars 1995 et soumis à l’avis du Conseil d’Etat par le ministère de l’Aménagement du Territoire le 14 septembre 1998.

Il estime par ailleurs que le principe de proportionnalité qui s’impose en matière administrative n’aurait pas été violé en l’espèce, alors que le classement intervenu revêtirait un caractère réglementaire et serait applicable à tous les administrés se trouvant dans la même situation et concernés par la décision en question. De même, le principe de l’égalité devant la loi respectivement devant les charges publiques n’aurait pas été violé et des intérêts purement privés et étrangers à toute considération urbanistique ne pourraient être pris en compte. Dans ce contexte, il relève encore qu’en matière d’urbanisme d’éventuelles conséquences financières incombant à des particuliers devraient céder le pas à des considérations prises dans l’intérêt général afin de garantir la planification d’un urbanisme conçu selon les règles de l’art.

Finalement le représentant étatique estime que le reproche d’un détournement de procédure ne serait pas donné, étant donné que les législations régissant l’aménagement général du territoire et visant l’aménagement des communes seraient complémentaires, ce qui serait encore démontré par le fait que c’est uniquement le PAG qui a repris les zones inondables et non pas le règlement grand-ducal du 18 décembre 1998 intervenu à la suite du projet de règlement grand-ducal déclarant obligatoire la première partie du plan d’aménagement partiel « zones inondables et zones de rétention », précité.

Dans son mémoire en réplique, la société … souligne à nouveau qu’il y aurait eu violation de la loi pour absence de motifs, le conseil communal de Mersch n’ayant pas indiqué de motifs concernant la nécessité de procéder au reclassement du terrain lui appartenant, alors que la décision du 29 janvier 1997 énoncerait seulement des motifs valant pour l’ensemble des terrains ayant été reclassés. Elle insiste encore une fois que les pièces invoquées par l’administration ne prouveraient pas que le terrain litigieux était réellement couvert d’eau lors des inondations de janvier 1993 ou de décembre 1993 et estime pour le surplus que l’administration n’aurait pas en l’espèce envisagé d’opérer une conciliation entre les intérêts privés et l’intérêt public en faisant analyser notamment la possibilité de construction sur pilotis ou par recours à d’autres moyens techniques. Dans ce contexte, la demanderesse se base encore sur un relevé réalisé par le bureau d’études SCHROEDER & ASSOCIES pour soutenir que si le terrain litigieux a effectivement été inondé lors des grandes crues au début des années 1990, des mesures techniques, consistant à effectuer des remblais sur la partie constructible et des déblais pour stocker les eaux sur une parcelle adjacente, permettraient de remédier à ce risque d’inondation, d’autant plus qu’avec les mesures de renaturation prises en amont de l’Alzette des crues d’une telle envergure ne se reproduiront plus, de sorte que les décisions attaquées auraient été prises sur base de données inexactes respectivement la mesure de reclassement pur et simple serait à considérer comme disproportionnée par rapport au but recherché.

Dans son mémoire complémentaire, le délégué du gouvernement soutient que le terrain litigieux aurait connu des inondations lors des crues de janvier 1993, décembre 1993, janvier 1995 et janvier 2003 et qu’il serait dès lors prématuré de considérer les mesures de renaturation comme effectives. Pour le surplus, le représentant étatique estime que s’il est compréhensible qu’un promoteur serait prêt à assumer le risque d’inondation dont il n’aurait pas à subir les conséquences, il n’en serait pas de même pour le ministre qui se refuserait à parier sur l’absence de tout risque en ce qui concerne des événements par définition imprévisibles. Finalement, il n’appartiendrait pas au ministre de l’Intérieur en tant qu’autorité de tutelle de réformer une délibération d’un conseil communal en proposant des mesures techniques au lieu d’un reclassement pur et simple, étant donné qu’il devrait se limiter à statuer sur la délibération du conseil communal par approbation ou refus pur et simple, la seule exception à ce principe étant prévu à l’article 9 de la loi du 12 juin 1937 donnant compétence au ministre pour vider des réclamations au cas où il les estime justifiées et le cas échéant prendre une décision modificative de la délibération communale qui a refusé de faire droit aux objections qui avaient le même objet que les réclamations lui adressées. Or, en l’espèce la société …, dans le cadre de sa réclamation du 10 juin 1997, n’aurait pas proposé l’adoption de mesures techniques permettant envers et contre tout de construire sur le terrain en question, mais aurait uniquement sollicité le maintien du terrain en zone d’habitation, de sorte qu’il n’aurait pas appartenu au ministre d’élaborer et de prévoir des mesures techniques précises permettant des « constructions sur pilotis ou autres moyens techniques » et de les imposer aux autorités communales.

Il est constant que suite à la modification du PAG, la parcelle litigieuse de la société …, située dans une zone dite « zone d’habitation de faible densité », fut classée, lors du vote définitif par le conseil communal, en « zone de verdure », c’est-à-dire « hors périmètre ».

La société … soutient en substance que ni le conseil communal ni le ministre, qui aurait entériné les conclusions du conseil communal, n’auraient valablement motivé leurs décisions de reclasser ladite parcelle, ce qui équivaudrait à une absence de motivation entraînant que ni la demanderesse ni le tribunal ne sauraient vérifier l’exactitude et la validité des motifs en question par rapport aux dispositions légales et réglementaires applicables.

Tout acte administratif doit reposer sur un motif dont le juge administratif vérifie tant l’existence que la légalité. Cette exigence découle du fait que le juge administratif a l’obligation de vérifier si les autorités administratives compétentes n’ont pas violé la loi, commis un excès de pouvoir ou un détournement de pouvoir. Cette obligation de motivation existe également pour les actes à caractère réglementaire qui, quoique discrétionnaires, doivent être pris dans l’intérêt général, de sorte qu’il importe que les autorités administratives compétentes fassent connaître le ou les motifs qui les ont guidés dans leur décision.

En l’espèce, le tribunal constate que les décisions prises respectivement par le conseil communal et le ministre de l’Intérieur indiquent que « les fonds en question ne sauraient être maintenus en zone d’habitation, alors qu’ils sont situés en zone inondable ».

Le reproche d’une absence de motivation est donc à rejeter, dès lors qu’il existe un motif tiré du risque d’inondations sur le terrain en question.

L’existence de motifs ayant été vérifiée, il convient encore d’examiner si les faits à la base du reclassement effectué sont vérifiés en l’espèce.

La mutabilité des plans d’aménagement généraux relève de leur essence même, consistant à répondre à des contraintes variables à travers le temps concernant à la fois les aspects urbanistiques de l’aménagement des agglomérations et le volet politique de la vie en commun sur le territoire donné. Il en découle que les parties intéressées, dont les propriétaires d’immeubles, n’ont pas un droit acquis au maintien d’une réglementation communale d’urbanisme donnée, étant entendu que les changements à y apporter ne sauraient s’effectuer de manière arbitraire, mais, appelés à résulter de considérations d’ordre urbanistique et politique pertinentes répondant à une finalité d’intérêt général, ils sont à opérer suivant la procédure prévue par la loi comportant la participation de tous les intéressés (cf. trib adm. 7 mars 2001, n° 12233 du rôle, confirmé par Cour adm. 20 décembre 2001, Pas. adm. 2002, V° Urbanisme, n° 46 et autres références y citées).

Même si à l’intérieur du périmètre d’agglomération le changement opéré d’un plan d’aménagement général à l’autre, notamment par l’enlèvement d’un terrain sis dans une zone constructible, fût-elle de forte, de moyenne ou de faible densité, pour l’inclure dans une zone en principe non constructible, est en principe admissible, un changement de ce type ne doit cependant pas s’opérer de manière arbitraire, mais doit résulter de considérations d’ordre urbanistique précises et circonstanciées (cf. trib adm. 20 décembre 2000, n° 11581 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Urbanisme, n° 48).

Il convient dès lors d’examiner en l’espèce si les motifs invoqués peuvent légalement justifier le changement de classement opéré ayant consisté à sortir un terrain d’une zone constructible pour l’inclure dans une zone non constructible, étant entendu que la mission du juge de la légalité conférée au tribunal à travers l’article 7 de la loi précitée du 7 novembre 1996 exclut le contrôle des considérations d’opportunité et notamment d’ordre politique, à la base de l’acte administratif attaqué et inclut la vérification, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, de ce que les faits et considérations sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute (cf. trib. adm. 7 mars 2001, n° 12282 du rôle, confirmé par Cour adm. 23 octobre 2001, n° 13319C, Pas. adm. 2002, V° Urbanisme, n° 9).

Dans cette démarche de vérification des faits et des motifs à la base de l’acte déféré, le tribunal est encore amené à analyser si la mesure prise est proportionnelle par rapport aux faits dont l’existence est vérifiée, une erreur d’appréciation étant susceptible d’être sanctionnée, dans la mesure où elle est manifeste, au cas notamment où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité (cf. Cour adm. 21 mars 2002, n° 14261C du rôle, Pas. adm. 2002, V° Recours en annulation, n° 10).

Compte tenu de la mutabilité intrinsèque des situations générales, due aux changements de circonstances de fait et de droit, les actes réglementaires ne créent, en principe, que des droits précaires et maintiennent dans le chef de l’autorité administrative, le pouvoir soit de changer soit d’abroger un acte réglementaire, en faisant usage des pouvoirs qui lui sont conférés dans l’exercice de sa mission. Dans cette optique, l’invocation de l’intérêt général motivé par un soucis d’éviter des inondations peut justifier des changements dans les parties graphique et écrite d’un plan d’aménagement général.

En l’espèce, il est constant que le terrain litigieux, à savoir la parcelle portant le numéro cadastral …, qui a été classée en « zone hors périmètre » est régulièrement inondé lors de grandes crues.

Ce motif, partant susceptible de justifier les décisions déférées, n’est pas contredit par la société …, qui n’apporte aucun élément qui prouverait que l’administration, en changeant la partie graphique du plan d’aménagement général, aurait agi dans un but autre que l’intérêt général ou qu’elle avait un motif autre que la protection contre des inondations. Par ailleurs, la parcelle faisant l’objet du présent litige, loin d’être soumise à une charge particulière imposée à un seul membre de la collectivité, fait partie d’un projet d’ensemble cohérent visant plusieurs parcelles non construites de la Commune de Mersch, qui ont également été soumises au même régime urbanistique.

Il s’ensuit que la société … n’a pas rapporté la preuve que le changement de certaines dispositions du plan d’aménagement général aurait été effectué dans un but autre que l’intérêt général. Dans ce contexte, c’est encore à juste titre que le délégué du gouvernement a estimé dans son mémoire complémentaire qu’il n’appartient pas au ministre de l’Intérieur, tant en sa qualité d’autorité de tutelle que sur base de l’article 9 de la loi du 12 juin 1937, de réformer une délibération d’un conseil communal en imposant des mesures techniques, son rôle devant se limiter à statuer par approbation pure et simple, d’autant plus que dans le cadre de sa réclamation du 10 juin 1997, la demanderesse n’avait proposé aucune solution technique pour parer à ce risque d’inondations. En effet, il appartient au ministre de l’Intérieur, en tant qu’autorité de tutelle, de veiller à ce que les décisions de l’autorité communale ne violent aucune règle de droit et ne heurtent pas l’intérêt général. Le droit d’approuver la décision du conseil communal a comme corollaire celui de ne pas approuver cette décision. Cette approbation implique nécessairement l’examen du dossier et comporte l’appréciation du ministre sur la régularité de la procédure et des propositions du conseil communal, ainsi que sur les modifications de la partie graphique et écrite des plans (cf. Cour adm. 17 juin 1997, n° 9481C du rôle, Pas. adm. 2002, V° Tutelle administrative, I. Pouvoirs et obligations de l’autorité de tutelle, n° 1, p. 552 et autres références y citées).

Il est vrai que la tutelle n’autorise pas, en principe, l’autorité supérieure à s’immiscer dans la gestion du service décentralisé et à substituer sa propre décision à celles des agents du service (Buttgenbach A., Manuel de droit administratif, 1954, p. 117, n° 149), ce principe découlant de la nature même de la tutelle qui est une action exercée par un pouvoir sur un autre pouvoir, non pas en vue de se substituer à lui, mais dans le seul but de le maintenir dans les limites de la légalité et d’assurer la conformité de son action aux exigences de l’intérêt général.

Concernant finalement le moyen tiré d’un détournement de procédure allégué, formulé par la demanderesse, force est de constater que le moyen ainsi avancé s’analyse en substance en un reproche adressé non pas aux auteurs des décisions déférées, mais aux auteurs du projet de règlement grand-ducal déclarant obligatoire le plan d’aménagement partiel “ zones inondables et zones de rétentions ” couvrant le territoire de la commune de Mersch, en ce qu’ils auraient eu recours à cette procédure uniquement en vue d’imposer les interdictions de construire valant pour la période s’étendant jusqu’à l’adoption définitive du nouveau plan d’aménagement général de la commune.

Il s’ensuit que le tribunal, statuant sur des décisions intervenues dans le cadre de la procédure prévue par la loi modifiée du 12 juin 1937 concernant l’aménagement des villes et autres agglomérations importantes, n’est pas en mesure de se prononcer sur ledit moyen sous peine de statuer ultra petita.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président Mme Lenert, premier juge M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 13 octobre 2003 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 12


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11417
Date de la décision : 13/10/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-10-13;11417 ?

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