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13/10/2003 | LUXEMBOURG | N°11416

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 octobre 2003, 11416


Tribunal administratif N° 11416 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juillet 1999 Audience publique du 13 octobre 2003

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Recours formé par la société … s.à r.l., … contre 1) une délibération du conseil communal de Mersch, 2) un arrêté du ministre de l’Environnement et 3) une décision du ministre de l’Intérieur en matière de plan d’aménagement général

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 11

416C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative en date du 27 juillet 1999 par Maître André HARPE...

Tribunal administratif N° 11416 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juillet 1999 Audience publique du 13 octobre 2003

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Recours formé par la société … s.à r.l., … contre 1) une délibération du conseil communal de Mersch, 2) un arrêté du ministre de l’Environnement et 3) une décision du ministre de l’Intérieur en matière de plan d’aménagement général

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 11416C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative en date du 27 juillet 1999 par Maître André HARPES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée … s.à r.l., établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonction, tendant à l’annulation 1.) de la décision du ministre de l’Intérieur du 2 avril 1999 approuvant la décision du conseil communal de Mersch du 29 janvier 1997 portant adoption définitive du plan d’aménagement général, parties graphique et écrite, et refusant de faire droit à sa réclamation portant sur un terrain sis à …, au lieu-dit « … », et y référencé sous le numéro cadastral …, 2.) de la délibération du conseil communal de Mersch du 29 janvier 1997, ainsi que 3.) d’un arrêté du ministre de l’Environnement du 20 novembre 1998 approuvant ladite délibération du conseil communal de Mersch ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Michelle THILL, demeurant à Luxembourg, du 23 juillet 1999, portant signification de ce recours à l’administration communale de Mersch ;

Vu l’article 71 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives portant transmission au tribunal administratif, sans autre forme de procédure, du recours inscrit sous le numéro 11416C du rôle, y inscrit dorénavant sous le numéro 11416 du rôle ;

Vu les ordonnances et jugement du tribunal administratif des 27 septembre et 15 novembre 1999 constatant le maintien du recours au rôle et l’application des règles de procédure prévues par la loi du 21 juin 1999, précitée, conformément à son article 70 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 30 décembre 1999 par Maître Georges PIERRET, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de Mersch ;

Vu la notification de ce mémoire en réponse au mandataire de la partie demanderesse par voie de télécopie en date du 28 décembre 1999 ;

Vu l’ordonnance du vice-président du tribunal administratif du 26 janvier 2000 accordant une prorogation du délai légal jusqu’au 29 février 2000 pour déposer le mémoire en réponse pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 18 février 2000 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2000 par Maître André HARPES au nom de la demanderesse ;

Vu la notification de ce mémoire en réplique à l’administration communale de Mersch en son domicile élu par voie de télécopie en date du même jour ;

Vu la rupture du délibéré du 14 février 2001 portant fixation d’une visite des lieux au 13 mars 2001 ;

Vu la visite des lieux à laquelle le tribunal a procédé en date du 13 mars 2001 ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 10 mars 2003 par Maître André HARPES au nom de la demanderesse ;

Vu la notification de ce mémoire supplémentaire à l’administration communale de Mersch en son domicile élu par voie de télécopie en date du même jour ;

Vu le mémoire supplémentaire, intitulé « mémoire en réponse », déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2003 par Maître Georges PIERRET pour compte de l’administration communale de Mersch ;

Vu la notification de ce mémoire supplémentaire au mandataire de la partie demanderesse par voie de télécopie en date du 8 mai 2003 ;

Vu le mémoire complémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 juin 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maîtres Zineb BENKIRANE, en remplacement de Maître André HARPES, et Jamila KHELILI, en remplacement de Maître Georges PIERRET, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Suite aux inondations du début des années 1990, le Gouvernement en conseil décida en date du 27 mai 1994 d’arrêter un plan partiel « zones inondables et zones de rétention » pour l’ensemble du pays sur base de la loi du 20 mars 1974 concernant l’aménagement général du territoire.

A la suite de cette initiative, le conseil communal de Mersch décida le 20 juillet 1994 de procéder à une mise à jour des parties graphique et écrite du plan d’aménagement général de la commune de Mersch, ci-après dénommé « le PAG ».

Après avis du 21 juillet 1995 de la commission d’aménagement instituée auprès du ministère de l’Intérieur, le conseil communal de Mersch, par délibération du 28 juillet 1995, statuant avec 6 voix pour et 4 voix contre, décida d’approuver provisoirement les parties graphique et écrite du nouveau PAG.

Le 29 janvier 1997, ledit conseil communal, statuant dans le cadre des réclamations introduites contre la décision précitée du 28 juillet 1995, décida avec 6 voix pour et 1 voix contre de refuser la réclamation introduite par Maître André HARPES, pour compte de la société à responsabilité limitée … s.à r.l, ci-après dénommée « la société … », réclamation par laquelle cette dernière s’était opposée à l’exclusion du périmètre de son terrain inscrit au cadastre de la commune de Mersch sous le nouveau numéro cadastral ….

A la suite de cette décision, notifiée le 2 juin 1997, le mandataire de la société … s’adressa par courrier du 10 juin 1997 au ministre de l’Intérieur pour réclamer contre ladite approbation définitive du PAG, lettre de réclamation de la teneur suivante :

« Monsieur le Ministre, Je peux vous informer que la société à responsabilité limitée SOCIETE IMMOBILIERE … s.à r.l. m’a chargée de formuler une réclamation à l’encontre de la décision du conseil communal de Mersch entreprise en date du 29 janvier 1997, notifiée par courrier du 2 juin 1997 et reçue le 3 juin dernier.

Je m’adresse à votre ministère au titre de la loi du 12 juin 1937 concernant l’aménagement des villes et autres agglomérations et à titre d’autorité de recours indiquée par l’administration communale de Mersch dans sa notification.

En date 14 septembre 1995 ma cliente a formulé une réclamation relative au terrain sis aux lieux dits « … » et portant les numéros cadastraux 336/251, 294/1432 et 33/1981.

Cette réclamation n’a pas été retenue par le conseil communal.

Ces terrains anciennement classés « secteur d’habitation à densité faible » restent déclassés « zone hors périmètre ».

La réduction du périmètre comportera pour ma cliente le sacrifice total de son investissement portant sur les terrains en cause qui ont été parfaitement constructibles dans leur intégralité.

La réduction du périmètre est sans juste cause, alors que les limites des inondations n’atteignent nullement ces terrains, et le conseil communal n’a pas exposé d’autre argument pouvant justifier ce déclassement délibéré.

La présente réclamation comporte la demande à ce que la classification actuelle du terrain en « zone d’habitation de densité faible » soit maintenue.

Cette révision du projet éviterait toute atteinte au patrimoine de ma cliente qui par le déclassement en-dehors de toute justification objectivement tenable devra subir une perte nette de son investissement.

Je me tiens à votre entière disposition et j’espère que la réclamation fondée de ma cliente puisse trouver votre accord afin de maintenir, en absence de juste cause, l’ancienne classification ».

Le 8 octobre 1997, le conseil communal de Mersch décida avec 6 voix pour, 3 voix contre et une abstention de maintenir sa décision du 29 janvier 1997 prise lors du vote définitif.

Dans son avis du 22 octobre 1998, la commission d’aménagement instituée auprès du ministre de l’Intérieur estima qu’il n’y avait pas lieu de faire droit à la réclamation de la société …, au motif que « le reclassement des fonds en question en zone verte s’impose, alors que les terrains sont situés en zone potentielle d’inondation. D’autre part, de par leur profondeur insuffisante, ils ne se prêtent pas à l’affectation à la construction ».

Le 20 novembre 1998, le ministre de l’Environnement, statuant sur base des articles 2, 7 et 10 de la loi modifiée du 11 août 1982 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, approuva le PAG adopté définitivement le 29 janvier 1997, sous réserve notamment que certaines zones par lui énumérées restent classées en zone verte.

Par décision du 2 avril 1999, le ministre de l’Intérieur, rejetant, entre autres, la réclamation de la société …, approuva la délibération du « 29 janvier 1997 du conseil communal de Mersch portant adoption définitive du projet d’aménagement général, parties graphique et écrite ».

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative en date du 27 juillet 1999, la société … a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision du ministre de l’Intérieur du 2 avril 1999 portant approbation de la délibération du conseil communal de Mersch du 29 janvier 1997 relative à l’adoption définitive du PAG, de ladite décision du conseil communal de Mersch du 29 janvier 1997 et de l’arrêté du ministre de l’Environnement du 20 novembre 1998.

Concernant la compétence d’attribution du tribunal administratif, question que le tribunal est de prime abord appelé à examiner, il convient de relever que, d’une part, les décisions sur les projets d’aménagement, lesquels ont pour effet de régler par des dispositions générales et permanentes l’aménagement des terrains qu’ils concernent et le régime des constructions à y ériger, ont un caractère réglementaire et, d’autre part, la décision d’approbation du ministre de l’Intérieur, intervenue après réclamation de particuliers, comme c’est le cas en l’espèce, et celle du ministre de l’Environnement, participent au caractère réglementaire de l’acte approuvé (Cour adm. 10 juillet 1997, n° 9804C du rôle, Pas. adm.

2002, V° Actes réglementaires (recours contre les), n° 16 et autres références y citées).

Conformément à l’article 7 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, telle qu’applicable au moment de l’introduction du recours, « la Cour administrative statue encore sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les actes administratifs à caractère réglementaire, quelle que soit l’autorité dont ils émanent ».

Dans la mesure où à travers la motivation du recours, ce dernier vise à critiquer les dispositions de la partie graphique du plan d’aménagement général et qui comportent un effet direct sur la situation patrimoniale des propriétaires concernés, la Cour administrative était compétente, au jour de l’introduction du recours sous examen pour en connaître, cette compétence ayant été dévolue au tribunal administratif en vertu de l’article 71 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

L’affaire sous analyse n’ayant pas encore été instruite à la date de l’entrée en vigueur de ladite loi du 21 juin 1999, elle fut transmise en vertu de son article 71 au tribunal administratif sans autre forme de procédure pour y revêtir le numéro du rôle 11416.

Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit à l’encontre des décisions attaquées.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement reproche à la demanderesse de solliciter l’annulation de la décision du ministre de l’Environnement du 20 novembre 1998, alors que « le recours ne contient aucun reproche concret à l’appui de la demande d’annulation de la décision du ministre de l’Environnement; cette demande est dès lors à rejeter comme n’étant pas fondée à supposer que le recours contre cette décision ne soit pas tardif, la décision ayant été prise le 20 novembre 1998 ».

Le moyen d’irrecevabilité pour cause de tardiveté est cependant à écarter à défaut de preuve de la date exacte de notification de l’arrêté ministériel du 20 novembre 1998 par les autorités communales, étant donné que l’Etat n’a pas rapporté la preuve de la date de prise de connaissance par la demanderesse dudit arrêté du ministre de l’Environnement, qui pour le surplus ne contient aucune information quant aux voies de recours à exercer.

Force est cependant de constater que la requête introductive ne contient effectivement aucun moyen d’annulation directement dirigé à l’encontre dudit arrêté du ministre de l’Environnement du 20 novembre 1998, de sorte que cette demande est à rejeter pour être non fondée.

Pour le surplus, le recours, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Concernant la légalité interne des décisions attaquées, la société … soutient que :

- les décisions de reclassement du terrain en question se fonderaient sur des faits matériellement inexacts, étant donné que le terrain litigieux ne se situerait pas en zone potentielle d’inondation, de sorte que la décision de reclassement serait intervenue sans motifs réels à l’appui ;

- l’autorité administrative en classant ledit terrain en zone non constructible aurait violé le principe de proportionnalité en matière administrative, étant donné qu’elle aurait pu, par d’autres moyens moins contraignants, satisfaire les objectifs contenus dans l’exposé des motifs du projet de règlement grand-ducal déclarant obligatoire le plan d’aménagement partiel « zones inondables et zones de rétention » , à savoir « de limiter les dégâts causés par les crues et d’augmenter la capacité de rétention en amont des zones inondables », ceci en imposant par exemple des constructions sur pilotis n’entravant pas la circulation des eaux et évitant tous dégâts aux maisons à construire. La demanderesse estime en effet que le déclassement de son terrain reviendrait à faire supporter, au nom de l’intérêt général, une charge particulière à un seul membre de la collectivité qui, du fait de cette mesure administrative, aurait subi une dépréciation très considérable de son patrimoine, ce qui irait encore à l’encontre d’un des principes fondamentaux en droit administratif à savoir le principe d’égalité devant les charges publiques ;

- l’administration aurait utilisé la procédure de la loi du 20 mars 1974 concernant l’aménagement général du territoire en vue d’imposer des interdictions de construire valant pour la période jusqu’à l’adoption définitive du PAG reprenant ces mêmes interdictions, cette manière de procéder s’analysant à ses yeux en un détournement de procédure devant conduire à l’annulation des décisions déférées.

L’administration communale de Mersch fait relever dans son mémoire en réponse que le recours est dirigé contre la décision d’approbation du ministre et que ce dernier a le pouvoir d’approuver ou de refuser l’approbation d’une délibération du conseil communal. Elle fait valoir que le pouvoir de tutelle du ministre l’obligerait de vérifier la conformité de la décision de l’autorité communale à la loi et à l’intérêt général. Elle estime qu’elle n’avait en vue que l’intérêt général consistant à ce qu’ « un aménagement cohérent et valable soit garanti aux habitants de la commune de Mersch » et conclut en se rapportant « à la prudence du tribunal administratif quant à la régularité formelle de la décision ministérielle qui ne saurait en aucune façon contrarier la régularité formelle de la décision communale ».

Le délégué du gouvernement fait valoir que le fonds litigieux est situé en zone « susceptible d’être inondée », ce qui constituerait de manière évidente un argument de classer lesdits terrains en zone verte à l’extérieur du périmètre d’agglomération. Concernant plus particulièrement la délimitation de la zone inondable fixée par le PAG, le représentant étatique relève que les autorités communales se sont basées sur le plan joint au projet de règlement grand-ducal établi par l’ancien ministère de l’Aménagement du Territoire, déposé à l’inspection du public à la commune de Mersch, avisé par le conseil communal de Mersch le 20 mars 1995 et soumis à l’avis du Conseil d’Etat par le ministère de l’Aménagement du Territoire le 14 septembre 1998.

Il estime par ailleurs que le principe de proportionnalité qui s’impose en matière administrative n’aurait pas été violé en l’espèce, alors que le classement intervenu revêtirait un caractère réglementaire et serait applicable à tous les administrés se trouvant dans la même situation et concernés par la décision en question. De même, le principe de l’égalité devant la loi respectivement devant les charges publiques n’aurait pas été violé et des intérêts purement privés et étrangers à toute considération urbanistique ne pourraient être pris en compte. Dans ce contexte, il relève encore qu’en matière d’urbanisme d’éventuelles conséquences financières incombant à des particuliers devraient céder le pas à des considérations prises dans l’intérêt général afin de garantir la planification d’un urbanisme conçu selon les règles de l’art.

Finalement le représentant étatique estime que le reproche d’un détournement de procédure ne serait pas donné, étant donné que les législations régissant l’aménagement général du territoire et visant l’aménagement des communes seraient complémentaires, ce qui serait encore démontré par le fait que c’est uniquement le PAG qui a repris les zones inondables et non pas le règlement grand-ducal du 18 décembre 1998 intervenu à la suite du projet de règlement grand-ducal déclarant obligatoire la première partie du plan d’aménagement partiel « zones inondables et zones de rétention », précité.

Dans son mémoire en réplique, la société … souligne à nouveau qu’il y aurait eu violation de la loi pour absence de motifs, le conseil communal de Mersch n’ayant pas indiqué de motifs concernant la nécessité de procéder au reclassement du terrain lui appartenant, alors que la décision du 29 janvier 1997 énoncerait seulement des motifs valant pour l’ensemble des terrains ayant été reclassés. Elle insiste encore une fois que les pièces invoquées par l’administration ne prouveraient pas que le terrain litigieux était réellement couvert d’eau lors des inondations de janvier 1993 ou de décembre 1993 et estime pour le surplus que l’administration n’aurait pas en l’espèce envisagé d’opérer une conciliation entre les intérêts privés et l’intérêt public en faisant analyser notamment la possibilité de construction sur pilotis ou par recours à d’autres moyens techniques. Dans ce contexte, la demanderesse se base encore sur un relevé réalisé par le bureau d’études SCHROEDER & ASSOCIES pour soutenir que le terrain litigieux n’aurait jamais été inondé lors des grandes crues, d’autant plus qu’avec les mesures de renaturation prises en amont de l’Alzette, de telles crues ne se reproduiront plus jamais, de sorte que les décisions attaquées auraient été prises sur base de données inexactes et qu’elles devraient partant être annulées.

Dans son mémoire complémentaire, le délégué du gouvernement soutient que le terrain litigieux serait de faible envergure et surtout de faible largeur, sis en seconde rangée entre des parcelles construites et des terrains classés en zone inondable et régulièrement couverts par les eaux de crues. De par sa localisation, sa configuration et sa taille, la parcelle litigieuse ne se prêterait par conséquent pas à la construction et comme une éventuelle urbanisation de la parcelle litigieuse ne se concevrait que conjointement avec celle des parcelles voisines classées à bon droit en zone inondable, aucun argument ne justifierait le maintien du terrain litigieux en zone constructible. Pour le surplus, les terrains jouxtant immédiatement le terrain litigieux, auraient été inondés au moment des crues de janvier 1993, décembre 1993 et janvier 1995, de sorte que la parcelle litigieuse serait exposée à un risque afférent « certes limité, mais néanmoins bien réel ». Pour le surplus, le représentant étatique estime que s’il est compréhensible qu’un promoteur serait prêt à assumer le risque d’inondation dont il n’aurait pas à subir les conséquences, il n’en serait pas de même pour le ministre qui se refuserait à parier sur l’absence de tout risque en ce qui concerne des événements par définition imprévisibles. D’autre part, il serait encore prématuré de considérer les mesures de renaturation de l’Alzette en amont comme effectives, d’autant plus que l’amplitude des crues serait imprévisible et qu’il serait par conséquent impossible d’exclure que la parcelle litigieuse ne connaîtrait pas à courte ou moyenne échéance une inondation.

Finalement, il n’appartiendrait pas au ministre de l’Intérieur en tant qu’autorité de tutelle de réformer une délibération d’un conseil communal en proposant des mesures techniques au lieu d’un reclassement pur et simple, étant donné qu’il devrait se limiter à statuer sur la délibération du conseil communal par approbation ou refus pur et simple, la seule exception à ce principe étant prévue à l’article 9 de la loi du 12 juin 1937 donnant compétence au ministre pour vider des réclamations au cas où il les estime justifiées et le cas échéant prendre une décision modificative de la délibération communale qui a refusé de faire droit aux objections qui avaient le même objet que les réclamations lui adressées. Or, en l’espèce la société … n’aurait jamais présenté de réclamations dans le cadre dudit article 9 et proposé plus particulièrement l’adoption de mesures techniques permettant envers et contre tout de construire sur le terrain en question, de sorte qu’il n’aurait pas appartenu au ministre d’élaborer et de prévoir des mesures techniques précises permettant des « constructions sur pilotis ou autres moyens techniques » et de les imposer aux autorités communales.

Il est constant que suite à la modification du PAG, la parcelle litigieuse de la société …, située dans une zone dite « zone d’habitation de faible densité », fut classée, lors du vote définitif par le conseil communal, en « zone hors périmètre ».

La société … soutient en substance que ni le conseil communal ni le ministre, qui aurait entériné les conclusions du conseil communal, n’auraient valablement motivé leurs décisions de reclasser ladite parcelle, ce qui équivaudrait à une absence de motivation entraînant que ni la demanderesse ni le tribunal ne sauraient vérifier l’exactitude et la validité des motifs en question par rapport aux dispositions légales et réglementaires applicables.

Tout acte administratif doit reposer sur un motif dont le juge administratif vérifie tant l’existence que la légalité. Cette exigence découle du fait que le juge administratif a l’obligation de vérifier si les autorités administratives compétentes n’ont pas violé la loi, commis un excès de pouvoir ou un détournement de pouvoir. Cette obligation de motivation existe également pour les actes à caractère réglementaire qui, quoique discrétionnaires, doivent être pris dans l’intérêt général, de sorte qu’il importe que les autorités administratives compétentes fassent connaître le ou les motifs qui les ont guidés dans leur décision.

En l’espèce, le tribunal constate que les décisions prises respectivement par le conseil communal et le ministre de l’Intérieur indiquent que « le reclassement en zone verte s’impose, les terrains étant situés en zone potentielle d’inondation; que de par leur profondeur insuffisante, ils ne se prêtent de toute façon pas à l’affectation à la construction ».

Le reproche d’une absence de motivation est donc à rejeter, dès lors qu’il existe deux motifs tirés, d’une part, du risque d’inondations, et, d’autre part, de la cohérence de l’urbanisme de la localité de Beringen.

L’existence de motifs ayant été vérifiée, il convient encore d’examiner si les faits à la base du reclassement effectué sont vérifiés en l’espèce.

La mutabilité des plans d’aménagement généraux relève de leur essence même, consistant à répondre à des contraintes variables à travers le temps concernant à la fois les aspects urbanistiques de l’aménagement des agglomérations et le volet politique de la vie en commun sur le territoire donné. Il en découle que les parties intéressées, dont les propriétaires d’immeubles, n’ont pas un droit acquis au maintien d’une réglementation communale d’urbanisme donnée, étant entendu que les changements à y apporter ne sauraient s’effectuer de manière arbitraire, mais, appelés à résulter de considérations d’ordre urbanistique et politique pertinentes répondant à une finalité d’intérêt général, ils sont à opérer suivant la procédure prévue par la loi comportant la participation de tous les intéressés (cf. trib adm. 7 mars 2001, n° 12233 du rôle, confirmé par Cour adm. 20 décembre 2001, Pas. adm. 2002, V° Urbanisme, n° 46 et autres références y citées).

Même si à l’intérieur du périmètre d’agglomération le changement opéré d’un plan d’aménagement général à l’autre, notamment par l’enlèvement d’un terrain sis dans une zone constructible, fût-elle de forte, de moyenne ou de faible densité, pour l’inclure dans une zone en principe non constructible, est en principe admissible, un changement de ce type ne doit cependant pas s’opérer de manière arbitraire, mais doit résulter de considérations d’ordre urbanistique précises et circonstanciées (cf. trib adm. 20 décembre 2000, n° 11581 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Urbanisme, n° 48).

Il convient dès lors d’examiner en l’espèce si les motifs invoqués peuvent légalement justifier le changement de classement opéré ayant consisté à sortir un terrain d’une zone constructible pour l’inclure dans une zone non constructible, étant entendu que la mission du juge de la légalité exclut le contrôle des considérations d’opportunité à la base de l’acte administratif attaqué.

Compte tenu de la mutabilité intrinsèque des situations générales, due aux changements de circonstances de fait et de droit, les actes réglementaires ne créent, en principe, que des droits précaires et maintiennent dans le chef de l’autorité administrative, le pouvoir soit de changer soit d’abroger un acte réglementaire, en faisant usage des pouvoirs qui lui sont conférés dans l’exercice de sa mission. Dans cette optique, l’invocation de l’intérêt général motivé par un urbanisme cohérent et le souci d’éviter des inondations peuvent justifier des changements dans les parties graphique et écrite d’un plan d’aménagement général.

En l’espèce, il est constant que le terrain litigieux, à savoir la parcelle portant le numéro cadastral actuel …, qui a été classée en « zone hors périmètre », se situe en seconde rangée entre des parcelles construites et des terrains classés en zone inondable. Sur base des renseignements mis à la disposition du tribunal, et plus particulièrement au vu du plan de situation établi par le bureau d’études SCHROEDER & ASSOCIES et des photographies aériennes, ainsi que des conclusions des parties respectives, il est de même établi que le terrain en question n’a jamais connu d’inondations, même s’il est situé à proximité de terrains régulièrement inondés lors de grandes crues.

Concernant le motif tiré du défaut de possibilité d’ériger une construction sur la parcelle litigieuse en raison de sa localisation, le tribunal est mis dans l’impossibilité d’effectuer le contrôle de légalité prévu par la loi, à défaut de plus amples précisions sur la non-constructibilité de ladite parcelle par rapport à sa configuration et à sa taille, d’autant plus qu’une éventuelle urbanisation, à apprécier dans le cadre d’une demande d’octroi d’un permis de construire, reste toujours possible ensemble avec des parcelles voisines, notamment celles situées du côté de la rue d’Ettelbrück, sur lesquelles se trouvent actuellement érigées des constructions.

Pour le surplus, il n’est pas établi qu’il existe pour la parcelle … un quelconque risque accru d’inondations comme étant admissible, étant donné qu’il est constant en cause que ladite parcelle n’a jamais connu d’inondations, ni lors des deux crues de 1993, ni lors de la crue de janvier 1995.

Or, comme le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, doit se livrer à l’examen de l’existence et de l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, et de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée (cf. trib adm. 18 juin 1989, Pas. adm. 2002, V° Recours en annulation, n° 11), le tribunal estime que les faits à la base de la décision de reclassement ne sont pas établis, un simple risque d’inondations non réalisées étant insuffisant à cet égard.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est fondé et que les décisions attaquées sont à annuler dans la mesure de la délimitation de la zone inondable opérée concernant le terrain de la société …, inscrit sous le numéro cadastral …, à la base de la réclamation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non fondé pour autant qu’il est dirigé contre l’arrêté du ministre de l’Environnement du 20 novembre 1998 ;

le déclare fondé pour le surplus ;

partant annule la décision du conseil communal de Mersch du 29 janvier 1997 portant adoption définitive du plan d’aménagement général, parties graphique et écrite, et la décision du ministre de l’Intérieur du 2 avril 1999 approuvant la décision du conseil communal de Mersch du 29 janvier 1997 dans la mesure de la délimitation de la zone inondable opérée concernant le terrain de la société …, sis à Mersch, au lieu-dit « … », et y inscrit sous le numéro cadastral … ;

renvoie le dossier dans cette mesure devant l’administration communale de Mersch ;

fait masse des frais et les impose à raison de la moitié à l’administration communale de Mersch et à raison de la moitié à l’Etat.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président, Mme Lenert, premier juge, M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 13 octobre 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11416
Date de la décision : 13/10/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-10-13;11416 ?

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